Le ministre de l'économie et des finances, Pierre Moscovici, annonce qu'une réflexion nouvelle est engagée sur la protection législative du secret des affaires. De manière très concrète, la question est celle de la survie, ou non, de la proposition de loi Carayon adoptée par l'Assemblée nationale en janvier 2012 dans un but très largement électoraliste. Il s'agissait alors de donner satisfaction à des chefs d'entreprise, agacés par les articles de quelques journalistes d'investigation considérés comme trop prompts à dénoncer les cadeaux faits aux entreprises par le pouvoir en place, voire les actes de corruption. Rien de tel qu'un secret des affaires protégé par la loi et réprimé par le juge pénal pour dissuader les révélations intempestives, qu'elles proviennent de la stagiaire chinoise ou du Canard Enchaîné. Dans sa grande sagesse, le Sénat avait tout simplement "oublié" la proposition de loi, et ce n'est plus l'intéressé qui pouvait s'en plaindre, puisque Bernard Carayon a été battu aux dernières élections législatives.
Le Monde aujourd'hui annonce qu'une première réunion des responsables concernés des différents ministères a eu lieu le 1er octobre, afin de réfléchir sur l'éventuelle nécessité de reprendre la procédure légisative. Rien n'est moins certain, car l'intérêt de consacrer un nouveau "secret des affaires" ne saute pas aux yeux. Le droit positif est loin d'être inexistant en ce domaine. Il n'ignore pas les besoins qu'ont les entreprises de garantir la confidentialité de certaines de leurs activités.
Secret de fabrication
Le secret de fabrication figure dans les articles L 621-1 du code de la propriété intellectuelle et L 1227 du code de travail. Il peut être défini comme un secret professionnel propre aux salariés d'une entreprise, et qui a pour objet de protéger les secrets de fabrication, dès lors qu'ils présentent un caractère innovant ou original susceptible d'intéresser la concurrence. Dans une décision du 21 janvier 2003, la Cour de cassation estime ainsi, a contrario, qu'un procédé déjà usité dans le milieu professionnel concerné, ne saurait être qualifié de secret de fabrique. Lorsque l'infraction est caractérisée, le coupable peut être condamné à deux années d'emprisonnement et une amende de 30 000 €. Ces dispositions peuvent permettre d'incriminer une large partie des comportements d'espionnage industriel, dont les auteurs sont le plus souvent des salariés de l'entreprise. Le fait qu'elles soient peu utilisées nous renseigne surtout sur les pratiques des entreprises. Celle-ci préfèrent contraindre leurs salariés à la confidentialité par la voie contractuelle. Lorsqu'elles n'y parviennent pas, et se font voler des données confidentielles, elles préfèrent généralement se taire plutôt que reconnaître une faille dans leur système de sécurité.
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Secret industriel et commercial
Le "secret en matière industrielle et commerciale" figure, quant à lui, dans la loi du 17 juillet 1978 sur l'accès aux documents administratifs. Il est présenté comme une exception au principe de libre communication (art. 6), qui permet de garantir la confidentialité de toutes les pièces relatives à la situation économique et financière de l'entreprise, subventions, montages financiers, stratégies industrielles etc. Certes, il n'est pas de nature pénale, mais il permet néanmoins de protéger les informations de l'entreprises, notamment celles qui sont communiquées à l'administration.
Au-delà de ces deux notions, les secrets de l'entreprise peuvent également être protégés par le droit commun, la législation sur les brevets, ou tout simple le code pénal, dans sa partie relative aux biens. Car le vol d'information est, avant tout, un vol.
Secret des affaires ?
Aller plus loin dans la protection revient à créer un "secret des affaires", sur le modèle du "secret défense". C'était d'ailleurs l'idée même développée par Bernard Carayon. Mais ce rapprochement est purement cosmétique, car les deux types de secret se distinguent profondément au regard de leur opposabilité. Le secret défense est opposable au juge, ce qui nuit considérablement aux investigations, comme en témoigne la difficile enquête sur l'affaire de Karachi. Le secret industriel et commercial, si l'on en croit l'actuelle proposition de loi, ne serait pas opposable au juge, mais à toute autre personne, y compris les journalistes. Derrière le "patriotisme économique" se cachent ainsi des intérêts privés qui préfèrent rester dans l'ombre.
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La place de l'intelligence économique
D'une manière plus générale, la relance, ou non, de cette proposition de loi, pose la question de la place qu'il convient d'attribuer à l'intelligence économique. Celle-ci peut être définie, de manière sommaire comme comprenant à la fois la collecte et l'analyse des informations utiles à l'entreprise, ainsi que sa protection contre les intrusions. Le plus souvent, ce que nous appelons "intelligence économique" est la simple recension de comportements de nature à garantir la sécurité des informations, et c'est d'ailleurs l'objet des formations existantes dans ce domaine.
Dans nombre de pays, l'intelligence économique relève du management de l'entreprise. Il lui appartient alors de garantir sa sécurité, notamment par des moyens techniques. L'Etat n'intervient alors qu'exceptionnellement, lorsqu'il est directement concerné, par exemple si les entreprises ont des contrats publics.
La France, quant à elle, considère l'intelligence économique comme une politique publique, sans d'ailleurs que le parlement se soit jamais prononcé sur la question. Un tel choix remonte à 2003, lorsque Alain Juillet été nommé Haut Responsable à l'intelligence économique (HRIE), rattaché au Secrétariat général de la Défense nationale (SGDN), devenu ensuite Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationales (SGDSN). En 2009, Bercy a ensuite préempté l'intelligence économique, le "Haut Responsable" Alain Juillet a été poussé vers la sortie, et lui a succédé Olivier Buquen, ramené au rang de "Délégué interministériel". Pour le moment en tout cas, cette approche de l'intelligence économique ne semble pas remise en cause, puisque M. Moscovici, ministre des finances, demeure compétent en ce domaine.
Sur ce point, l'avenir de la proposition Carayon pourrait permettre de susciter une réflexion plus générale sur l'intelligence économique et la place que nous souhaitons lui attribuer, ou ne pas lui attribuer, dans notre système juridique.
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