En décembre 2011, l'hebdomadaire Le Point publie un article accusant la commune du Pré Saint Gervais d'être au coeur d'un scandale immobilier. La collectivité locale ainsi mise en cause souhaite engager des poursuites pour diffamation, mais elle se heurte aux dispositions combinées des articles 47 et 48 de la loi du 29 juillet 1881.
Aux termes de celles-ci, les autorités publiques dotées de la personnalité morale autre que l'Etat, en particulier les collectivités locales, ne peuvent obtenir réparation du préjudice subi du fait d'une injure ou d'une diffamation, que lorsque l'action publique a été engagée par le ministère public. Autrement dit, elles ne peuvent mettre en oeuvre l'action pénale de leur propre initiative, et pas davantage agir directement devant le juge civil pour obtenir réparation. Leur seule solution est donc de se constituer partie civile, à la condition bien entendu que procureur, seule autorité compétente dans ce cas, ait décidé d'engager l'action pénale. Ces deux dispositions de la loi du 29 juillet 1881 font donc l'objet d'une QPC posée par le maire du Pré Saint Gervais, et transmise au Conseil constitutionnel par une décision de la Cour de cassation du 26 août 2013.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision QPC du 25 octobre 2013, déclare non conformes à la Constitution l'article 47 et le dernier alinéa de l'article 48 de la loi du 29 juillet 1881. De fait, il permet aux collectivités territoriales de porter plainte pour diffamation, comme n'importe quel citoyen.
L'article 72, le grand absent de la décision
L'article 72, le grand absent de la décision
Observons d'emblée que, contrairement à ce que lui demandait l'avocat de la commune, le Conseil constitutionnel refuse de se placer sur le fondement de l'article 72 de la Constitution qui consacre le principe de libre administration des collectivités territoriales. L'argument n'était pourtant pas sans valeur, dès lors qu'imposer à une collectivité locale le filtre du parquet pour obtenir réparation d'une injure et d'une diffamation revient à la mettre sur le même plan qu'une administration de l'Etat, définie précisément par le lien hiérarchique qui la soumet pouvoir central.
A l'examen, cet argument n'emporte pourtant pas la conviction. Le principe de libre administration n'est pas un principe absolu, loin de là, et il s'applique essentiellement à trois domaines : d'abord, à l'organisation des collectivités, qui repose sur l'élection, ensuite à leurs finances qui imposent le vote d'un budget autonome, enfin au principe général de compétence sur les "affaires locales". Selon le Conseil constitutionnel, le principe de libre administration n'exclut pas un contrôle de l'Etat, qu'il s'exerce par le déféré préfectoral (décision du 28 décembre 1982), par une dérogation à la liberté contractuelle (décision du 30 novembre 2006) ou d'un droit de préemption du préfet à l'égard des communes qui n'ont pas respecté leur engagement de construire des logements sociaux (décision QPC 26 avril 2013).
Dans ces conditions, on comprend que le Conseil ait préféré écarter le principe de libre administration, auquel le législateur peut déroger. En l'espèce, la dérogation trouve son origine dans la loi de 1881 sur la presse. Cette dernière prend d'ailleurs la précaution de créer une infraction spécifique de diffamation à l'égard des "corps constitués et des administrations publiques", punie de 45 000 € d'amende. Depuis une décision du 7 novembre 1995 rendue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, il est acquis que les collectivités territoriales peuvent entrer dans cette catégorie, dès lors qu'elles disposent d'un organe délibérant et exercent "une portion de l'autorité ou de l'administration publique". Pour le Conseil constitutionnel, le législateur a donc mis en place un régime juridique particulier pour les collectivités territoriales en matière d'injure et de diffamation. Il repose sur l'idée que la liberté d'expression doit être garantie de manière encore plus scrupuleuse, lorsqu'elle s'exerce à l'encontre des personnes publiques.
Le principe d'égalité, non retenu
Le principe d'égalité devant la loi n'est pas davantage retenu par le Conseil constitutionnel, sans d'ailleurs qu'il motive clairement son raisonnement. Tout au plus peut-on penser qu'il est délicat, pour une collectivité publique, d'invoquer une rupture d'égalité par rapport aux simples citoyens qui peuvent engager directement l'action pénale lorsqu'ils sont victimes de diffamation. Selon une jurisprudence constante, il n'y a pas rupture d'égalité lorsque les situations juridiques sont différentes dès l'origine, et c'est bien le cas en l'espèce. En tant que citoyen, le maire d'une commune peut porter plainte pour diffamation, selon les règles du droit commun. En revanche, lorsque c'est la commune qui est diffamée, le maire n'intervient qu'après délibération du Conseil municipal, non plus comme simple citoyen mais comme représentant de sa commune, pour qu'elle se porte partie civile. Les situations juridiques sont donc différentes, dans leur essence même.
Le droit à un recours effectif
Finalement, le Conseil constitutionnel choisit de censurer les dispositions de la loi de 1881 pour violation du droit à un recours effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Certes, l'article 16 se borne à affirmer que "Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution". Le Conseil constitutionnel a cependant considéré, dans sa décision du 9 avril 1996 que ces dispositions permettaient de fonder le droit de saisir le juge. De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme, dès sa décision Airey du 9 octobre 1979, se réfère à un "droit d'accès à un tribunal".
En invoquant l'absence de droit à un recours effectif, le Conseil constitutionnel s'appuie sur une jurisprudence abondante qui repose sur l'appréciation très concrète des procédures. Il considère ainsi que "si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales (...)" (décision QPC du 23 juillet 2010, Région Languedoc Roussillon et autres). En l'espèce, il est clair que les collectivités locales peuvent être privées de tout recours en matière de diffamation ou d'injure, si le parquet refuse d'engager l'action pénale. Rappelons en effet qu'il ne leur est même pas possible de saisir le juge civil pour obtenir réparation du préjudice subi.
On pourrait évidemment considérer que cette décision met fin à un système qui reposait sur l'idée que la liberté de critique à l'égard des collectivités locales doit être aussi large que possible, dans le cadre du débat démocratique. La présente décision ne remet pourtant pas substantiellement en cause ce principe, car elle ne vise que les délits d'injure et de diffamation. La Cour de cassation, le 25 février 1986, affirme ainsi que le délit de fausse nouvelle de nature à troubler la paix publique n'entre pas dans le champ d'application de cette procédure dérogatoire, une collectivité locale pouvant dans ce cas, mettre en oeuvre l'action pénale de sa propre initiative. Sur ce plan, l'injure et la diffamation apparaissaient comme dotées d'une procédure particulière, dont la justification ne sautait pas aux yeux
A l'examen, cet argument n'emporte pourtant pas la conviction. Le principe de libre administration n'est pas un principe absolu, loin de là, et il s'applique essentiellement à trois domaines : d'abord, à l'organisation des collectivités, qui repose sur l'élection, ensuite à leurs finances qui imposent le vote d'un budget autonome, enfin au principe général de compétence sur les "affaires locales". Selon le Conseil constitutionnel, le principe de libre administration n'exclut pas un contrôle de l'Etat, qu'il s'exerce par le déféré préfectoral (décision du 28 décembre 1982), par une dérogation à la liberté contractuelle (décision du 30 novembre 2006) ou d'un droit de préemption du préfet à l'égard des communes qui n'ont pas respecté leur engagement de construire des logements sociaux (décision QPC 26 avril 2013).
Dans ces conditions, on comprend que le Conseil ait préféré écarter le principe de libre administration, auquel le législateur peut déroger. En l'espèce, la dérogation trouve son origine dans la loi de 1881 sur la presse. Cette dernière prend d'ailleurs la précaution de créer une infraction spécifique de diffamation à l'égard des "corps constitués et des administrations publiques", punie de 45 000 € d'amende. Depuis une décision du 7 novembre 1995 rendue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, il est acquis que les collectivités territoriales peuvent entrer dans cette catégorie, dès lors qu'elles disposent d'un organe délibérant et exercent "une portion de l'autorité ou de l'administration publique". Pour le Conseil constitutionnel, le législateur a donc mis en place un régime juridique particulier pour les collectivités territoriales en matière d'injure et de diffamation. Il repose sur l'idée que la liberté d'expression doit être garantie de manière encore plus scrupuleuse, lorsqu'elle s'exerce à l'encontre des personnes publiques.
Picasso. Verre, bouteille, poisson sur journal. 1922 |
Le principe d'égalité, non retenu
Le principe d'égalité devant la loi n'est pas davantage retenu par le Conseil constitutionnel, sans d'ailleurs qu'il motive clairement son raisonnement. Tout au plus peut-on penser qu'il est délicat, pour une collectivité publique, d'invoquer une rupture d'égalité par rapport aux simples citoyens qui peuvent engager directement l'action pénale lorsqu'ils sont victimes de diffamation. Selon une jurisprudence constante, il n'y a pas rupture d'égalité lorsque les situations juridiques sont différentes dès l'origine, et c'est bien le cas en l'espèce. En tant que citoyen, le maire d'une commune peut porter plainte pour diffamation, selon les règles du droit commun. En revanche, lorsque c'est la commune qui est diffamée, le maire n'intervient qu'après délibération du Conseil municipal, non plus comme simple citoyen mais comme représentant de sa commune, pour qu'elle se porte partie civile. Les situations juridiques sont donc différentes, dans leur essence même.
Le droit à un recours effectif
Finalement, le Conseil constitutionnel choisit de censurer les dispositions de la loi de 1881 pour violation du droit à un recours effectif, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Certes, l'article 16 se borne à affirmer que "Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution". Le Conseil constitutionnel a cependant considéré, dans sa décision du 9 avril 1996 que ces dispositions permettaient de fonder le droit de saisir le juge. De son côté, la Cour européenne des droits de l'homme, dès sa décision Airey du 9 octobre 1979, se réfère à un "droit d'accès à un tribunal".
En invoquant l'absence de droit à un recours effectif, le Conseil constitutionnel s'appuie sur une jurisprudence abondante qui repose sur l'appréciation très concrète des procédures. Il considère ainsi que "si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales (...)" (décision QPC du 23 juillet 2010, Région Languedoc Roussillon et autres). En l'espèce, il est clair que les collectivités locales peuvent être privées de tout recours en matière de diffamation ou d'injure, si le parquet refuse d'engager l'action pénale. Rappelons en effet qu'il ne leur est même pas possible de saisir le juge civil pour obtenir réparation du préjudice subi.
On pourrait évidemment considérer que cette décision met fin à un système qui reposait sur l'idée que la liberté de critique à l'égard des collectivités locales doit être aussi large que possible, dans le cadre du débat démocratique. La présente décision ne remet pourtant pas substantiellement en cause ce principe, car elle ne vise que les délits d'injure et de diffamation. La Cour de cassation, le 25 février 1986, affirme ainsi que le délit de fausse nouvelle de nature à troubler la paix publique n'entre pas dans le champ d'application de cette procédure dérogatoire, une collectivité locale pouvant dans ce cas, mettre en oeuvre l'action pénale de sa propre initiative. Sur ce plan, l'injure et la diffamation apparaissaient comme dotées d'une procédure particulière, dont la justification ne sautait pas aux yeux
La décision du 25 octobre 2013 se borne donc à réintégrer dans le droit commun le recours des collectivités locales en matière d'injure et de diffamation. A une époque où des rumeurs absurdes circulent sur certaines collectivités qui auraient accepté de l'argent pour accueillir des populations immigrées sur leur territoire, la précision n'est peut être pas inutile. Certes, la presse peut, et c'est d'ailleurs ce qu'elle fait très largement, lutter contre ces rumeurs en démontrant leur absence de fondement. Mais si certains organes de presse s'aventuraient à reprendre ces rumeurs avec complaisance, peut-être à des fins électorale, les collectivités concernées pourraient alors porter plainte pour diffamation. Il n'est donc pas inutile que les communes puissent directement mettre en oeuvre l'action pénale.
Il est primordial de ne pas se contenter de la main-courante des gendarmes (ou des policiers). Les services du Parquet étant débordés, celle-ci sera classée sans suite dans 95 % des cas. Il est primordial de s’assurer des services d’un avocat, qui s’occupera de la procédure pénale et sera présent à l’audience du tribunal. La deuxième erreur à ne pas commettre est la mauvaise identification de l’auteur de la diffamation. Si les enquêteurs n’arrivent pas à le retrouver, votre plainte sera classée sans suite.
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