La Chambre sociale de la Cour de cassation a rendu, le 13 juin 2012, deux décisions posant quelques bornes à une pratique relativement courante des entreprises. Elle consiste à recruter un employé en enchaînant emplois précaires et période d'essai, pour finalement refuser de signer un contrat à durée indéterminée (CDI). Il suffit ensuite de recommencer l'opération avec un autre salarié, comme si le CDI devenait une sorte de Graal, objet aussi désiré qu'inaccessible, objet que l'on fait miroiter au malheureux salarié qui, dans l'espoir, de l'obtenir, accepte la précarité, le petit salaire qui l'accompagne, et subit pour finir l'humiliation du renvoi pur et simple.
La période d'essai, ou la gestion de l'emploi précaire
Dans la première affaire, le requérant, salarié d'une association, a été mis à la disposition d'une entreprise pour une durée d'une année, avec une durée minimum incompressible de six mois. Après ces six mois, le salarié démissionne de son emploi à l'association, et est engagé par l'entreprise. Celle-ci lui demande cependant une période d'essai d'un mois, à l'issue de laquelle l'employeur refuse la signature définitive du CDI.
Dans la seconde affaire, une employée a travaillé pour une entreprise avec quatre CDD successifs de courte durée (quatorze jours), puis un autre beaucoup plus long, de six mois et un jour. Après ces cinq CDD, l'entreprise lui propose un contrat de travail à durée indéterminée, incluant une période d'essai d'un mois. Comme dans l'autre affaire, l'employeur refuse le recrutement définitif à l'issue de cette période d'essai.
Dans les deux cas, la période d'essai est manifestement conçue par l'employeur comme le moyen de se débarrasser d'un salarié en situation précaire, et non pas comme l'instrument du recrutement définitif d'un salarié déjà employé par l'entreprise.
Les Temps Modernes. Charlie Chaplin et Paulette Godard. 1936
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Détournement de finalité
La Chambre sociale sanctionne les deux employeurs pour un détournement de la finalité de la période d'essai. Aux termes de l'article L 1221-20 du code du travail, celle-ci a pour unique objet de permettre à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié et son adaptation au poste proposé.
Dans le premier cas, le salarié avait exercé ses fonctions pendants six mois, durée durant laquelle l'employeur avait largement pu évaluer ses compétences. Si elles n'étaient pas suffisantes, rien ne lui interdisait en effet, de ne pas lui proposer de CDI et de mettre fin à sa mise à disposition, lui permettant ainsi de reprendre ses fonctions dans l'association dont il était auparavant salarié. La pratique de l'employeur est, dans ce cas, particulièrement cruelle, puisqu'elle interdit au salarié de retrouver son ancien emploi, dont il avait démissionné.
Dans le second cas, le salarié avait exercé un emploi de service pendant cinq CDD, ce qui laissait, là encore, largement le temps à l'employeur d'évaluer ses compétences.
De ce détournement de finalité de la période d'essai, la Chambre sociale tire toutes les conséquences contentieuses. Elle considère en effet que cette période d'essai n'aurait pas dû exister, et n'a donc pas existé. Elle date donc le recrutement en CDI de la signature du contrat de travail. La période d'essai est donc considérée comme le premier mois de travail, dans le cadre d'un CDI ordinaire. Le refus de l'employeur de signer le contrat définitif est donc requalifié en rupture abusive du contrat de travail, qui donne lieu au versement de substantielles indemnités au profit des salariés requérants.
Cette jurisprudence est une pierre dans la construction d'un statut juridique des salariés en situation précaire. Aux yeux du juge, la précarité ne doit pas être un instrument de gestion au service de l'entreprise, mais un état provisoire, qui doit logiquement prendre fin à la signature d'un contrat à durée indéterminée. Il était sans doute indispensable de le rappeler, hélas.
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