La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) est actuellement au coeur du débat public. Elle a eu l'outrecuidance de rejeter le compte de campagne de Nicolas Sarkozy, décision qui suscite l'irritation de l'UMP. Sur ce point, la Commission peut d'ailleurs se vanter d'être parvenue à réaliser le consensus au sein de ce parti, ce qui n'est pas un mince succès par les temps qui courent.
Quelles sont donc les accusations formulées à l'égard de cette malheureuse autorité administrative indépendante (AAI) ? On s'en doute, elle est justement accusée de ne pas être indépendante, et c'est précisément ce point qu'il convient d'éclaircir.
La qualification d'AAI
Le terme d'"autorité administrative indépendante" trouve son origine dans la loi du 6 janvier 1978, pour qualifier la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). Depuis, cette date, la formule a connu une immense succès, au point d'investir les secteurs les plus divers, du CSA à Hadopi, en passant par la Commission de prévention et de lutte contre le dopage, sans oublier le Défenseur des droits, et, bien entendu, la CNCCFP. La loi du 15 janvier 1990 qui a créé cette dernière, ne l'avait pas expressément qualifiée d'autorité administrative indépendante. Cette qualification est venue a posteriori, d'abord dans le rapport du Conseil d'Etat de 2001, qui fait figurer la CNCCFP dans la liste qu'il établit des autorités administratives indépendantes. L'ordonnance du 8 décembre 2003 portant simplification administrative en matière électorale est ensuite venue entériner ce choix.
Composition
Dans tous les cas, l'indépendance de l'autorité est garantie par un statut qui la place en dehors de la hiérarchie administrative traditionnelle. C'est bien le cas de la CNCCFP, qui ne reçoit aucune injonction du gouvernement. S'ils sont nommés par décret du Premier ministre, ses neuf membres ne sont pas pour autant désignés par l'Exécutif. Trois sont membres (ou membres honoraires) du Conseil d'Etat, désignés sur proposition du vice président du Conseil d'Etat, après avis du bureau. Trois sont membres (ou membres honoraires) de la Cour de cassation, désignés sur proposition du premier président de la Cour, après avis du bureau. Trois enfin sont membres (ou membres honoraires) de la Cour des comptes, désignés sur proposition du premier président de la Cour, après avis des présidents de Chambre (art. L 52-14 c. élec.).
L'actuelle composition de la Commission montre que ses membres sont nés entre 1931 et 1942, qu'ils ne semblent pas avoir faire de carrière politique, ni avoir d'ambition à court terme dans ce domaine. Désignés pour un mandat de cinq ans, ils ont été nommés en 2010, par un décret signé de M. François Fillon. Dans ces conditions, les critiques fondées sur le soutien indéfectible de la Commission à l'administration socialiste ont quelque chose de comique.
Les saisines
Il est vrai que la Commission avait été saisie par le Parti Socialiste, avant même le scrutin présidentiel. Le 29 novembre 2011, Daniel Vaillant et le député Pascal Terrasse avaient, en effet, déposé un recours pour alerter la CNCCFP sur le financement de certaines activités du Président Sarkozy, considérées comme purement électorales. En février 2012, ils ont précisé leur démarche, en contestant les déplacements du Président en exercice à Toulon (1er décembre 2011), Lavaur (7 février 2012) et à la centrale de Fessenheim (9 février 2012). La Commission est en effet compétente pour apprécier si ces déplacements avaient une visée électorale, et visaient notamment à "exposer les éléments d'un programme de futur candidat". C'est exactement ce qu'elle vient de faire, en réintégrant dans le compte de campagne de Nicolas Sarkozy certains déplacements effectués par le "candidat présumé". De fait, le plafond de 22, 509 millions d'euros fixé pour l'élection de 2012 se trouve dépassé, et le CNCCFP est fondé à demander le remboursement de la différence.
Visite pas du tout électorale de Nicolas Sarkozy à Fessenheim
Le 9 février 2012, voyage officiel avant sa déclaration de candidature
Le CSA s'était livré à une appréciation comparable, lorsque, dans une recommandation du 30 novembre 2011, il a réintégré le temps de parole du "candidat présumé" dans celui du "candidat déclaré", tenant compte ainsi de l'utilisation des médias par Nicolas Sarkozy à des fins électorales, alors qu'il n'avait pas encore officiellement fait acte de candidature. Dès lors que le CSA avait admis la réintégration des interventions électorales du Président exercice dans son temps de parole de candidat, il n'était tout de même pas absurde de demander à la CNCCFP de se livrer à une analyse identique, cette fois sur le plan des dépenses électorales.
A l'époque, l'UMP semblait d'ailleurs avoir grande confiance dans la CNCCFP. Son secrétaire national en charge de la communication, Franck Riester, a en effet saisi la Commission, en novembre 2011, "afin de déterminer, si dans le cadre des primaires socialistes, les dépenses engagées par les chaînes de télévision et de radio doivent, ou non, être intégrées dans le compte de campagne du candidat socialiste".
Le recours de l'UMP n'a pas abouti, contrairement à celui du PS. C'est d'ailleurs parfaitement logique, car ce n'est pas le PS qui décidait de la couverture médiatique de ses primaires, alors que c'est bien le "candidat présumé" qui décidait de ses déplacements électoraux. Autrement dit, le candidat de droite était ordonnateur de sa dépense, alors que celui de gauche ne l'était pas.
Le recours
Bien entendu, la CNCCFP, comme toutes les autorités indépendantes, prend des décisions qui peuvent faire l'objet d'un contrôle contentieux. Dans le cas particulier de l'élection présidentielle, la loi organique du 5 avril 2006, qui ne fut pas votée par la gauche, prévoit que le recours contre une décision de refus de validation du compte de campagne est examiné par le Conseil constitutionnel.
Celui-ci est saisi, dans le délai d'un mois après la décision de la Commission. Contrairement à ce qu'affirme l'UMP dans les médias, ce n'est le parti qui fait le recours, mais le "candidat concerné" (art. 3 de la loi de 2006). Nicolas Sarkozy va donc saisir le Conseil constitutionnel, dont il est membre. La situation pourrait faire rire. Alors que l'UMP est intarissable sur la malheureuse autorité indépendante considérée comme un suppôt du PS, cette même UMP ne semble pas choquée que l'ancien Président soit membre d'une juridiction devant laquelle il est requérant. Dans ce qu'elle a d'absurde, cette situation montre bien l'urgente nécessité d'une réforme de la composition du Conseil constitutionnel permettant d'en exclure les membres de droit.
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