L'action en diffamation engagée par Valérie Trierweiler à l'encontre des auteurs du livre "La Frondeuse" se présente, sur le plan juridique, comme un procès ordinaire, si ce n'est que l'intéressée produit en justice des attestations signées de François Hollande et de Manuel Valls.
Les journalistes vertueux, et les constitutionnalistes d'occasion dénoncent aussitôt un épouvantable scandale, le Président de la République étant accusé de violer le principe de séparation des pouvoirs. L'accusation est grave, très grave même, et on attend quelques arguments juridiques destinés à l'étayer. Mais on applique le principe : "Plus c'est gros, plus ça passe". On procède par affirmation, sans se soucier outre-mesure de l'argumentaire juridique. Tout au plus invoque-t-on l'article 64 de la Constitution, selon lequel "le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire". Sans doute, mais a-t-il pour autant violé la séparation des pouvoirs ?
Le procès en diffamation
Rappelons d'abord que toute action en diffamation suppose la production devant le juge d'un dossier solide. Elle impose, nous dit la Cour de cassation, dans un arrêt du 14 février 2006, l'"articulation précise de faits de nature à être, sans difficultés, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire". La personne qui s'estime diffamée doit donc faire état de "faits précis", et s'efforcer d'en administrer la preuve. La défense pourra ensuite, grâce à ce qu'il est convenu d'appeler "l'exception de vérité", démontrer, si elle le peut, la vérité des faits allégués. L'action en diffamation s'appuie donc, fort logiquement, sur des témoignages divers, des attestations souvent nombreuses, des éléments de preuve aussi solides que possible.
Rien de surprenant donc dans le dossier de Valérie Trierweiler, si ce n'est qu'elle est la compagne du Président de la République et qu'elle est bien obligée d'aller chercher les preuves de la diffamation auprès des personnes citées dans le livre. En l'espèce, elle produit, parmi d'autres, des attestations signées de François Hollande et de Manuel Valls. Le premier dénonce comme "pure affabulation" la mention, par les auteurs, d'"une prétendue lettre jamais écrite et donc jamais parvenue à son prétendu destinataire". Le second affirme que les propos qui luis sont attribués sont "souvent approximatifs, partiels et sortis de leur contexte", et que certains n'ont même pas été tenus.
Ces deux lettres ont pour objet commun d'établir des "faits précis", ceux là mêmes qu'il convient de mettre en évidence dans une action en diffamation. Il s'agit de témoignages qui n'ont pas pour objet de formuler une quelconque demande auprès du juge, d'autant que les deux signataires ne sont pas eux mêmes requérants. Le fait de témoigner peut-il donc emporter une violation de la séparation des pouvoirs ?
Les Guignols de l'Info. Canal +. 25 septembre 2012
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L'Autorité judiciaire
Observons d'emblée que la notion de séparation des pouvoirs n'implique pas, en droit français, une séparation stricte entre les différentes fonctions de l'Etat, et les différents organes qui les exercent. L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen mentionne seulement que "Toute société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution".
Dans le cas qui nous intéresse, c'est à dire l'éventuel empiètement du pouvoir exécutif sur la fonction juridictionnelle, la séparation est même très souple. C'est si vrai que la Constitution de 1958 ne mentionne pas de "pouvoir" judiciaire. Son titre VIII traite "De l'autorité judiciaire", et l'article 64, si souvent cité par ceux qui accusent François Hollande mentionne, de la même manière, que le Président est garant de l'indépendance "de l'autorité judiciaire". Il est clair qu'à leurs yeux, cette différence de terminologie est sans importance, à moins tout simplement qu'ils ne l'aient pas remarquée.
L'article 67 de la Constitution pose le principe d'irresponsabilité du Président pour les actes liés à ses fonctions. Pour les autres, les actes non liés à ses fonctions, ce même article précise que le Président, durant son mandat, "ne peut être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite". Il n'y a donc pas immunité, mais simple privilège de juridiction, puisque les juges doivent attendre la fin de son mandat pour entendre le Chef de l'Etat. Monsieur Sarkozy connaît bien cette règle, puisque le juge Gentil a attendu la fin de son mandat pour l'auditionner dans l'affaire Bettencourt.
L'article 67 mentionne donc que le Président ne peut être "requis", mais aucune disposition ne lui interdit d'intervenir volontairement, précisément pour témoigner. La Cour de cassation, le 15 juin 2012, a même accepté qu'un Président de la République puisse se porter partie civile dans une instance pénale. Il faut reconnaître que cette décision est beaucoup plus choquante sur le plan de la séparation des pouvoirs. En effet, dans notre système juridique, cela signifie que le Président peut se présenter comme victime auprès du juge pénal et, en même temps, charger le Garde des Sceaux de donner des directives au procureur. Souvenons que, dans l'affaire Clearstream, Nicolas Sarkozy s'était porté partie civile en première instance. Après la relaxe de Dominique de Villepin, il y avait renoncé, mais le parquet, lui, avait fait appel. De sa propre initiative ? Ou sur instruction ? En tout cas, à l'époque, les journalistes vertueux n'avaient guère protesté contre cette situation.
L'égalité des armes
Dans le procès qui oppose Valérie Trierweiler à ses deux biographes, le Président de la République comme d'ailleurs le ministre de l'intérieur, n'est pas partie à l'instance. Il apporte un simple témoignage qui sera versé au dossier, parmi d'autres.
Ceux qui le critiquent avec une telle vivacité devraient peut-être essayer de se poser la question a contrario. Imaginons un instant que Valérie Trierweiler ne puisse présenter aucun témoignage de ceux qui sont mis en cause dans l'ouvrage attaqué, pour la seule et unique raison qu'ils appartiennent au pouvoir exécutif. Dès lors qu'elle est la compagne du Chef de l'Etat, elle se verrait dans l'impossibilité matérielle d'apporter au juge ces "faits précis" qui caractérisent les poursuites en diffamation. Ses adversaires, en revanche, modestes journalistes qui n'ont dans la vie qu'un seul idéal d'information citoyenne et qui ne cherchent pas du tout à gagner de l'argent en exhibant la vie privée de Valérie Trierweiler, pourraient produire toutes les pièces possibles devant le juge. Il y aurait alors violation du principe d'égalité des armes garanti par la Convention européenne des droits de l'homme. Mais à l'égalité des armes, nos journalistes préfèrent plutôt la grosse artillerie du "Hollande Bashing".
Plutôt d'accord avec vous sur le cas Hollande... Mais qu'en est-il de Manuel Valls, qui a écrit en tant que Ministre de l'Intérieur, sur papier à en-tête de la place Beauvau ?
RépondreSupprimerNe ce qui concerne Sarko et Clearstream il y a eu levé de boucliers de toute la presse. Il y a principe de violation du principe d'égalité et c'est la raison pour laquelle elle ferait mieux de s'abstenir. Quand au Hollande Bashing, il n'a besoin de personne, il se bache tout seul.
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