Saisi par la ministre de la culture, le Conseil des ventes a décidé, le 14 avril
2014, de retirer d'une vente aux enchères différents objets nazis. Elle s'est
ensuite réjouie du résultat, d'ailleurs prévisible, de sa démarche, en déclarant, sur un ton un tantinet
grandiloquent : "Je me félicite de
cette décision, nécessaire au regard de l'histoire et de la morale".
Voilà l'histoire et la morale appelées à la rescousse pour justifier une
décision du Conseil des ventes...
Le ministre, l'histoire et la morale
Le seul problème est qu'un ministre n'a pas pour
fonction de dire l'histoire, mission qui incombe le plus souvent aux
historiens. Il n'est pas davantage compétent pour affirmer une morale
officielle. Est-il d'ailleurs possible de prendre une position dans ce domaine
? Nul n'ignore que les vendeurs sont des anciens de la 2è DB, ou leurs
héritiers. Ces combattants français, arrivés à Berchtesgaden avant les troupes
alliées, ont emporté quelques souvenirs sans valeur à l'époque, désireux sans
doute de conserver un souvenir de leurs exploits. Aujourd'hui, ils veulent se
défaire de ces objets. Quelqu'un songerait-il à leur jeter la pierre ?
Certes, on objectera que le risque
"moral" réside dans l'acheteur et non pas dans le vendeur. Sans
doute, si ce n'est que l'acheteur, par hypothèse, on ne le connaît pas. Il peut
s'agir de vilains nostalgiques du IIIè Reich, comme semblent le penser ceux qui
désiraient ardemment l'interdiction. Et si c'était un musée chargé précisément
du devoir de mémoire ? Le Mémorial de Caen ? N'oublions pas que ces
institutions ont le droit de préempter un objet dans une vente aux enchères. La
morale serait-elle bafouée ? Bref, de la même manière que l'on interdisait le
spectacle de Dieudonné pour les infractions susceptibles de s'y dérouler, on
interdit une vente parce que acheteurs sympathisants du nazisme sont
susceptibles de s'y manifester. La décision administrative repose, une nouvelle
fois, sur des faits purement hypothétiques.
Le ministre et le droit
Quoi qu'il en soit, ce qui saute aux yeux,
dans la formule d'Aurélie Filipetti, est que le droit n'est pas invoqué une
seule fois. De la même manière qu'il ne peut dire l'histoire ou énoncer la règle morale, le ministre n'est pas doté du pouvoir législatif et pas
davantage du pouvoir réglementaire. Sa seule et unique mission est d'appliquer
le droit en vigueur.
Force est de constater que le droit ne prévoit
aucune interdiction de vente dans cette hypothèse. La seule disposition
pertinente en l'espèce est l'article R 645-1 du code pénal. Il
considère comme contravention de 5è classe, c'est à dire susceptible d'une
peine d'amende, le fait" de porter
ou d'exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème (...) qui ont été
portés (...) par les membres d'une organisation déclarée criminelle en
application de l'article 9 du statut du tribunal militaire international annexé
à l'Accord de Londres du 8 aôut 1945" (c'est à dire le Tribunal de
Nüremberg). Les uniformes et emblèmes nazis sont donc directement visés par
cette disposition.
La lecture du texte montre que c'est "l'exhibition" qui est interdite, ce
qui signifie que la maison de vente n'était pas autorisée à exposer uniformes
et insignes nazis. Mais rien ne lui interdit de les vendre, et c'était
d'ailleurs le sens d'un premier avis du Conseil des ventes. On notera
d'ailleurs que tous les objets de la vente n'étaient peut-être pas concernés
par cette interdiction d'exposition, mais seulement ceux portant un
"insigne" ou un "emblème" nazi.
La ministre
décide donc d'aller au-delà de ce qu'impose le droit positif. Agit-elle sur
demande de certaines associations ? A t elle pris cette décision de son propre
chef ? A dire vrai, la réponse à cette question est sans importance, tant il
apparaît que l'objet de la décision n'est pas d'appliquer le droit positif,
mais de créer des normes nouvelles. A l'interdiction d'exhiber objets ou uniformes nazis s'ajoute désormais celle de les vendre, décision unilatérale dépourvue de tout fondement législatif ou réglementaire.
Papy fait de la résistance. Jean Marie Poiré 1983
Roland Giraud, Dominique Lavanant et... Gustav.
L'isolement du droit français
Les conséquences
matérielles de l'interdiction de la vente seront probablement fort modestes.
Rien n'interdit de confier la vente à un commissaire-priseur étranger. Aux
Etats-Unis par exemple, pays où pourtant le devoir de mémoire fait l'objet
d'une réelle protection, la vente des objets nazis n'est pas une activité
illicite mais se rattache à la liberté d'expression et est protégée par le
Premier Amendement.
En témoigne
la célèbre affaire Licra c. Yahoo intervenue 2000. On sait que le moteur de
recherches Yahoo héberge un service "Auction" permettant l'accès à
des milliers d'objets vendus aux enchères, y compris des uniformes, insignes ou
emblèmes nazis. Avant l'une de ces ventes, le 20 novembre 2000, la Licra et l'UEJF
(Union des étudiants juifs de France) ont obtenu du TGI une mise en demeure de
Yahoo, lui enjoignant d'interdire aux internautes français l'accès à ce
service. Le juge s'appuyait sur l'article 6 645-1 c. pen. et prenait soin
d'interdire la "consultation"
du site, mais pas la vente des objets.
Yahoo a
certes pris quelques mesures techniques pour empêcher cet accès, mais l'entreprise a surtout obtenu des juges américains une décision empêchant
l'exécution du jugement français sur le territoire américain. Dans leur décision du 7 novembre
2001, les juges américains déclarent : "Bien
que la France ait le droit souverain de contrôler le type d'expression
autorisée sur son territoire, cette cour ne pourrait appliquer une ordonnance
étrangère qui viole la Constitution des Etats Unis en empêchant la pratique
d'une expression protégée à l'intérieur de nos frontières". Le
jugement rendu en France n'est donc pas applicable sur le territoire
américain.
Les associations requérantes ont vainement fait appel de ce jugement. Elles se sont heurtées en effet à deux décisions d'irrecevabilité, de la Cour d'appel du 9è District de Californie en 2004, puis de la Cour Suprême en 2006. A chaque fois, les juges ont considéré que les associations requérantes n'avaient pas un intérêt à agir suffisant sur le territoire des Etats Unis, en particulier parce qu'elles n'avaient pas officiellement demandé l'Exequatur du jugement.
Les associations requérantes ont vainement fait appel de ce jugement. Elles se sont heurtées en effet à deux décisions d'irrecevabilité, de la Cour d'appel du 9è District de Californie en 2004, puis de la Cour Suprême en 2006. A chaque fois, les juges ont considéré que les associations requérantes n'avaient pas un intérêt à agir suffisant sur le territoire des Etats Unis, en particulier parce qu'elles n'avaient pas officiellement demandé l'Exequatur du jugement.
De cette
affaire Yahoo, on peut déduire que les vendeurs peuvent parfaitement vendre
leurs objets sur le territoire américain, voire sur des sites américains, et
contourner ainsi l'interdiction prononcée en France.
La loi n'est plus la même pour tous
Les effets
concrets de la décision française restent limités, mais ses conséquences
apparaissent plus graves si l'on considère les libertés publiques dans leur
ensemble. On voit désormais se développer une tendance à créer des normes
"au cas par cas". La loi est écartée, à la demande de différentes
associations ou simplement pour répondre à l'image qu'un ministre veut donner.
Pour satisfaire différents lobbies, on interdit un spectacle de Dieudonné, en
violation d'une jurisprudence presque centenaire. Pour empêcher une vente
d'objets nazis, on écarte le code pénal. La loi n'est plus la même pour tous,
l'égalité devant la loi n'existe plus. Derrière ces affaires, c'est la loi
républicaine qui est menacée, et le respect que chacun lui doit.
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