Dans un arrêt Nikolova et Vandova c. Bulgarie du 17 décembre 2013, la Cour européenne s'est penchée sur les conséquences sur les droits de la défense de la présence, dans un dossier contentieux, de pièces couvertes par le secret de la défense nationale.
La première requérante, Stella Yordanova Nikolova était capitaine dans la police nationale bulgare et elle a été licenciée en 2001 pour faits de corruption passive et entrave à la justice. Une procédure pénale engagée à peu près en même temps n'a pas abouti en raison des lenteurs de la justice bulgare, le renvoi devant le juge n'ayant pas été effectué dans les délais prescrits. La seconde requérante, Yordanka Chankova Vandova, est avocate au barreau de Sofia et défend la première. Toutes deux contestent une procédure que la présence de documents classifiés fait sortir du droit commun. L'ensemble de la procédure disciplinaire diligentée contre Stella Nikolova s'est ainsi déroulée à huis-clos, y compris le recours contre la sanction. De son côté, l'avocate n'a pas pu consulter l'ensemble du dossier de sa cliente, ne disposant pas des habilitations nécessaires.
L'ex-capitaine de la police bulgare s'appuie essentiellement sur la violation de son droit au procès équitable garanti par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme. Son avocate invoque, quant à elle, l'article 8 de cette même convention, estimant que l'enquête liée à une demande d'habilitation porte atteinte à son droit au respect de la vie privée. On va y revenir.
Le droit au procès équitable s'applique au contentieux des sanctions
Stella Nikolova peut parfaitement invoquer le droit au procès équitable qui ne s'applique pas seulement au domaine pénal, mais aussi aux litiges opposant l'Etat à ses fonctionnaires. Pour la Cour, l'article 6 § 1 doit être respecté dès que l'objet du contentieux porte sur une contestation "réelle et sérieuse" relative à des "droits de caractère civil".
En l'espèce, le recours de Stella Nikolova a pour objet de protéger son droit de ne pas faire l'objet d'un licenciement abusif. Il est vrai que l'arrêt Vilho Eskelinen c. Finlande du 19 avril 2007 autorise exceptionnellement les autorités publiques à priver un fonctionnaire de son droit d'accès à un tribunal, lorsque cette interdiction est motivée par de l'Etat. Cette exception concerne les emplois que le droit français considère comme étant à la discrétion du gouvernement et exigeant une loyauté particulière des agents. Encore faut-il que cette exception soit prévue par le droit interne de l'Etat, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. La sanction qui frappe la requérante peut en effet être contestée devant une cour administrative suprême.
La publicité des débats
La requérante conteste précisément le fait que l'ensemble de la procédure se soit déroulé à huis-clos. Les arrêts rendus n'ont pas été rendus publics, ils ne sont pas accessibles au greffe de la cour, et la requérante elle même n'a pu en avoir communication. Le secret qui entoure cette procédure se heurte au principe de publicité des débats que la Cour rattache directement à l'article 6 § 1 (CEDH 24 juin 1993 Schuler-Zgraggen c. Suisse). Dans une décision du 26 septembre 1995, Diennet c. France, elle rappelle que cette publicité "protège les justiciables contre une justice secrète échappant au contrôle du public". Elle constitue aussi l'un des moyens de contribuer à préserver la confiance dans les cours et tribunaux.
Bien qu'affirmé avec force par la Cour, le principe de publicité des débats est loin d'être absolu. Il est possible d'y déroger pour des motifs tirés par exemple des nécessités de la protection des mineurs ou de la vie privée des personnes, voire lorsque les affaires traitées sont particulièrement techniques. Il en est ainsi du contentieux de la sécurité sociale, dont la Cour estime qu'il n'exige pas vraiment le contrôle du public (10 avril 2012, Lorenzetti c. Italie).
En l'espèce, le huis clos a été décidé pour protéger le secret de la défense nationale. En Bulgarie, ce dernier fait l'objet d'une définition large, puisqu'il regroupe à la fois les "secrets d'Etat" et les documents internes des administrations régaliennes. La Cour refuse d'entrer dans le débat sur la nature confidentielle ou non des pièces considérées comme confidentielles. Elle sanctionne en revanche l'automatisme de la décision des juges de la cour administrative qui ont déclaré le huis-clos en invoquant la présence de documents classifiés dans le dossier. Ils n'ont pas examiné in concreto si ces pièces étaient effectivement indispensables à la procédure, et n'ont pas cherché à trouver une autre solution, comme par exemple celle qui aurait consisté à ne tenir à huis-clos que certaines audiences, lorsque des pièces classifiées étaient évoquées. Sur ce point, la Cour déclare le droit interne bulgare non conforme à l'article 6 § 1, puisque le juge compétent n'est même pas tenu de donner les raisons détaillées et spécifiques de nature à justifier l'exclusion du public.
On ne peut s'empêcher d'imaginer l'impact d'une telle décision en droit français. Dans notre pays, le secret de la défense nationale demeure opposable au juge. Celui-ci peut seulement demander la déclassification des documents dont il a besoin pour instruire ou juger l'affaire. La décision relève du pouvoir discrétionnaire du ministre compétent, même s'il peut solliciter l'avis d'une autorité prétendue indépendante, la Commission consultative du secret de la défense nationale. La conséquence de cette situation est que le juge est contraint de prendre des décisions sans avoir eu communication des pièces classifiées. L'égalité des armes est donc également mise à mal puisque les deux parties au procès n'ont pas accès au même dossier.
La seconde requérante, avocate de la première, a refusé de solliciter de l'administration bulgare une habilitation lui permettant d'accéder aux pièces classifiées. Sur ce point, le droit bulgare est assez proche du droit français. Comme lui, il subordonne la communication de ce type de document à une double condition. D'une part, il est nécessaire d'obtenir une habilitation qui est une procédure administrative permettant d'obtenir l'autorisation d'accéder à des pièces classifiées, autorisation acquise après une enquête plus ou moins approfondie selon le degré de classification. D'autre part, on ne peut obtenir communication de ces documents que si on a "intérêt à en connaître", c'est à dire s'ils sont indispensables à une mission d'intérêt général.
En l'espèce, Yordanka Vandova a refusé de se prêter à l'enquête préalable à l'octroi de l'habilitation. Elle y voit une ingérence dans sa vie privée, dans la mesure où cette enquête se traduit par une questionnaire détaillé sollicitant la divulgation d'informations personnelles la concernant elle, mais aussi ses proches. Pour elle, le fait de la contraindre à choisir entre la divulgation de données personnelles et la défense de sa cliente constitue une ingérence disproportionnée dans sa vie privée.
La Cour refuse de se prononcer sur le fond, estimant la requête tardive. Il n'empêche que la question ne manque pas d'intérêt. On s'aperçoit ainsi que les avocats bulgares peuvent, relativement facilement, obtenir une habilitation leur permettant de défendre leurs clients. Là encore, la situation est plus délicate en droit français. Le Conseil constitutionnel, dans une décision Ordre des avocats du barreau de Bastia rendue le 17 février 2012, a déclarée inconstitutionnelle une disposition du code de procédure pénale qui obligeait les personnes poursuivies à choisir leur défenseur dans une liste d'avocats ayant fait l'objet d'une habilitation. Pour le Conseil constitutionnel, cette procédure porte atteinte au libre choix du défenseur. La décision est juste, mais il n'en demeure pas moins que le droit français n'a pas encore défini avec précision la situation juridique de l'avocat confronté au secret de la défense nationale.
Cette lacune ne fait que refléter une incertitude plus générale sur les secrets protégés par la loi, et le secret de la défense nationale en particulier. Pour le moment, la décision de déclassifier pour permettre l'accès de l'avocat ou celui du juge repose sur un ministre. Cela signifie qu'un membre de l'exécutif peut bloquer le fonctionnement de la justice, situation qui porte une atteinte directe au principe de séparation des pouvoirs.
Bien qu'affirmé avec force par la Cour, le principe de publicité des débats est loin d'être absolu. Il est possible d'y déroger pour des motifs tirés par exemple des nécessités de la protection des mineurs ou de la vie privée des personnes, voire lorsque les affaires traitées sont particulièrement techniques. Il en est ainsi du contentieux de la sécurité sociale, dont la Cour estime qu'il n'exige pas vraiment le contrôle du public (10 avril 2012, Lorenzetti c. Italie).
En l'espèce, le huis clos a été décidé pour protéger le secret de la défense nationale. En Bulgarie, ce dernier fait l'objet d'une définition large, puisqu'il regroupe à la fois les "secrets d'Etat" et les documents internes des administrations régaliennes. La Cour refuse d'entrer dans le débat sur la nature confidentielle ou non des pièces considérées comme confidentielles. Elle sanctionne en revanche l'automatisme de la décision des juges de la cour administrative qui ont déclaré le huis-clos en invoquant la présence de documents classifiés dans le dossier. Ils n'ont pas examiné in concreto si ces pièces étaient effectivement indispensables à la procédure, et n'ont pas cherché à trouver une autre solution, comme par exemple celle qui aurait consisté à ne tenir à huis-clos que certaines audiences, lorsque des pièces classifiées étaient évoquées. Sur ce point, la Cour déclare le droit interne bulgare non conforme à l'article 6 § 1, puisque le juge compétent n'est même pas tenu de donner les raisons détaillées et spécifiques de nature à justifier l'exclusion du public.
On ne peut s'empêcher d'imaginer l'impact d'une telle décision en droit français. Dans notre pays, le secret de la défense nationale demeure opposable au juge. Celui-ci peut seulement demander la déclassification des documents dont il a besoin pour instruire ou juger l'affaire. La décision relève du pouvoir discrétionnaire du ministre compétent, même s'il peut solliciter l'avis d'une autorité prétendue indépendante, la Commission consultative du secret de la défense nationale. La conséquence de cette situation est que le juge est contraint de prendre des décisions sans avoir eu communication des pièces classifiées. L'égalité des armes est donc également mise à mal puisque les deux parties au procès n'ont pas accès au même dossier.
L'habilitation de l'avocat et la violation de la vie privée
La seconde requérante, avocate de la première, a refusé de solliciter de l'administration bulgare une habilitation lui permettant d'accéder aux pièces classifiées. Sur ce point, le droit bulgare est assez proche du droit français. Comme lui, il subordonne la communication de ce type de document à une double condition. D'une part, il est nécessaire d'obtenir une habilitation qui est une procédure administrative permettant d'obtenir l'autorisation d'accéder à des pièces classifiées, autorisation acquise après une enquête plus ou moins approfondie selon le degré de classification. D'autre part, on ne peut obtenir communication de ces documents que si on a "intérêt à en connaître", c'est à dire s'ils sont indispensables à une mission d'intérêt général.
En l'espèce, Yordanka Vandova a refusé de se prêter à l'enquête préalable à l'octroi de l'habilitation. Elle y voit une ingérence dans sa vie privée, dans la mesure où cette enquête se traduit par une questionnaire détaillé sollicitant la divulgation d'informations personnelles la concernant elle, mais aussi ses proches. Pour elle, le fait de la contraindre à choisir entre la divulgation de données personnelles et la défense de sa cliente constitue une ingérence disproportionnée dans sa vie privée.
La Cour refuse de se prononcer sur le fond, estimant la requête tardive. Il n'empêche que la question ne manque pas d'intérêt. On s'aperçoit ainsi que les avocats bulgares peuvent, relativement facilement, obtenir une habilitation leur permettant de défendre leurs clients. Là encore, la situation est plus délicate en droit français. Le Conseil constitutionnel, dans une décision Ordre des avocats du barreau de Bastia rendue le 17 février 2012, a déclarée inconstitutionnelle une disposition du code de procédure pénale qui obligeait les personnes poursuivies à choisir leur défenseur dans une liste d'avocats ayant fait l'objet d'une habilitation. Pour le Conseil constitutionnel, cette procédure porte atteinte au libre choix du défenseur. La décision est juste, mais il n'en demeure pas moins que le droit français n'a pas encore défini avec précision la situation juridique de l'avocat confronté au secret de la défense nationale.
Cette lacune ne fait que refléter une incertitude plus générale sur les secrets protégés par la loi, et le secret de la défense nationale en particulier. Pour le moment, la décision de déclassifier pour permettre l'accès de l'avocat ou celui du juge repose sur un ministre. Cela signifie qu'un membre de l'exécutif peut bloquer le fonctionnement de la justice, situation qui porte une atteinte directe au principe de séparation des pouvoirs.
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