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mercredi 2 mai 2012

Le CISPA, vers un veto du Président américain ?

Le Cyber Intelligence Sharing and Protection Act (CISPA) suscite actuellement un large débat aux Etats Unis. Voté par la la Chambre des Représentants le 26 avril 2012 par 248 voix contre 168, le texte doit maintenant être transmis au Sénat, pour qu'il le vote à son tour. C'est précisément ce moment que choisit le Président Obama pour annoncer qu'il n'exclut pas d'opposer le veto présidentiel à ce texte. 

Le veto

Rappelons que le mot "veto" n'apparaît pas dans la Constitution américaine. Celle-ci énonce simplement qu'une législation votée par les deux chambres du Congrès doit être présentée au Président pour signature. Celui-ci dispose d'un délai de dix jours pour signer, et dans ce cas le texte est promulgué comme loi. S'il refuse de signer, le projet est renvoyé devant le Congrès pour une nouvelle délibération. Pour passer outre l'opposition du Président, le Congrès doit alors adopter le texte à une majorité qualifiée des 2/3. S'il n'y parvient pas, la procédure est tout simplement abandonnée. Le terme "veto" est donc employé, afin de montrer que le Président, s'il ne peut intervenir directement dans la fonction législative, dispose néanmoins de la faculté d'empêcher l'entrée en vigueur d'une loi. 

La procédure est lourde, et on peut se demander pour quelles raisons le Président Obama brandit une telle menace.

C'est que le CISPA fait actuellement l'objet d'une importante mobilisation des associations de défense des libertés sur internet. Avant lui, le SOPA et le PIPA avaient suscité des mouvements identiques et d'ailleurs victorieux, puisque les deux projets avaient été plus ou moins abandonnés. Il s'agissait alors exclusivement de protéger les droits d'auteurs et donc de lutter efficacement contre les piratages et autres téléchargements.

La vie des autres. Florian Henckel von Donnersmarck. 2007. Ulrich Mühe.

Le CISPA avance masqué

Le CISPA affiche un tout autre objectif. Officiellement, le texte a pour objet de protéger les Etats Unis et les firmes américaines des cyberattaques, finalité dont personne ne conteste le bien-fondé. Elle explique d'ailleurs le soutien apporté au CISPA par les grandes entreprises du secteur, comme Facebook, Microsoft ou Intel

La loi repose sur un échange d'informations entre les entreprises et les agences gouvernementales, notamment en matière de menaces informatiques. L'étude du texte montre cependant que les entreprises peuvent également se voir demander la transmission d'autres données, non directement liées à la menace d'une cyberattaque, mais dont la communication à l'administration américaine serait justifiée par des motifs de "sécurité nationale".

L'incertitude de la notion permet ainsi la communication de toute une série de données, y compris les échanges personnels des internautes, les téléchargements auxquels ils se livrent, les sites qu'ils consultent. L'inquiétude est d'ailleurs confortée par le fait que l'agence gouvernementale chargée de ces échanges est la National Security Agency (NSA), agence de renseignement, spécialisée dans la collecte et l'exploitation du renseignement électronique et électromagnétique.

Internet et renseignement

Le CISPA autorise ainsi des atteintes à la vie privée dont les internautes, les premiers concernés, ne seront pas même informés. Sous couvert de lutte contre les cyberattaques, il s'agit en réalité d'organiser un réseau global de surveillance du net. D'une certaine manière, l'administration américaine "achète" les entreprises du secteur. On leur offre une surveillance technique, et elles livrent la vie privée et professionnelle des internautes...

Au-delà de ces atteintes aux droits des personnes, le CISPA est porteur d'un danger peut-être encore plus grave. Il intègre en effet le contrôle d'internet dans l'activité la plus officielle des services de renseignement. Certes, personne n'est assez naïf pour penser qu'internet n'est pas déjà surveillé. Mais c'est une chose de surveiller l'activité de certaines officines, ou de certains suspects. C'en est une autre d'organiser un système de surveillance intégré de l'ensemble du réseau.

Face à un texte qui fleure bon son Patriot Act, et qui rappelle les belles heures de la "Guerre contre le terrorisme", il ne reste plus qu'à espérer que le Président Obama mettra sa menace à exécution. Le veto présidentiel est précisément conçu pour empêcher le Congrès de faire n'importe quoi.


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