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dimanche 2 décembre 2012

Les corporations d'Alsace Moselle, la liberté d'entreprendre, et la langue française

La décision Christian S., rendue par le Conseil constitutionnel le 30 novembre 2012 porte sur la conformité à la Constitution de certaines dispositions du droit d'Alsace-Moselle. Ce droit local suscite, il faut le constater, un regain d'intérêt depuis la décision du 5 août 2011. Le Conseil constitutionnel avait alors assuré sa pérennité en faisant de son maintien dans les trois départements du Bas Rhin, du Haut Rhin et de la Moselle un principe fondamental reconnu par les lois de la République, c'est à dire un principe à valeur constitutionnelle. 

La décision du 30 novembre 2012 porte sur l'affiliation obligatoire des artisans de ces départements, qu'ils soient chefs d'entreprise ou salariés, à des corporations. Le requérant, artisan lui-même, conteste devant le juge administratif différents ordres de paiement qui lui ont été adressés par la corporation des électriciens. Déjà adhérent de celle des chauffagistes, il refuse de s'acquitter d'une seconde cotisation. A l'occasion de ce contentieux, il conteste la constitutionnalité du droit local. Cette organisation professionnelle trouve en effet son origine dans les dispositions d'une loi d'Empire du 26 juillet 1900 créant un "Code des professions", que la loi du 1er juin 1924 maintient formellement en vigueur. 

La liberté d'association mise à l'écart

Curieusement, les avocats du requérant se sont essentiellement appuyés, du moins dans leur plaidoirie, sur la liberté d'association. A leurs yeux, les corporations d'Alsace Moselle n'ont rien à voir avec un ordre professionnel, dès lors que les professions concernées ne sont pas réellement réglementées. Il suffit d'ouvrir un commerce pour les exercer, et la corporation se borne à définir des règles professionnelles, notamment en matière d'apprentissage, d'examens professionnels, ou de caisses de secours. Ils en déduisent que ces corporations sont assimilables à des associations, et que la liberté d'association implique le droit de ne pas adhérer. 

Le Conseil constitutionnel ne se donne pas la peine d'examiner ce moyen. D'abord parce qu'il n'est pas fondé, dès lors que ces corporations ont en fait le statut d'établissement public administratif, qu'elles sont dotées de prérogatives de puissance publique, et soumises à la tutelle préfectorale. Depuis, l'arrêt Association syndicale du Canal de Gignac rendu par le Tribunal des conflits en 1899, le droit positif fait clairement la distinction entre l'association et l'établissement public. Alors que la première relève du droit privé, le second relève du droit administratif. En l'espèce, l'adhésion obligatoire aux corporations du droit local d'Alsace Moselle ne saurait être considérée comme une atteinte à la liberté d'association, tout simplement parce qu'elles ne sont pas des associations, au sens de la loi de 1901. 

Artisanat alsacien
Hansi. 1873-1951

La liberté d'entreprendre

En tout état de cause, le Conseil constitutionnel n'a pas besoin de se référer à la liberté d'association, car il préfère abroger les dispositions contestées pour violation de la liberté d'entreprendre. Cette question n'avait guère été débattue à l'audience, sans doute parce qu'il est entendu que cette liberté n'est ni générale, ni absolue. Depuis sa décision du 16 janvier 2001, le Conseil constitutionnel affirme que la liberté d'entreprendre trouve certes son fondement dans l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, mais que le législateur peut lui apporter des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général.

Par voie de conséquence, le Conseil exerce un contrôle de proportionnalité, dans lequel il apprécie la conciliation opérée par le législateur entre la liberté d'entreprendre et les motifs d'intérêt général invoqués pour justifier les limitations apportées à son exercice. Ce contrôle ne conduit cependant que très rarement à une déclaration d'inconstitutionnalité. 

C'est pourtant le cas dans la décision Christian S. En l'espèce, le Conseil fait observer que la liberté d'entreprendre comporte deux facettes bien distinctes. La liberté d'établissement  n'est effectivement pas menacée en l'espèce, dès lors que l'affiliation obligatoire à la corporation ne conditionne pas l'accès à la profession d'artisan, mais en découle. En revanche, les conditions d'exercice de l'activité professionnelle sont directement en cause, puisque la corporation élabore des règles professionnelles, exerce un droit de contrôle et de sanction, toutes activités qui imposent des sujétions très lourdes à ses membres.

Dès lors, le Conseil exerce son contrôle de proportionnalité et constate que l'existence de ces corporations ne répond pas réellement à un motif suffisant d'intérêt général. En effet, elles viennent s'ajouter aux structures existantes, semblables à celles qui existent dans les autres départements non soumis au droit local. Autrement dit, pourquoi avoir des corporations, dès lors que les chambres de métiers remplissent déjà une fonction d'organisation de l'artisanat ? Ce n'est donc pas l'adhésion obligatoire à la corporation qui est inconstitutionnelle, mais le caractère redondant de l'institution elle-même.

Cette inconstitutionnalité, qui prend effet immédiatement, permet de préciser la portée de la décision antérieure relative au droit local, celle du 5 août 2011. Le caractère spécifique du droit local est consacré comme PFLR, mais cette garantie n'empêche pas que certaines dispositions de ce même droit alsacien mosellan puissent être déclarées inconstitutionnelles. 

Clarté et intelligibilité de la loi

Encore faut il pouvoir les comprendre, pour être en mesure de les contester. La décision du Conseil constitutionnel commence, de manière un peu déconcertante, par une longue citation en langue allemande des dispositions législatives contestées. Le Conseil ne pouvait guère faire autrement, puisqu'il n'existe aucune traduction authentique de ces dispositions.

On sait qu'en vertu d'une jurisprudence constante, l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ne peut être invoqué à l'appui d'une QPC (voir, par exemple, la décision du 12 octobre 2012). Dans un considérant parfaitement inutile, puisque les motifs d'inconstitutionnalité ont déjà été formulés, le Conseil énonce cependant l'une de ces interprétations constructives dont il a le secret. Il affirme en effet que l'objectif d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi pourrait, à titre exceptionnel, être invoqué lors d'une QPC s'il s'analysait comme une violation de l'article 2 de la Constitution, selon lequel "la langue officielle de la République est le français".

Le Conseil rappelle que, dans l'affaire qu'il examine, il n'y a pas lieu de s'interroger sur cette éventuelle violation de l'article 2, puisque le manquement à la liberté d'entreprendre est venu, fort opportunément, offrir un fondement d'inconstitutionnalité plus commode. Il n'empêche que les autorités françaises doivent comprendre le message et offrir en effet une traduction officielle aux règles du droit local qui n'en bénéficient pas encore. 

Ce considérant superflu sonne un peu comme un avertissement. Souvenons-nous que François Hollande a fait figurer parmi ses promesses de campagne la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Pour le Conseil constitutionnel, les langues minoritaires peuvent évidemment être enseignées et parlées librement. Mais elles ne sauraient se substituer à la langue française dans la rédaction des actes juridiques. Il n'est pas mauvais de prendre quelques précautions dans ce domaine. 


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