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mercredi 21 novembre 2012

Dissolution de l'Institut Civitas, sur quel fondement juridique ?

Six députés du PS, Patrick Menucci, Yann Galut, Jérôme Guedj, Sébastien Denaja, Nicolas Bays et Anne-Yvonne Le Dain, ont écrit une lettre à Manuel Valls, ministre de l'intérieur, pour lui demander la dissolution immédiate de l'Institut Civitas, mouvement organisateur de la manifestation du 18 novembre 2012. Pas de liberté pour les ennemis de la liberté, comme disait Saint Just. Une telle demande s'analyse cependant comme une simple posture politique, car les auteurs de cette lettre savent certainement qu'aucun fondement juridique sérieux ne peut être invoqué pour justifier une telle atteinte à la liberté d'association. 

Geste d'humeur et analyse juridique

L'Institut Civitas, dont l'objet est la "restauration de la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus Christ",  est surtout connu pour son intégrisme religieux. Et on a tendance à considérer que ceux qui manifestent en faveur des libertés sont plus sympathiques que  ceux qui protestent contre l'octroi d'une nouvelle liberté. Tout cela est vrai, mais il n'en demeure pas moins que la dissolution d'une association n'est pas le résultat d'un geste d'humeur. L'article 3 de la célèbre loi du 1er juillet 1901 énonce que "toute association fondée sur une cause ou un vue d'un objet illicite, contraire aux lois, aux bonnes moeurs, ou qui aurait pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national et à la forme républicaine du gouvernement, est nulle et de nul effet"

Ces dispositions sont à l'origine d'une double procédure de dissolution, judiciaire ou administrative. Le problème est que, dans l'un ou l'autre cas, les conditions posées par le droit positif ne semblent guère applicables au cas de l'Institut Civitas.

Dissolution judiciaire

Comme son nom l'indique, la dissolution judiciaire d'une association est prononcée par le tribunal de grande instance. Celui-ci peut être saisi par toute personne qui y a intérêt, et notamment le préfet. Ce type de dissolution ne peut cependant intervenir que dans quelques hypothèses limitativement énumérées par la loi. La plus fréquente réside dans l'existence d'un conflit sérieux et permanent entre les membres, rendant impossible la poursuite des activités. Le juge ne fait alors que sanctionner la disparition de l'"affectio societatis", ce lien associatif qui unit les membres. Inutile de dire que cette condition n'est pas remplie dans le cas de l'Institut Civitas, car ses membres sont au contraire très solidement unis autour de leur refus du mariage pour tous. 

La seconde hypothèse, plus rare, est l'illicéité de l'objet de l'association, qui conduit ses membres à commettre des infractions pénales. Tel est le cas, par exemple, d'une association de malfaiteurs, illicite selon l'article 450-1 du Code pénal. Depuis la loi du 24 novembre 2009, il est également possible de prononcer la dissolution judiciaire d'un mouvement sectaire, dès lors que ses dirigeants ont été condamnés par le juge pénal.

L'Institut Civitas pourrait il être considéré comme une secte ? Certainement pas si l'on considère que le droit français ne sanctionne pas les organisations en tant que telles, mais les "dérives sectaires". Ces dernières sont définies à travers les infractions pénales commises par ces mouvement, qu'il s'agisse de la simple escroquerie ou des "activités ayant pour but de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique des personnes qui participent à ces activités". Pour la loi About Picard du 12 juin 2001, le mouvement sectaire est celui qui est dangereux pour ses propres adeptes. Tel n'est pas le cas de l'Institut Civitas, dont les membres adhèrent librement au mouvement intégriste catholique. Le rapport Gest, publié en 1996 par la Commission d'enquête parlementaire chargée d'étudier les phénomènes sectaires ne fait d'ailleurs pas figurer cette organisation au nombre des sectes considérées comme dangereuses, alors même que l'Institut Civitas a été créé en 1988, lorsque Monseigneur Lefèbvre fonda la Fraternité Saint Pie X, en opposition au Concile Vatican II. 



Le Petit Monde de Don Camillo. Julien Duvivier. 1952


Dissolution administrative

L'Institut Civitas pourrait-il alors faire l'objet d'une dissolution administrative, par décision du ministre de l'intérieur ?  Là encore cependant, la dissolution est enfermée dans des conditions très rigoureuse. 

La loi du 10 janvier 1936 relative aux groupes de combat et aux milices privées constitue le fondement juridique de ce type de décision. Elle trouve son origine dans les émeutes du 6 février 1934, initiées par des groupes armés désireux de s'en prendre à la République. La loi de 1936 prévoit donc qu'une association peut être dissoute si elle participe ou provoque à des manifestations armées dans la rue, si elle a pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire ou à la forme républicaine du régime, ou encore si elle incite à la discrimination ou au terrorisme.  

Il serait très excessif de considérer que l'Institut Civitas menace la République ou constitue une milice armée. Les seules armes que l'on ait vu lors de la manifestation du 18 novembre étaient les gros bras d'un service d'ordre dont on ne sait d'ailleurs pas si ses membres appartenaient à l'Institut Civitas ou à d'autres groupes d'extrême droite. Le fait que Caroline Fourest et quelques militantes de Femen aient été légèrement molestées, avant d'être prudemment exfiltrées par les forces de l'ordre, est certainement fâcheux et peu à l'honneur de manifestants censés résister aux provocations, même de mauvais goût. Leur foi ne leur enseigne-t-elle que l'on doit tendre l'autre joue, au lieu d'envoyer son poing dans la figure ? Quoi qu'il en soit, ces incidents ne dépassent guère ceux que l'on rencontre régulièrement dans les manifestations. Aussi fâcheux soient-ils, ils n'ont pas pour objet, ni pour effet, de porter atteinte à la République, les armes à la main.

Certains préfèrent se fonder sur une idéologie raciste et discriminatoire qui serait diffusée par l'Institut Civitas. Bien entendu, on a pu entendre, certainement, quelques slogans homophobes lors de la manifestation. Mais, pour décider une dissolution, il convient de démontrer que le mouvement développe des idées racistes et discriminatoires dans son programme, dans ses interventions de toutes sortes. Or, cette preuve est bien difficile à apporter. Il est vrai que l'Institut Civitas s'élève contre l'idéologie des droits de l'homme, considérée comme diabolique car substituée aux droits de Dieu, les seuls légitimes. Mais cette thèse est sensiblement celle que développait l'Eglise jusqu'à la moitié du XXè siècle. Elle n'est ni raciste, ni discriminatoire. Elle est seulement marquée par un obscurantisme d'un autre âge. 

Il faudrait encore ajouter, pour être précis, qu'une loi plus récente du 5 juillet 2006 autorise la dissolution par décret des associations de supporters sportifs, lorsque leurs membres ont commis des actes répétés de dégradations de biens, de violences sur les personnes ou encore d'incitation à la haine ou à la discrimination. On conviendra cependant que les membres de l'Institut Civitas peuvent difficilement être assimilés à des supporters de football. 

L'analyse conduit donc à une seule conclusion : la dissolution de l'Institut Civitas ne saurait reposer sur un fondement légal, en l'état actuel du droit. Doit-on le déplorer ? Certes non, car il est toujours préférable d'entendre des manifestants crier des slogans qui n'ont pas notre sympathie plutôt que de porter une atteinte définitive à la liberté d'association et d'expression. La dissolution ne serait d'ailleurs sans doute pas le meilleur moyen de les convaincre des vertus de l'idéologie des droits de l'homme.


3 commentaires:

  1. "Les seules armes que l'on ait vu lors de la manifestation du 18 novembre étaient les gros bras d'un service d'ordre dont on ne sait d'ailleurs pas si ses membres appartenaient à l'Institut Civitas ou à d'autres groupes d'extrême droite."
    Sur certaines photos où les membres de Femen sont agressées, on en voit certains les frapper à coups d'extincteurs. Reste à démontrer que lesdits agresseurs sont membres de Civitas, mais ça, c'est à l'enquête qui (je l'espère) ne manquera pas d'avoir lieu de le dire.

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    1. Les extincteurs dont vous parlez, M. Garoby, ont été apportés par les Femen, et elles s'en sont servies contre les manifestants de Civitas (y compris au moins un enfant en poussette) avant que certains des agresseurs dont vous parlez les leur arrachent des mains et les retournent contre leurs propriétaires. C'est manifeste sur les photos qui ont été publiées et qui sont disponibles un peu partout sur internet. Les personnes qui manifestaient avec des armes par destination (en l'espèce les extincteurs), ce sont donc les Femen. Et les agressions ont été réciproques. Sur les qualifications juridiques des délits commis par les uns et par les autres, je vous renvoie aux messages du compte Twitter de Maître Eolas, qui explique ça remarquablement bien. Comme Civitas et les Femen (ou du moins certaines d'entre elles) ont déposé plainte, il est vraisemblable qu'il y aura un procès (car je vois mal, en l'espèce, le procureur classer sans suite) : nous en saurons donc bientôt davantage, comme vous le signalez vous-même.

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  2. La tartuferie de la réponse de l'anonyme précédent me plait beaucoup... d'autant qu'elle tout ce qu'on montré les vidéos réalisées pendant les manifs!

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