Les affaires de familles sont parfois compliquées, c'est bien connu. Et la lecture de la décision du 4 décembre 2013 rendue par la Première chambre civile de la Cour de cassation porte précisément sur des liens familiaux quelque peu complexes.
En 1969, Mme X. se marie avec Claude Y. et de leur union naît une petite fille en 1973. Le divorce est prononcé en 1977, après que Claude Y. ait été condamné, à deux reprises, pour violences conjugales. L'épouse trouve refuge chez son ex-beau-père, Raymond Y., qui prend également soin de l'enfant. En 1983, Mme X. se remarie avec son ex-beau père, sans qu'aucun enfant naisse de cette seconde union. Cette nouvelle expérience matrimoniale est nettement plus longue, et sans doute plus heureuse. Elle va durer vingt-deux ans, jusqu'au décès de Raymond Y., en 2005. Ce dernier avait cependant pris la précaution de faire une donation à sa petite fille et de désigner son épouse comme légataire universelle. Son fils demeurait cependant son héritier légitime.
Nullité du mariage
C'est seulement au moment du règlement de la succession de son père, en 2006, que son fils, Claude Y., se préoccupe de saisir le juge pour demander l'annulation de ce mariage. Il s'appuie alors sur l'article 161 du Code civil qui interdit le mariage "entre tous les ascendants et les alliés dans la même ligne". Le TGI de Grasse en 2011, puis la Cour d'appel d'Aix en Provence lui donnent satisfaction et prononcent la nullité de l'union. La décision a des effets dévastateurs pour la requérante, car la nullité du mariage est rétroactive. Ce dernier est censé n'avoir jamais existé, et les droits successoraux de celle qui est désormais considérée comme une simple concubine sont purement et simplement anéantis.
Il n'existe aucune jurisprudence relative à une situation identique, de nature à justifier cette rigueur des juges du fond. Il peut certes arriver, parfois même chez des personnes célèbres, qu'une femme partage successivement la vie d'un homme, puis celle de son fils, mais cette pratique ne donne généralement pas lieu à union matrimoniale. Des situations relativement proches ont cependant permis aux juges du fond de procéder par analogie.
La première trouve son origine dans une décision de la Première chambre civile de la Cour de cassation, rendue le 6 janvier 2004. Elle porte sur la situation d'un enfant dont les deux parents ont la même filiation paternelle, c'est à dire que l'enfant est né des relations entre un demi-frère et une demi-soeur. Dans ce cas, le juge estime que lorsque la filiation de l'enfant est établie à l'égard de l'un de ses parents, il est interdit de l'établir pour l'autre. Cette prohibition d'ordre public s'applique également à la filiation adoptive, et le père ne peut donc adopter son propre enfant. Observons qu'il s'agit certes d'une jurisprudence relative à la filiation, mais que l'article 334 du code civil précise que cette interdiction d'établir la filiation s'applique lorsqu'il existe "à l'égard de l'enfant, un des cas d'empêchement au mariage prévus par les articles 161 et 162 du code civil".
La seconde décision, plus récente, est celle rendue par la Cour d'appel de Rennes le 10 janvier 2012. Il s'agit cette fois d'une situation très proche, qui porte sur la célébration d'un mariage à Pondichéry, en violation de l'article 163 du code civil, prohibant toute union entre l'oncle et sa nièce ou son neveu, la tante et son neveu ou sa nièce. En l'espèce, l'oncle avait épousé sa nièce, et le couple invoquait le fait que ce type d'union est une "pratique traditionnelle" fréquente en Inde. Estimant que les pratiques traditionnelles indiennes ne doivent pas nécessairement devenir notre droit positif, la Cour d'appel, comme avant elle le TGI, a prononcé la nullité du mariage "absolue, d'ordre public et (...) indélébile". On ne peut que saluer une telle jurisprudence qui récuse tout "droit à la différence" et empêche ainsi l'intégration dans le droit de pratiques qui n'ont pas grand chose à voir avec la libération des femmes. N'est-il pas souhaitable, au contraire, que des femmes, souvent mariées contre leur consentement, puissent utiliser le droit français pour obtenir la dissolution et la nullité d'une telle union ?
Jan Massys. Loth et ses filles. Circa 1565 |
La dispense du Président de la République, une procédure pas utilisée
Certes, mais l'application stricte de cette jurisprudence au cas de Mme X. est tout de même bien sévère. C'est pour cette raison que le juge va infléchir cette rigueur en définissant une exception à la règle générale de la nullité du mariage.
Le juge y était incité par le contexte général de l'affaire, car Mme X. n'est pas totalement responsable de ce qui lui arrive. D'une part, nul ne s'est opposé à son second mariage. Ni son ancien mari, ni le maire qui a procédé à l'union matrimoniale n'ont attiré l'attention du couple sur l'article 161 du code civil. D'autre part, l'article 164 du code civil autorise le Président de la République à accorder une dispense aux couples concernés par les cas d'empêchement au mariage. Cette dispense n'est certes pas simple à obtenir. Elle relève du pouvoir discrétionnaire du Président, qui peut donc toujours la refuser, et elle doit être justifiée par des "causes graves". Rien ne dit que Mme X. et Raymond Y. l'auraient obtenue, mais force est de constater que personne ne les a incités à la demander. Au contraire, ils sont demeurés dans l'ignorance du procédure qui leur aurait permis de régulariser leur situation. Et une fois le mariage célébré, la dispense ne pouvait plus être demandée.
Le juge va en quelque sorte offrir à Mme X. la possibilité de rattraper cette erreur. Il reprend les conditions posées pour l'obtention de cette dispense, en les appliquant a posteriori, non plus avant, mais après le mariage, et même après la fin de cette union puisque le mari est décédé. Il s'interroge en conséquence sur les "causes graves" justifiant l'octroi d'une telle dispense, et les trouve dans l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.
L'atteinte à la vie privée et familiale de Mme X.
Le juge observe que la nullité de son mariage constitue, de manière incontestable, une ingérence dans la vie privée de Mme X. Elle perd en effet tous ses droits à la succession de son époux, alors même qu'elle a formé avec lui un couple parfaitement stable. Sa situation matérielle devient précaire, dès lors qu'il est fort probable qu'elle devrait également quitter le domicile dans lequel elle a vécu, et subsister avec des moyens fort réduits.
L'atteinte à la vie privée est donc liée à la particularité du dossier, et plus précisément au temps écoulé. Temps du mariage d'abord, qui a duré vingt-deux ans. Temps du recours de Claude Y, qui a attendu cette même vingtaine d'années pour se préoccuper du caractère fort choquant de cette situation matrimoniale, précisément le moment où il pouvait espérer exclure son ex-femme et belle-mère de l'héritage paternel. Pour ces raisons, et seulement ces raisons, la Cour de cassation décide donc de casser la décision de la Cour d'appel d'Aix en Provence.
La juridiction suprême prend donc bien soin de préciser qu'il s'agit d'un cas d'espèce, et que la prohibition du mariage entre alliés n'est pas remise en cause. Certes, mais la Cour de cassation introduit tout de même un peu de souplesse dans l'interprétation de la règle. Ce n'est pas négligeable, si l'on considère que chaque situation familiale est unique, et qu'il convient d'introduire un peu d'équité dans son appréciation.
L'équité correctrice du juge est la bienvenue.
RépondreSupprimerEspérons qu'il ne s'agisse que d'un cas d'espèce effectivement parce que l'argumentation du juge du fond pour justifier sa décision en équité et son accueil par la Cour de cassation sont critiquables : l'ignorance du droit existant (la nullité du mariage ou la possibilité de dispense) n'est jamais un argument recevable. Quant à l'ingérence dans la vie privée, à ce compte, le régime matrimonial de base et toutes les décisions de divorce en sont aussi.
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