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mardi 3 septembre 2013

Des administrés perdent le droit de faire appel devant la juridiction administrative

Paru au Journal Officiel du 15 août, au coeur de l'été, le décret du 13 août 2013 est passé relativement inaperçu. Son contenu est cependant surprenant, car il supprime purement et simplement le droit de faire appel dans certains contentieux relevant de la juridiction administrative. Sont concernés les contentieux sociaux comme ceux de l'aide sociale ou au  logement (APL), mais aussi celui du permis de conduire. Seul ce dernier a suscité quelque émoi, de la part de publications dont la ligne éditoriale se limite à critiquer les vilains radars ou les méchants gendarmes qui harcèlent les gentils automobilistes. Une critique finalement bien peu crédible. 

Et pourtant, le décret supprimer le droit de faire appel, en exploitant un droit positif très flou qui ne le reconnaît que très partiellement.

Exploiter un droit positif flou

Le droit de faire appel ne figure dans aucune disposition écrite. La Chambre criminelle de la Cour de cassation, dans une décision du 7 février 1981 a néanmoins estimé que le droit d'appel est ouvert, dans le silence des textes, sur le seul fondement des principes généraux du droit pénal. Plus tard, le 6 juillet 1993, elle a consacré, sur ce même fondement, le droit d'appel du ministère public en matière de détention provisoire, alors que le législateur le réservait, jusqu'alors, à la seule personne mise en examen.

Encore est-il limité au domaine pénal.  A contrario, on doit en déduire que le droit de faire appel n'est pas garanti devant les juridictions administratives. Le Conseil d'Etat, dans le célèbre arrêt Canal du 19 octobre 1962 n'évoque d'ailleurs que le principe du double degré de juridiction, qui se distingue du droit de faire appel.

Le double degré de juridiction, consacré par le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 20 janvier 1981, impose seulement l'existence d'un recours, qui peut être le seul recours de cassation. L'article 2 § 1 du Protocole n° 7 à la Convention européenne des droits de l'homme ne raisonne pas autrement, lorsqu'il garantit à "toute personne poursuivie pour une infraction pénale (...) le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la (...) condamnation". On l'a compris, une "juridiction supérieure" n'est pas nécessairement un juge d'appel. Et ce double degré de juridiction n'a d'ailleurs rien d'absolu, puisque le Conseil constitutionnel, comme la Cour européenne estiment qu'il est possible d'y déroger, dans un souci de "bonne administration de la justice", notamment lorsqu'il s'agit de juger des "infractions mineures".

"Au quartier pour l'appel, ah j'étais vraiment trop bête..."
Bizet. Carmen. Shirley Verett. 
Orchestre et choeur de l'association "Note et bien". Direction : A. Cravero


Le juge de l'administration

Considéré sous cet angle, le décret du 13 août 2013 n'a rien d'illégal. Nous ne sommes pas en matière pénale, et le double degré de juridiction est parfaitement respecté. Le bénéficiaire de l'aide sociale en conflit avec l'administration n'est il pas l'heureux titulaire d'un droit de recours en cassation devant le Conseil d'Etat ? Il sera sans doute encore plus reconnaissant  quand il devra s'acquitter des honoraires confortables de l'avocat aux Conseils, auquel il sera contraint de s'adresser.  

Les causes de ce décret ne doivent pas être recherchées dans l'intérêt de l'administré, mais plutôt dans celui de la juridiction administrative. Il s'agit, comme dans toutes les réformes récentes qui ont touché le contentieux administratif, de réduire le nombre de dossiers en attente, selon une pure logique de rendement. Dans cette logique, qui a d'ailleurs sa justification en termes de durée de procédure, ne serait-il pas possible d'explorer d'autres solutions, comme la sanction des recours abusifs ?

Quoi qu'il en soit, le décret établit finalement une double distinction entre les contentieux. D'un côté les affaires pénales qui justifient l'octroi de droits spécifiques au justiciable, de l'autre le contentieux administratif dans lequel l'administré est surtout défini par sa position de subordination. D'un côté les affaires "nobles" qui exigent un droit d'appel, de l'autre les affaires mineures de circulation ou d'aide sociale, celles qui concernent les "simples quidams", obscurs et sans gloire. Ceux-là doivent se contenter d'une décision de première instance, et s'en aller, satisfaits ou non. Le coût du recours en cassation devrait d'ailleurs suffire à les dissuader de l'engager. 

Cette évolution va résolument à l'encontre d'une évolution engagée depuis longtemps, et tendant à consacrer de grands principes communs au droit pénal et au droit administratif, dès lors que, dans les deux cas, sont prises des décisions en considération de la personne et qui affectent, parfois gravement, sa situation juridique. Dès lors, ce sont non seulement les droits de la défense qui sont atteints, mais aussi le principe d'égalité devant la loi. On attend avec impatience le probable recours devant. Hélas, le juge compétent est précisément le Conseil d'Etat, qui a certainement donné un avis favorable à ce texte dans sa formation administrative, et qui ne sera sans doute guère enclin à l'annuler dans sa formation contentieuse. Les administrés n'ont décidément pas de chance.


2 commentaires:

  1. Peut être conviendra-t-il de relever que le requérant, en matière sociale, bénéficiera d'un régime de recevabilité des requêtes plus souple (R 772-5 et suivants du CJA).
    il faudra alors attendre de voir ce qu'en fera le juge du premier degré (et s'il décide d'ouvrir sa jurisprudence, pour l'instant assez peu favorable au requérant)

    Mais sur le fond, franchement, on ne peut qu'être d'accord avec vos propos. Du coup, la suppression du timbre fiscal de 35 euros parait parfaitement hypocrite.

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  2. Drôle d'amalgame que de mettre sur le même plan les bénéficiaires d'aide sociale et les délinquants dans le dernier paragraphe.

    Quant à votre conclusion sur votre "impatience" ou la "chance" des justiciables, elle est difficile à articuler avec votre affirmation selon laquelle le décret est légal. De la part d'un juriste, s'entend.

    Enfin, plutôt qu'une pétition de principe, il aurait été intéressant d'étudier si l'appel devant les CAA avait été jusqu'à présent d'un intérêt réel pour les personnes concernées - intérêt qui irait au-delà de la simple jouissance que vous supposez chez tout un chacun à voir jugée une affaire qu'il a introduite, si possible plusieurs fois.

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