Dans sa décision rendue sur QPC le 27 juillet 2012, le Conseil constitutionnel affirme une conception rigoureuse du principe du droit à un recours effectif, appliqué cette fois à la procédure d'admission en qualité de pupille de l'Etat. La disposition contestée par la requérante, madame Annie M, est plus précisément l'article L 224-8 du code de l'action sociale et des familles (CASF), aux termes duquel les proches de l'enfant disposent d'un délai de trente jours pour contester l'arrêté du Président du Conseil général décidant son admission au statut de pupille de l'Etat.
Entre deux arrêtés
La procédure mise en oeuvre est ainsi fixée de manière très précise par la loi du 6 juin 1984. Dès que l'enfant est confié aux services sociaux, (la DDASS), il fait l'objet d'un arrêté d'admission provisoire en qualité de pupille de l'Etat, pour une durée qu'il précise. A l'issue de cette première période, un arrêté définitif est pris par le Président du Conseil général, celui-là même qui ouvre aux ayants-droit une possibilité de recours durant une période de trente jours devant le juge judiciaire. Cette compétence du juge judiciaire est d'ailleurs une innovation de la loi de 1984, le législateur mettant fin à un dualisme de compétences qui était préjudiciable aux intérêts de l'enfant. En effet, l'arrêté d'admission à la qualité de pupille était jusqu'alors contestable devant le juge administratif dès lors qu'il exprimait une prérogative de la puissance publique. En revanche, le juge judiciaire était seul compétent pour prendre une décision relative à la garde de l'enfant.
Entre deux délais
Cette procédure se caractérise par la brièveté des délais de recours offerts aux proches de l'enfant. Pour ses parents biologiques, son père ou sa mère, le délai pour demander la restitution de l'enfant est de deux mois lorsque l'intéressé a lui même décidé de le confier aux services sociaux, ou de six mois lorsque cette procédure lui a été imposée (art. L 224-6 CASF).
Le délai de l'article contesté devant le Conseil constitutionnel, celui de l'article 224-8, est réduit à trente jours. Il n'est pas fermé aux parents biologiques (sauf déclaration judiciaire d'abandon, ou déchéance de l'autorité parentale), mais concerne surtout les alliés de l'enfant, par exemple ses grands parents, voire "toute personne justifiant d'un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde". Une telle disposition permet ainsi de revenir sur une pratique antérieure particulièrement choquante, durant laquelle des familles d'accueil qui avaient élevé l'enfant, se voyaient interdire toute possibilité de l'adopter.
Les deux orphelines. Maurice Tourneur. 1932 |
Entre deux intérêts contradictoires
Ce délai peut sembler court, mais le législateur se trouve confronté à un double impératif. D'une part, il doit effectivement permettre aux proches de l'enfant de témoigner de leur intérêt à son égard, voire de leur volonté de demander sa garde. D'autre part, il doit aussi, dans son intérêt supérieur, lui permettre, s'il est effectivement en situation d'abandon, de bénéficier aussi rapidement que possible de ce statut de pupille de l'Etat. Ce dernier conditionne en effet la possibilité pour lui de bénéficier d'une adoption plénière, et de mener une vie familiale normale.
Le Conseil constitutionnel s'efforce, dans sa décision du 27 juillet 2012, de tenir la balance égale entre les intérêts de chacun. Il déclare ainsi la disposition inconstitutionnelle, non pas dans le principe qu'elle énonce, mais en raison de son imprécision sur le point de départ de la procédure. Un délai aussi bref qu'un délai de trente jours n'est pas, en soi, inconstitutionnel. La Cour européenne des droits de l'homme estime, de son côté, qu'il ne constitue pas une violation du droit au procès équitable. Dans sa décision Odièvre du 13 février 2003, elle considère ainsi que le délai de rétractation laissée à la mère biologique qui décide d'abandonner son enfant après un accouchement sous X est "suffisant" pour qu'elle "ait le temps de remettre en cause le choix d'abandonner l'enfant".
Ce n'est donc pas sur le terrain de la brièveté du délai de recours que se place le juge constitutionnel, mais sur son point de départ. Pour qu'il puisse courir, il faut en effet s'assurer que les personnes susceptibles de faire un recours contre l'arrêté définitif d'admission au statut de pupille en aient été effectivement informées. Pour respecter la vie privée de l'enfant et de ses parents biologiques, le législateur a choisi de ne pas imposer la publication de cet arrêté. Il reste donc à imposer sa notification aux proches de l'enfant, du moins à ceux que connaissent les services sociaux, afin que leur droit à un recours effectif soit effectivement garanti.
Entre deux vies
Le Conseil constitutionnel s'efforce ainsi de garantir les droits de chacun pendant cette période délicate, durant laquelle l'enfant se trouve au carrefour entre deux vies. Il s'agit à la fois de s'assurer que rien ne peut être sauvé de son ancienne vie et que son abandon est définitif, et de lui permettre d'accéder aussi rapidement que possible d'accéder à une vie nouvelle, au sein d'une famille d'adoption. Le législateur va donc devoir préciser quelque peu cette procédure. Le Conseil lui a laissé jusqu'au 1er janvier 2014 pour modifier les textes, permettant ainsi de garantir la sécurité juridique des affaires en cours.
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