Les lecteurs du Journal officiel du 5 janvier 2012 ont découvert un arrêté du 26 décembre 2011 relatif à l'évaluation d'agents d'encadrement supérieur relevant du ministère des affaires étrangères. Son article 1er consacre la création, au Quai d'Orsay, d'un "dispositif d'évaluation, dit évaluation à 360°". En réalité, cette procédure est appliquée sans fondement juridique depuis plusieurs années, et l'objet réel de cet arrêté est de la pérenniser. Quant à l'évaluation "à 360°", la formule est mystérieuse, peut être même volontairement obscure, et on ne peut manquer d'observer que ce texte cultive l'ambiguité, ou plutôt les ambiguités.
Un objet juridique non identifié
On constate d'emblée qu'il s'agit d'un texte sui generis, sorte d'objet juridique non identifié, qui semble relever de la seule initiative du ministre des affaires étrangères. Le statut des fonctionnaires ignore ce type de procédure. Il en est de même du décret du 28 juillet 2010, qui vient précisément d'entrer en vigueur le 1er janvier 2012, et qui porte sur "l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l'Etat". L'évaluation à 360° n'y figure pas, pas plus que dans le décret du 6 mars 1969 relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires. C'est un peu fâcheux si l'on considère qu'un arrêté a pour objet de définir les modalités d'exécution d'un autre texte, généralement un règlement. Cet arrêté cultiverait-il son mystère au point de ne pas nous révéler son fondement juridique ? Il est pourtant difficile de croire qu'il en soit dépourvu.
Evaluation ou alerte ?
L'article 2 de l'arrêté énonce que "l'évaluation à 360° constitue l'un des éléments permettant au ministre des affaires étrangères d'apprécier les capacités de l'agent évalué à exercer des emplois de haute responsabilité (...)". C'est donc un instrument d'aide à la décision, un outil permettant au ministre d'apprécier les qualités des hauts responsables placés sous son autorité. Certes, mais dans ce cas, l'évaluation ne peut être autre chose qu'un outil d'évaluation, au sens du décret du 28 juillet 2010 et du statut de la fonction publique. Il se trouve cependant que, dans toute la fonction publique, l'évaluation est organisée par les textes statutaires et effectuée par le "supérieur hiérarchique" et non par le ministre directement. A cet égard, l'arrêté écarte purement et simplement les instruments statutaires d'évaluation pour conférer au ministre un pouvoir tout à fait dérogatoire au droit commun.
Il est vrai que le Quai d'Orsay semble hésiter sur la nature de cette procédure. Dans un article publié par Libération le 16 décembre 2010, la directrice des ressources humaines évoquait déjà cette "évaluation à 360°" qui permet de "classer les ambassadeurs en trois catégories" : "Il y a les exceptionnels, parfaits en tout (...). L'immense majorité est constituée de ceux qui se débrouillent bien : leurs postes tournent. Et puis il y a un très petit nombre de gens au sujet desquels nous sommes alertés". Observons au passage qu'en décembre 2010, la procédure est déjà en vigueur, et que la directrice des ressources humaines semble la considérer comme un système d'alerte.
Le système d'alerte trouve son origine dans l'entreprise, et plus précisément dans l'entreprise américaine. Dans la pure tradition du "Whistleblowing", le dispositif d'alerte professionnelle est une formule pudique pour désigner un système de communication interne permettant aux salariés de dénoncer les fraudes ou les malversations dont ils pourraient avoir connaissance. Le droit français se montre d'ailleurs très réservé vis à vis de ce greffon américain, et la Cour d'appel de Caen a annulé en référé, le 23 septembre 2011, un système d'alerte qui avait été mis en place dans la filiale française d'une firme américaine, sans que le comité d'entreprise en ait été avisé.
Quoi qu'il en soit, en dépit de ce qui était annoncé en décembre 2010, l'évaluation à 360° mise en place au ministère des affaires étrangères n'est pas un système d'alerte. La procédure décrite n'a pas pour objet de faire remonter des informations utiles aux autorités hiérarchiques, du bas vers le haut, mais bien davantage d'effectuer un contrôle hiérachique du haut vers le bas. La responsabilité de l'évalution incombe ainsi au ministre lui-même, assisté par trois "évaluateurs centraux"qui définissent les critères de l'évaluation, la liste des agents appelés à y participer, et qui finalement "établissent pour chaque agent une synthèse de son évaluation". Autant dire qu'un petit groupe de fonctionnaires a pour mission d'organiser le management par le stress.
Ruggero Raimondi. Air de la calomnie. Le Barbier de Séville
Evaluation ou sanction ?
La procédure proprement dite recèle bien d'autres incertitudes. Il est vrai que l'arrêté est constitué de seulement sept articles, dont deux ont trait à l'organisation matérielle de cette évaluation.
Le document essentiel, placé au coeur du processus d'évaluation, est un "questionnaire anonyme et sécurisé qui est rempli par - l'agent concerné qui procède à son auto-évaluation , - des responsables de services avec lesquels l'agent évalué est en relation directe de travail (...), - des collaborateurs directs de l'agent évalué". Une première lecture peut évidemment faire sourire, dès lors que le questionnaire anonyme rempli par la personne évaluée.. risque d'être moins anonyme. L'intervention de tiers, cette fois réellement anonyme, suscite cependant de réelles inquiétudes.
D'une part, on peut s'interroger sur l'influence qu'elle peut avoir sur le principe hiérarchique. Dès lors qu'un "agent d'encadrement supérieur" sait qu'il va être évalué par ses subordonnés, ou seulement par certains d'entre eux sans qu'il sache lesquels, ne risque-t-il pas d'hésiter à prendre certaines décisions ? Aura-t il l'audace de refuser le renouvellement d'un contrat à un agent contractuel particulièrement peu actif ou incompétent dans l'exercice de ses fonctions, sachant que cet agent figure peut-être sur la liste de ceux qui doivent l'évaluer, et qu'il n'hésitera peut-être pas à l'accuser de toutes les turpitudes ? On le voit, cet anonymat risque de susciter l'immobilisme du supérieur hiérarchique, mais aussi, peut-être, des règlements de compte bien peu glorieux de la part de ses subordonnés.
D'autre part, on doit également se poser des questions sur l'influence de cet anonymat quant à d'éventuelles poursuites disciplinaires qui seraient engagées à partir de cette évaluation anonyme. Un haut fonctionnaire sera-t-il sanctionné sur la base de témoignages anonymes ? Dans ce cas, le principe du contradictoire est évidemment violé de même que l'"égalité des armes" au sens où l'entend la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, le haut fonctionnaire victime de la sanction ne bénéficie que d'un entretien avec les "évaluateurs centraux" (art. 6), mais il n'a pas le droit, par exemple, à une confrontation avec celui ou celle qui a porté contre lui des accusations qui peuvent être très graves. Il n'a même pas accès à l'intégralité du dossier mais seulement à une "synthèse" établie par ces mêmes "évaluateurs centraux".
L'égalité des armes
La commission d'accès aux documents administratifs (CADA) a bien vu le danger pour les droits de la défense que représente une telle procédure. Dans un avis du 4 novembre 2010, à l'époque où l'évaluation à 360° était mise en oeuvre sans aucun fondement juridique, elle a considéré comme communicables tous les documents ayant fondé l'évaluation d'un fonctionnaire du Quai d'Orsay. Aux yeux de la CADA, cette communication est indispensable, car le résultat de l'évaluation "est susceptible d'avoir une influence sur le déroulement de la carrière de l'intéressé". La Commission s'efforce de rétablir l'égalité des armes, mais on doit observer que cet avis est resté lettre morte, le Quai d'Orsay ayant purement et simplement refusé de le suivre.
Cette question de l'égalité des armes conduit à s'interroger sur la finalité de cette procédure. En principe, une procédure d'évaluation n'a rien à voir avec le pouvoir de sanction. L'article 6 précise cependant que les "évaluateurs centraux", qui finissent par ressembler à des commissaires politiques, peuvent formuler des "recommandations". Et rien ne leur interdit, évidemment de "recommander" l'exercice du pouvoir de sanction, s'ils estiment que l'évaluation met en évidence des comportement fautifs.
C'est évidemment tout le danger de cette "évaluation à 360°" qui peut alors être présentée comme une alternative à la procédure de sanction prévue par le statut de la fonction publique. Et cette alternative permet au ministère des affaires étrangères de se dispenser du respect des garanties les plus élémentaires dues au fonctionnaire.
Sur ce plan au moins, la publication de l'arrêté du 26 décembre 2011 présente un aspect positif. En effet, cette "évaluation à 360°" qui existait déjà sans aucune base légale, est maintenant consacrée par un texte, et ce texte peut être contesté devant le juge. On peut en particulier se demander si une telle procédure ne relève pas d'un décret, voire d'une loi. Espérons que le Conseil d'Etat en sera bientôt saisi.
D'une part, on peut s'interroger sur l'influence qu'elle peut avoir sur le principe hiérarchique. Dès lors qu'un "agent d'encadrement supérieur" sait qu'il va être évalué par ses subordonnés, ou seulement par certains d'entre eux sans qu'il sache lesquels, ne risque-t-il pas d'hésiter à prendre certaines décisions ? Aura-t il l'audace de refuser le renouvellement d'un contrat à un agent contractuel particulièrement peu actif ou incompétent dans l'exercice de ses fonctions, sachant que cet agent figure peut-être sur la liste de ceux qui doivent l'évaluer, et qu'il n'hésitera peut-être pas à l'accuser de toutes les turpitudes ? On le voit, cet anonymat risque de susciter l'immobilisme du supérieur hiérarchique, mais aussi, peut-être, des règlements de compte bien peu glorieux de la part de ses subordonnés.
D'autre part, on doit également se poser des questions sur l'influence de cet anonymat quant à d'éventuelles poursuites disciplinaires qui seraient engagées à partir de cette évaluation anonyme. Un haut fonctionnaire sera-t-il sanctionné sur la base de témoignages anonymes ? Dans ce cas, le principe du contradictoire est évidemment violé de même que l'"égalité des armes" au sens où l'entend la Convention européenne des droits de l'homme. En effet, le haut fonctionnaire victime de la sanction ne bénéficie que d'un entretien avec les "évaluateurs centraux" (art. 6), mais il n'a pas le droit, par exemple, à une confrontation avec celui ou celle qui a porté contre lui des accusations qui peuvent être très graves. Il n'a même pas accès à l'intégralité du dossier mais seulement à une "synthèse" établie par ces mêmes "évaluateurs centraux".
L'égalité des armes
La commission d'accès aux documents administratifs (CADA) a bien vu le danger pour les droits de la défense que représente une telle procédure. Dans un avis du 4 novembre 2010, à l'époque où l'évaluation à 360° était mise en oeuvre sans aucun fondement juridique, elle a considéré comme communicables tous les documents ayant fondé l'évaluation d'un fonctionnaire du Quai d'Orsay. Aux yeux de la CADA, cette communication est indispensable, car le résultat de l'évaluation "est susceptible d'avoir une influence sur le déroulement de la carrière de l'intéressé". La Commission s'efforce de rétablir l'égalité des armes, mais on doit observer que cet avis est resté lettre morte, le Quai d'Orsay ayant purement et simplement refusé de le suivre.
Cette question de l'égalité des armes conduit à s'interroger sur la finalité de cette procédure. En principe, une procédure d'évaluation n'a rien à voir avec le pouvoir de sanction. L'article 6 précise cependant que les "évaluateurs centraux", qui finissent par ressembler à des commissaires politiques, peuvent formuler des "recommandations". Et rien ne leur interdit, évidemment de "recommander" l'exercice du pouvoir de sanction, s'ils estiment que l'évaluation met en évidence des comportement fautifs.
C'est évidemment tout le danger de cette "évaluation à 360°" qui peut alors être présentée comme une alternative à la procédure de sanction prévue par le statut de la fonction publique. Et cette alternative permet au ministère des affaires étrangères de se dispenser du respect des garanties les plus élémentaires dues au fonctionnaire.
Sur ce plan au moins, la publication de l'arrêté du 26 décembre 2011 présente un aspect positif. En effet, cette "évaluation à 360°" qui existait déjà sans aucune base légale, est maintenant consacrée par un texte, et ce texte peut être contesté devant le juge. On peut en particulier se demander si une telle procédure ne relève pas d'un décret, voire d'une loi. Espérons que le Conseil d'Etat en sera bientôt saisi.
C'est carrément effrayant !
RépondreSupprimerQUI A CONCOCTE CETTE EVALUATION ?
RépondreSupprimerUN CABINET EXTERIEUR ?