Les Anglais n'apprécient guère la Cour européenne des droits de l'homme. Ce n'est guère surprenant si l'on considère que le Royaume-Uni occupe une place particulière dans la géopolitique des libertés. Au sein de l'Europe, il se considère comme le pays qui n'a de leçon à recevoir de personne. A-t-on besoin d'adhérer à une Convention de protection des droits de l'homme lorsque l'on a inventé le Bill of Rights et l'Habeas Corpus ? A-t-on des leçons à recevoir d'une cour européenne alors que le système britannique de protection des droits de l'homme devrait plutôt servir d'exemple au monde entier ?
La cristallisation
Le conflit s'est cristallisé ces derniers mois autour de plusieurs affaires mettant en cause le Royaume Uni devant la Cour. Une décision Hirst du 6 octobre 2005, puis plus récemment une décision Greens et M. T. c. Royaume Uni du 23 novembre 2010 ont condamné le système pénitentiaire britannique, qui prive de leur droit de vote toutes les personnes détenues. Pour la Cour, la privation des droits civiques ne peut être la seule conséquence de la privation de liberté, mais doit être prononcée comme une peine distincte. Cette jurisprudence a suscité un véritable tollé en Grande Bretagne, d'autant que la seconde décision donnait généreusement six mois au droit britannique pour se mettre en conformité avec la Convention européenne. Les Eurosceptiques y ont vu une intolérable ingérence de la Cour dans un domaine qui ne la concernait pas.
Les relations se sont encore envenimées avec l'affaire Abu Qatada du 17 janvier 2012, dans laquelle la Cour européenne a accueilli le recours du requérant, terroriste de la mouvance Al Qaida. Elle a ainsi interdit, pour violation du droit à un procès équitable, son extradition vers la Jordanie, au motif qu'il était possible que des preuves recueillies par la torture soient utilisées contre lui lors de son procès. On imagine comment cette décision a été accueillie par la presse britannique, le Sun initiant immédiatement une pétition pour demander au gouvernement Cameron d'extrader immédiatement Abu Qatada, sans tenir compte de la décision de la Cour. L'animosité à l'égard de la Cour est alors sortie du simple débat juridique pour gagner l'opinion publique, et devenir un cheval de bataille des Eurosceptiques.
Constable. La plage de Brighton. 1824 |
L'opportunité
Un peu par hasard, le Royaume Uni s'est récemment trouvé dans une position considérée comme favorable pour tenter une offensive contre la Cour européenne. D'une part, la présidence de la Cour est désormais confiée au Britannique Nicola Bratza, qui a succédé au Français Jean-Paul Costa. Le fait de ne pas aimer une institution a t il jamais empêché nos amis britanniques d'user de tous les arguments possibles pour en obtenir la présidence ? D'autre part, la Grande Bretagne assure jusqu'au 23 mai 2012 la présidence tournante du Comité des ministres du Conseil de l'Europe. C'est donc à ce titre qu'elle a convoqué la conférence de Brighton qui s'est déroulée les 19 et 20 avril.
Disons le franchement, la situation n'était peut être pas aussi favorable que prévu. Car le juge Bratza a fait savoir, dans un article publié dans The Independant, que son gouvernement ferait mieux de soutenir les efforts de la Cour au lieu de la combattre. Autrement dit, le Président avertissait son gouvernement qu'il n'aurait pas son soutien pour des réformes qui porteraient une atteinte excessive aux prérogatives de la Cour. Par ailleurs, toute modification du fonctionnement de la Cour impose un vote unanime des 47 Etats membres du Conseil de l'Europe. Autant dire que l'initiative britannique n'avait que fort peu de chances de bouleverser le fonctionnement de la Cour européenne.
Revendications britanniques
La revendication britannique s'appuyait sur le principe de subsidiarité. L'idée générale formulée par David Cameron était que "la Cour ne devrait pas compromettre sa propre réputation en réexaminant des décisions nationales lorsque ce n'est pas nécessaire". Pour les Britanniques, les Etats sont les mieux placés pour appliquer les droits prévus par la Convention européenne. Une requête adressée à la Cour devrait donc être jugée automatiquement irrecevable, si l'affaire a déjà été évoquée devant le juge interne, en tenant compte des droits garantis par la Convention. La Cour européenne se verrait donc cantonnée aux hypothèses, de plus en plus rares, d'affaires dans lesquelles les droits issus de la Convention n'ont jamais été invoqués devant les juges internes. La Cour ne serait plus saisie que lorsque les juges internes rencontrent une difficulté d'interprétation ou dans le cas d'une "erreur manifeste". L'ensemble de ce dispositif conduirait donc au déclin de l'intervention de la Cour, sa compétence se réduisant comme une peau de chagrin.
Faiblesse des résultats
Finalement, la Grande Bretagne n'a rien obtenu, ou à peu près. La déclaration finale de la Conférence de Brighton a toutes les apparences du texte diplomatique parfaitement édulcoré et consensuel. La seule réforme adoptée ne trouve pas son origine dans la mauvaise humeur britannique mais, de manière plus prosaïque, dans l'encombrement de la Cour qui rend indispensable la mise en place d'un système de filtrage plus efficace des requêtes. La conférence de Brighton décide donc que la Cour pourra, dès 2013, rejeter une requête si le plaignant n'a pas été victime d'une "inégalité significative". Il lui sera donc possible d'écarter les contentieux les plus bénins pour se concentrer sur les violations les plus graves des droits de l'homme.
A dire vrai, l'évolution est bien modeste. Car le Protocole n° 10, entré en vigueur le 1er juin 2010, autorise déjà la Cour à déclarer une requête irrecevable lors le requérant "n'a subi aucun préjudice important". Par cette disposition, la Cour applique simplement le principe "De minimis non curat praetor".
Même si la Conférence prévoit également un raccourcissement du délai de saisine de la Cour de 6 à 4 mois, on peut se demander si cette réforme permettra d'améliorer l'efficacité d'une Cour actuellement encombrée de 150 000 dossiers en attente, dont 90 % sont irrecevables. En tout état de cause, elle n'a aucunement pour effet de réduire le champ de compétence de cette juridiction. La démarche britannique semble donc définitivement enlisée dans les sables de Brighton... à moins qu'elle n'ait eu d'autre objet que de donner une satisfaction symbolique aux Eurosceptiques ?
La conférence de Brighton suinte tout de même d'incitations révélant que les Etats parties semblent vouloir plus de souveraineté quant à l'appréciation de la convention.
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