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vendredi 24 mai 2013

La révision d'un procès pénal : Le crime était presque parfait

La Chambre criminelle de la Cour de cassation, siégeant comme cour de révision le 15 mai 2013, vient de rendre une décision qui reste exceptionnelle. Elle fait droit en effet à une requête en révision introduite par Abdelkader Azzimani et Abderrahim El Jabri, et annule la décision de la cour d'assises des Pyrénées orientales du 23 juin 2004 qui les condamnait en appel chacun à vingt années d'emprisonnement, pour un crime commis à Lunel en 1997. 

Le profil idéal

Les deux condamnés présentaient, il est vrai, le profit idéal. Trafiquants de drogue, ils étaient les derniers à avoir vu la victime vivante, un petit dealer de cannabis, accusé d'être peu scrupuleux tant avec ses clients qu'avec ses fournisseurs. Frappé de plus d'une centaine de coups de couteaux, son corps avait été retrouvé dans un fossé. Les policiers chargés de l'enquête ont donc suivi la piste du règlement de compte, et ils ont appréhendé Abdelkader Azzimani et Abderrahim El Jabri, déjà poursuivis pour trafic de stupéfiants. Toute une série d'éléments les accablent : une forte somme d'argent trouvée au domicile de l'un des accusés, un rendez vous avec la victime le soir même du crime pour lui fournir du cannabis, et enfin un témoin qui affirme avoir vu la victime portant des tâches de sang sur le torse, soutenue par les deux accusés dans un chemin proche où il circulait en voiture. Devant ces preuves accablantes, le jury d'assises de l'Hérault n'a donc pas hésité à prononcer une peine sévère en mai 2003, confirmée en appel par la Cour d'assises des Pyrénées orientales en 2004. Le pourvoi en cassation a ensuite été rejeté en 2005.

La presse va cependant s'intéresser à ces condamnés qui persistent à clamer leur innocence, et leur famille louer les services d'un détective privé. Le maillon faible réside dans le témoin oculaire, qui affirme avoir assisté à l'altercation entre la victime et les condamnés, et qui finalement se rétracte devant les caméras de FR3. Une nouvelle information est donc confiée à un autre juge d'instruction en 2009. Et c'est seulement en 2010 qu'une expertise ADN permet de déceler sur le véhicule de la victime les traces d'une autre personne. L'audition de cette dernière a enfin conduit à identifier deux complices qui avouent l'assassinat, pour des motifs également liés au trafic de drogue.

Le faux coupable. Alfred Hitchcock. 1956


L'erreur judiciaire : une pluralité de causes

Toutes les affaires conduisant à une révision portent la marque de l'erreur judiciaire, qui est généralement le résultat d'une pluralité de causes. Celle-ci ne fait pas exception. L'enquête s'est orientée très tôt, vers le suspect le plus évident, se fiant entièrement à un témoin oculaire, et éliminant de manière prématurée d'autres pistes possibles. D'autre part, les moyens de police scientifique étaient beaucoup plus sommaires en 1997 qu'aujourd'hui. On ne savait pas, à l'époque, traiter les mélanges d'ADN qui avaient été découvert sur la voiture de la victime. Enfin, il faut bien le reconnaître, la chance n'est pas absente de la procédure de révision. En l'espèce, l'enregistrement du profil ADN du coupable sur le fichier des empreintes génétiques avait été réalisé en 2009, ce qui a permis son identification en 2010.

Un fait nouveau de nature à faire naître un doute

Ces preuves scientifiques, la rétractation du témoin principal et les aveux des vrais coupables constituent à l'évidence "un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné". Cette formulation de l'article 622-4 du code de procédure pénale est issue de la loi du 23 juin 1989 est plus libérale que l'ancien texte qui affirmait que ce "fait nouveau ou pièce inconnue" devait être "de nature à établir l'innocence du condamné". 

Du doute à la certitude

Comme dans la présente affaire, le juge n'hésite pas à admettre ce doute lorsqu'un tiers a avoué être l'auteur du crime. Tel était le cas dans l'affaire Marc Méchin, après qu'un SDF ait spontanément reconnu être l'auteur de l'assassinat d'une jeune femme, près du Pont de Neuilly. La Cour de révision a donc fait droit à sa demande dans une décision du 13 avril 2010. Tel est le cas aussi lorsque la victime reconnaît avoir porté de fausses accusations. Dans une décision du même jour, le 13 avril 2010, la Cour de révision annule la condamnation à seize ans de réclusion d'un homme accusé à tort de violences sexuelles par une adolescente de quatorze ans, qui s'est rétractée huit années plus tard. Tel est le cas enfin lorsque la condamnation repose sur l'unique déposition d'un témoin, contredite par un ensemble de témoignages postérieurs au jugement.

De cette jurisprudence, au demeurant très peu abondante, on déduit que les faits nouveaux ne sont pas vraiment "de nature à faire naître un doute". Ils établissent en réalité la preuve éclatante de l'innocence du condamnant, le plus souvent en démontrant la culpabilité d'un tiers. Les juges se montrent ainsi plus exigeants que la loi.

En témoigne la célèbre affaire Patrick Dils (décision de la Cour de révision du 3 avril 2001). Dans ce cas, le doute sur la culpabilité de Dils venait de la présence sur les lieux de l'assassinat de deux enfants, d'un tueur en série, Francis Heaulme, dont les crimes avaient été découverts après le procès. En soi, cependant cette présence ne suffisait pas à semer le doute sur la culpabilité de Dils. Après ouverture d'une nouvelle instruction, ce sont des preuves de police scientifique apportée par l'Institut de recherches criminelles de la gendarmerie (IRCGN) qui ont permis de démontrer l'innocence de Dils. Là encore, l'exigence du doute s'est transformée en exigence de la preuve de l'innocence. 

Lorsque cette preuve de l'innocence du condamné n'est pas apportée, force est de constater que le doute ne suffit pas toujours à entraîner une décision de révision. C'est ainsi que, dans une décision du 21 mars 1994, la Cour estime que les contradictions des témoignages, ou les silences inexpliqués des témoins ne sont pas considérés comme suffisants pour remettre en cause une condamnation. Il est vrai que la révision était, dans ce cas, demandée en matière correctionnelle. De la même manière, et en matière criminelle cette fois, la Cour estime, à propos de la demande de révision du célèbre procès Seznec, que les failles de l'instruction et les défauts d'une enquête remontant à 1923 ne suffisent pas à justifier une révision. Aujourd'hui, dans l'affaire Omar Raddad, la Cour de révision a considéré, le 20 novembre 2002, que la présence de plusieurs traces ADN sur les lieux du crime ne suffisait pas à semer le doute sur la culpabilité du jardinier de la victime, dans la mesure où les experts ne pouvaient dire à quel moment ces empreintes avaient été laissées.

Procédure : le filtre de la commission de révision

La révision d'un procès pénal est donc rare, d'autant plus rare que la loi du 17 mai 2011 a modifié l'article 623 du code de procédure pénale, pour permettre au Président de la commission de révision de rejeter par ordonnance motivée toute demande "manifestement irrecevable". Cet examen préalable par une commission de révision peut donc interrompre immédiatement et durablement la procédure. A l'inverse, elle peut aussi conduire à prouver l'innocence du condamné, puisque cette commission peut prendre des actes d'instruction. Elle peut même décider la suspension de l'exécution de la condamnation, lorsque la probabilité du succès de la demande en révision apparaît très élevée, par exemple lorsqu'un tiers est passé aux aveux, ou lorsque la victime s'est rétractée.

Le renvoi

Reste que la décision de révision elle même pose tout de même un problème. D'une manière générale, la Cour de révision décide la révision et procède au renvoi devant une Cour d'assises pour un nouveau procès. Cette procédure résulte de la distinction entre le rescindant et le rescisoire, qui signifie que la Cour de révision se prononce exclusivement sur les cas d'annulation de la procédure, et que la Cour d'assises doit intervenir de nouveau pour proclamer la vérité judiciaire, à partir des faits de l'espèce. 

Le problème est que les justiciables, et plus généralement l'opinion publique, ne comprennent pas très bien la distinction entre le rescindant et le rescisoire. Ils ne voient donc pas la raison pour laquelle on procède à de nouveaux débats pour prononcer une innocence judiciaire déjà établie. Ceci alors même que la loi autorise une annulation sans renvoi, lorsqu'il est impossible de procéder à de nouveaux débats, par exemple lorsque le condamné est décédé ou les faits prescrits. Serait-il totalement impossible de généraliser ce principe de l'annulation sans renvoi, et d'épargner à celui ou celle qui est déjà victime d'une erreur judiciaire une ultime comparution devant les juges ?

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