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dimanche 18 mars 2012

Fin de la trêve hivernale : Illégalité des arrêtés anti-expulsion

Chaque année, une "trêve hivernale" interdit d'expulser de leurs logements les locataires qui ne sont plus en mesure de s'acquitter de leur loyer. Cette trêve, commencée cette année le 1er novembre 2011, a pris fin le 15 mars 2012, autorisant la reprise des expulsions. Comme chaque année, un certain nombre d'élus locaux ont pris des "arrêtés anti expulsion". On en dénombre une bonne douzaine en Seine-Saint-Denis, cinq en région lyonnaise et sans doute beaucoup d'autres.

Les fondements juridiques de ces textes demeurent d'autant plus incertains que les droits du propriétaire ne sont jamais évoqués, comme si l'interdiction d'expulsion ne portait préjudice à personne, comme si tous les propriétaires étaient suffisamment riches pour pouvoir assumer la charge d'un locataire qui ne paie pas ses loyers.

Diversité des arrêtés

La notion englobante d'"arrêté anti-expulsion" n'entre dans aucune catégorie juridique existante. La lecture de ces textes révèle au contraire leur grande diversité. A Bobigny par exemple, le maire reprend son arrêté de 2008, et se limite à imposer la saisine d'une "commission spécialisée de coordination des actions de prévention des expulsions locatives". Le nom même de cette structure nouvelle devrait sans doute suffire à dissuader les requêtes. A Villejuif, en revanche, l'élu ne s'embarrasse pas de procédure et interdit purement et simplement sur le territoire de sa commune "toute expulsion motivée par l'impécuniosité des personnes concernées", sauf relogement immédiat dans des conditions conformes à leurs besoins. 

Par une jurisprudence constante, le juge administratif sanctionne ces initiatives et annule ces arrêtés (voir, par exemple, la décision de la Cour administrative d'appel de Versailles du 16 décembre 2011, Commune de Villetaneuse). Les motifs de cette rigueur résident dans une illégalité absolument incontestable.

Une mesure de police administrative

Ces arrêtés anti-expulsion sont généralement assortis d'une multitude de visas, ces références aux dispositions censées en constituer le fondement juridique. Certains s'appuient sur l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui affirme que "toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment par (...) le logement", d'autres sur le Pacte de 1966 des Nations Unies sur les droits civils et politiques qui reprend sensiblement la même formule (art. 11), d'autres enfin sur le Préambule de la Constitution de 1946 qui énonce que "la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement".

Ces visas ne constituent pourtant qu'un rideau de fumée qui cache en réalité l'exercice par le maire de son pouvoir de police administrative.

Viens chez moi, j'habite chez une copine. Patrice Leconte. 1980.
Bernard Giraudeau et Michel Blanc


Ordre public et contrôle maximum

La police municipale, selon l'article L 2212-2 du code général des collectivités territoriales, a pour objet d'assurer "le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques". Il est vrai que, depuis la décision Commune de Morsang sur Orge rendue par le Conseil d'Etat en 1995, la dignité de la personne humaine peut être rattachée à l'ordre public. Mais force est de constater que le juge ne l'admet qu'avec parcimonie, lorsque le maire se trouve confronté à une pratique très attentatoire aux droits de la personne et qui ne donne lieu à aucun encadrement légal (en l'espèce un "lancer de nain", attraction d'un goût douteux consistant à lancer aussi loin que possible une personne handicapée). Tel n'est pas le cas de l'expulsion, au contraire très étroitement encadrée par le droit.

Si le juge administratif appréciait le fond des arrêtés anti-expulsion, il serait très probablement conduit à les sanctionner sur la base de la jurisprudence Daudignac de 1951 qui condamne les mesures de police emportant une interdiction générale et absolue d'exercer une liberté publique. En l'espèce en effet, l'interdiction d'expulsion revient à interdire aux propriétaires l'usage de leur droit.

Ceci étant, ce contrôle maximum demeure purement théorique, car le juge administratif n'en a pas besoin pour annuler les arrêtés anti-expulsion. Ils sont en effet entachés d'incompétence.

Annulation pour incompétence

La procédure d'expulsion s'efforce de réaliser un équilibre entre les droits du locataire et ceux du propriétaire. L'expulsion ne peut intervenir qu'en vertu d'une décision de justice et après une signification réalisée par huissier d'avoir à libérer les locaux. En cas d'échec, l'huissier peut demander le concours de la force publique pour faire exécuter le jugement, et l'article 16 de la loi du 9 juillet 1991 précise que l'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements, son refus pouvant engager sa responsabilité.

C'est précisément ce point qui constitue le fondement de l'illégalité des arrêtés anti-expulsion. En effet, la suspension, voire l'interdiction, des expulsions locatives sur le territoire d'une commune ne peut s'analyser que comme ayant pour objet de faire obstacle à une décision de justice. Or, le maire, autorité décentralisée, n'a aucune compétence dans ce domaine et le concours de la force publique, ou le refus de concours, incombe entièrement à l'Etat. Le maire ne peut donc intervenir dans les compétences de l'Etat, et son arrêté est nécessairement entaché d'excès de pouvoir.

Ces arrêtés anti-expulsion n'ont aucune chance de prospérer et nos élus locaux le savent bien. N'est-il pas plus facile finalement de prendre un acte purement symbolique aux apparences généreuses, plutôt que donner un contenu à un "droit au logement opposable" qui n'est encore qu'une  coquille vide ?

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