La lecture du Journal Officiel n'est
certainement pas l'activité préférée des Français, encore moins le 31
juillet. Ils ont tort, car cette austère publication, le 31 juillet
2013, portait à leur connaissance l'avis de
la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sur
l'indépendance de la justice. En moins d'une dizaine de pages, la Commission
livre à une analyse extrêmement sévère. Elle y dénonce une "justice en crise" et affirme que l'indépendance du pouvoir judiciaire a besoin d'être "refondée".
Rappelons
que la CNCDH est une commission consultative rattachée au Premier
ministre. Son statut n'est pas réellement celui d'une autorité
administrative indépendante, mais la loi du 5 mars 2007 précise
néanmoins qu'elle "exerce sa mission en toute indépendance".
D'une manière générale, elle joue un rôle de proposition dans le domaine
des droits de l'homme, tant auprès du parlement que du gouvernement.
Son avis peut être sollicité par le Premier ministre ou un membre du
gouvernement, mais elle peut aussi s'autosaisir, et attirer ainsi
l'attention des autorités sur un sujet qui lui semble important.
Une approche globale
C'est
précisément la voie choisie dans le présent avis. Le gouvernement a
certes engagé des réformes ponctuelles dans ce domaine, avec le projet
de loi relatif aux attributions du garde des
sceaux et des magistrats du ministère public déposé en mai 2013 devant
l'Assemblée nationale, sans compter le projet de loi constitutionnelle sur la modification du CSM, aujourd'hui abandonnée. La CNCDH a préféré une démarche
globale, portant sur l'indépendance de l'autorité judiciaire dans son
sens le plus large.
Le sujet peut surprendre comme d'ailleurs la sévérité des conclusions.
L'indépendance de la justice n'est-elle pas un principe reconnu par une
multitudes de normes ? Elle figure dans l'article 64 de la Constitution,
dans l'article 14 al 1 du Pacte des Nations Unies sur les droits civils
et politiques de 1966, dans l'article 6 de la Convention européenne des
droits de l'homme, dans l'article 47 de la Charte européenne des droits
fondamentaux etc... L'indépendance de la justice est donc, à première vue, un
principe solidement ancré dans notre droit positif. Méfions nous cependant de cette première impression, car l'accumulation des normes ne constitue pas une garantie de leur effectivité.
C'est
ce que démontre l'avis de la CNCDH qui étudie l'indépendance de la
justice, non pas à travers les normes, dans leur caractère proclamatoire,
voire incantatoire, mais à travers leur mise en oeuvre, à travers les pratiques qui sont celles du droit positif.
L'indépendance dans l'exercice de la fonction
Honoré Daumier. Les gens de justice. 1845 |
L'indépendance dans l'exercice de la fonction
Pour
la Commission, le déclin de l'indépendance du pouvoir judiciaire est
d'abord celui de l'indépendance des juges. Elle dénonce, au
premier chef, une remise en cause du travail de la justice, bien souvent par les politiques eux-mêmes. On songe évidemment, même s'il n'est pas formellement mentionné, à un ancien président de la République qui n'hésite pas à dénoncer la partialité d'un juge qui a osé le mettre en examen. On songe aussi au choix de retirer aux juges le contentieux Tapie pour engager un arbitrage considéré comme plus commode et sans doute plus avantageux pour le principal intéressé. Dans toutes ces pratiques, l'indépendance de la justice est tout simplement méprisée, et les juges qui ne se comportent pas en auxiliaires des politiques sont insultés ou écartés.
D'un autre côté, les dix dernières années ont été marquées par une dénonciation constante d'un prétendu laxisme de la justice que la CNCDH qualifie de "mythe". Ce discours a été utilisé pour réduire les prérogatives des juges sans que l'opinion s'en inquiète réellement. L'institution des "peines planchers" a ainsi été considérée comme un moyen de lutte contre la récidive, alors que son caractère dissuasif n'apparait pas clairement. Mais elle réduit en même temps le pouvoir d'appréciation des juges. De même, la procédure de comparution immédiate accélère la procédure mais réduit aussi le temps laissé au juge pour prendre connaissance du dossier. La plupart des affaires pénales sont aujourd'hui jugées sans instruction, selon une logique purement quantitative.
Celle-ci est renforcée par la mise en place d'indicateurs de performance centrés sur le nombre de dossiers traités. Le bon juge est celui qui éponge le plus grand nombre d'affaires. Pour être bien noté, il doit "systématiser" son travail dit pudiquement la Commission, c'est à dire rendre une justice de masse. L'autorité politique n'y trouve que des avantages. D'une part, la justice est plus rapide. D'autre part, le contrôle des juges est renforcé par une centralisation de la gestion de leurs performances.
L'indépendance du parquet
Plus classique est sans doute l'analyse de la CNCDH déplorant l'absence d'indépendance du parquet. La Cour européenne, dans le célèbre arrêt Moulin du 23 novembre 2010, n'a t elle pas refusé de considérer le procureur comme une "autorité judiciaire", dès lors qu'il se trouve subordonné au ministre de la justice ?
La Commission aborde cependant la question de manière originale, à partir du droit comparé. Dans une recommandation 2000-19, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a observé que certains pays ont un ministère public indépendant, alors que d'autres ont choisi un système où il est hiérarchiquement soumis au ministre de la justice et est donc considéré comme un fonctionnaire ordinaire. Le problème est que le droit français hésite entre les deux options : les magistrats du parquet son rattachés à l'autorité judiciaire en principe indépendante, mais ils demeurent soumis au Garde des sceaux par un lien hiérarchique.
L'évolution récente interdit de considérer les procureurs comme des fonctionnaires ordinaires soumis au pouvoir hiérarchique. Leurs fonctions proprement juridictionnelles se sont élargies, notamment en matière d'orientation vers la procédure de comparution immédiate. Aux yeux de la Commission, ce choix a de telles conséquences pour les prévenus qu'il "peut être considéré comme un pré-jugement". Les membres du parquet sont désormais dotés d'une fonction juridictionnelle de plus en plus importante, qui rend indispensable l'octroi d'un statut d'indépendance réelle. Une telle réforme n'aurait pas nécessairement pour conséquence de priver le ministère de la justice de son pouvoir d'orientation de la politique pénale. Les "instructions générales de politique pénale" pourraient être abandonnées au profit de "circulaires d'orientation générale", que les procureurs généraux et procureurs de la République pourraient adapter en tenant compte du contexte dans lequel ils exercent leurs fonctions.
Le renforcement des pouvoirs du CSM, un voeu pieux
Une telle évolution devrait se traduire, aux yeux de la CNCDH, par une réforme globale du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Sur ce point, on sent que le projet actuellement en cour ne la satisfait pas totalement. Elle souhaiterait que lui soit confié l'ensemble de la gestion des carrières des magistrats, qu'ils soient du siège ou du parquet. Sur le plan constitutionnel, la Commission propose d'ailleurs une modification de la rédaction de l'article 64 : le CSM serait le seul garant de l'indépendance de la justice, et non plus le Président de la République.
Toute cette analyse ressemble terriblement à un voeu pieux, une idée d'autant plus audacieuse que les membres de la CNCDH ne peuvent ignorer qu'elle n'aura aucun effet. Le 4 juillet 2013, le gouvernement a en effet annoncé officiellement qu'il suspendait la réforme du CSM que le Sénat avait vidée de sa substance. Désormais certain de ne pas disposer de la majorité des 3/5è indispensable à la révision constitutionnelle, le gouvernement a préféré abandonner le projet.
Doit-on en déduire que l'avis de la CNCDH est un pur exercice de style, et qu'il finira sur une étagère poussiéreuse, à côté de nombreux rapports oubliés et d'études savantes jamais lues ? Peut être, dans l'immédiat. Mais la pression de la Cour européenne risque, à tout moment, de reposer certaines questions, notamment celle de l'indépendance des magistrats du parquet. Et cette réforme du CSM qui ne trouve pas de majorité pour la voter devra peut-être être adoptée dans l'urgence, d'ici quelques mois ou quelques années. Surtout, la réflexion engagée par la CNCDH pourrait connaître quelques prolongements. A t elle l'intention de rendre un avis sur l'indépendance de la juridiction administrative et plus particulièrement du Conseil d'Etat ? Le sujet mériterait certainement que l'on s'y attache.
D'un autre côté, les dix dernières années ont été marquées par une dénonciation constante d'un prétendu laxisme de la justice que la CNCDH qualifie de "mythe". Ce discours a été utilisé pour réduire les prérogatives des juges sans que l'opinion s'en inquiète réellement. L'institution des "peines planchers" a ainsi été considérée comme un moyen de lutte contre la récidive, alors que son caractère dissuasif n'apparait pas clairement. Mais elle réduit en même temps le pouvoir d'appréciation des juges. De même, la procédure de comparution immédiate accélère la procédure mais réduit aussi le temps laissé au juge pour prendre connaissance du dossier. La plupart des affaires pénales sont aujourd'hui jugées sans instruction, selon une logique purement quantitative.
Celle-ci est renforcée par la mise en place d'indicateurs de performance centrés sur le nombre de dossiers traités. Le bon juge est celui qui éponge le plus grand nombre d'affaires. Pour être bien noté, il doit "systématiser" son travail dit pudiquement la Commission, c'est à dire rendre une justice de masse. L'autorité politique n'y trouve que des avantages. D'une part, la justice est plus rapide. D'autre part, le contrôle des juges est renforcé par une centralisation de la gestion de leurs performances.
L'indépendance du parquet
Plus classique est sans doute l'analyse de la CNCDH déplorant l'absence d'indépendance du parquet. La Cour européenne, dans le célèbre arrêt Moulin du 23 novembre 2010, n'a t elle pas refusé de considérer le procureur comme une "autorité judiciaire", dès lors qu'il se trouve subordonné au ministre de la justice ?
La Commission aborde cependant la question de manière originale, à partir du droit comparé. Dans une recommandation 2000-19, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a observé que certains pays ont un ministère public indépendant, alors que d'autres ont choisi un système où il est hiérarchiquement soumis au ministre de la justice et est donc considéré comme un fonctionnaire ordinaire. Le problème est que le droit français hésite entre les deux options : les magistrats du parquet son rattachés à l'autorité judiciaire en principe indépendante, mais ils demeurent soumis au Garde des sceaux par un lien hiérarchique.
L'évolution récente interdit de considérer les procureurs comme des fonctionnaires ordinaires soumis au pouvoir hiérarchique. Leurs fonctions proprement juridictionnelles se sont élargies, notamment en matière d'orientation vers la procédure de comparution immédiate. Aux yeux de la Commission, ce choix a de telles conséquences pour les prévenus qu'il "peut être considéré comme un pré-jugement". Les membres du parquet sont désormais dotés d'une fonction juridictionnelle de plus en plus importante, qui rend indispensable l'octroi d'un statut d'indépendance réelle. Une telle réforme n'aurait pas nécessairement pour conséquence de priver le ministère de la justice de son pouvoir d'orientation de la politique pénale. Les "instructions générales de politique pénale" pourraient être abandonnées au profit de "circulaires d'orientation générale", que les procureurs généraux et procureurs de la République pourraient adapter en tenant compte du contexte dans lequel ils exercent leurs fonctions.
Le renforcement des pouvoirs du CSM, un voeu pieux
Une telle évolution devrait se traduire, aux yeux de la CNCDH, par une réforme globale du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Sur ce point, on sent que le projet actuellement en cour ne la satisfait pas totalement. Elle souhaiterait que lui soit confié l'ensemble de la gestion des carrières des magistrats, qu'ils soient du siège ou du parquet. Sur le plan constitutionnel, la Commission propose d'ailleurs une modification de la rédaction de l'article 64 : le CSM serait le seul garant de l'indépendance de la justice, et non plus le Président de la République.
Toute cette analyse ressemble terriblement à un voeu pieux, une idée d'autant plus audacieuse que les membres de la CNCDH ne peuvent ignorer qu'elle n'aura aucun effet. Le 4 juillet 2013, le gouvernement a en effet annoncé officiellement qu'il suspendait la réforme du CSM que le Sénat avait vidée de sa substance. Désormais certain de ne pas disposer de la majorité des 3/5è indispensable à la révision constitutionnelle, le gouvernement a préféré abandonner le projet.
Doit-on en déduire que l'avis de la CNCDH est un pur exercice de style, et qu'il finira sur une étagère poussiéreuse, à côté de nombreux rapports oubliés et d'études savantes jamais lues ? Peut être, dans l'immédiat. Mais la pression de la Cour européenne risque, à tout moment, de reposer certaines questions, notamment celle de l'indépendance des magistrats du parquet. Et cette réforme du CSM qui ne trouve pas de majorité pour la voter devra peut-être être adoptée dans l'urgence, d'ici quelques mois ou quelques années. Surtout, la réflexion engagée par la CNCDH pourrait connaître quelques prolongements. A t elle l'intention de rendre un avis sur l'indépendance de la juridiction administrative et plus particulièrement du Conseil d'Etat ? Le sujet mériterait certainement que l'on s'y attache.
et si la dépendance de la justice à l'exécutif était une meilleure garantie que leur indépendance?? je préfère un procureur soumis à des ordres dont je peux deviner et dénoncer l'orientation à un procureur paré du prestige et de l'hermine immaculée de l'indépendance et qui agira en fonction de sa maîtresse, de ses amis, des marchandages entre différents dossiers avec avocats d'affaires, de contreparties illégales occultes, de liens corporatistes et syndicaux avec les membres du csm dont il dépendra pour sa carrière... La dépendance à l'exécutif, très visible, est la moins grave des dépendances.
RépondreSupprimerMerci de ce commentaire. Le problème est que cela suppose un exécutif qui ne soit pas celui d'une république bananière d'Europe du Sud remplie d'amis de 30 ans d'un président disons S comme président (imaginaire bien sûr) qui sont des bras cassés de la délinquance...
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