Il ne suffit pas de créer un acronyme pour garantir un droit. Le rapport du comité de suivi sur le "droit au logement opposable", le DALO, a été remis à l'Assemblée nationale le 30 novembre 2011. Il se montre particulièrement accablant sur la mise en oeuvre de ce droit nouveau, issu de la loi du 5 mars 2007. Ce texte avait été voté dans l'émotion suscitée par l'occupation du canal St Martin par des centaines de tentes de personnes sans domicile fixe, action médiatisée par l'association "Les Enfants de Don Quichotte".
Disons le franchement, affirmer qu'un droit est "opposable" relève du pléonasme. Un droit qui n'est pas "opposable" ne peut être invoqué devant les tribunaux, et se trouve donc dépourvu de toute puissance normative. Dès lors qu'un droit a un contenu suffisamment précis, et qu'il est consacré par une norme juridique contraignante, il est "opposable". Cette volonté d'affirmer l'opposabilité témoigne donc d'un échec, à la fois constitutionnel et législatif.
Le Conseil constitutionnel : le droit au logement comme "objectif à valeur constitutionnelle"
Le droit au logement ne figure directement pas dans notre corpus constitutionnel. Dans sa décision du 19 janvier 1995, le Conseil constitutionnel affirme néanmoins que la "possibilité de toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle". A l'appui, il cite le Préambule de 1946 qui affirme que "la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement" et qui consacre en même temps le principe de dignité de la personne humaine. La formulation est donc claire : le Conseil ne consacre pas un droit. L'objectif constitutionnel qu'il énonce se borne à imposer aux pouvoirs publics la mise en oeuvre d'une politique d'aide au logement, sans imposer d'ailleurs une obligation de résultat. Cet "objectif de valeur constitutionnelle" ne crée donc pas un droit, encore moins un droit opposable.
La loi du 31 mai 1990 : le "droit au logement" comme "devoir de solidarité"
La loi du 31 mai 1990 n'a pas eu davantage d'effet normatif sur la situation des mal-logés, alors même qu'elle proclamait solennellement que "garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la Nation". Derrière cette formulation ambitieuse, se cachait en réalité un dispositif très classique d'aide sociale au logement. Un individu ne pouvait donc pas se prévaloir directement des dispositions de la loi pour obtenir un lieu où se loger.
Le mécanisme DALO
La loi DALO de 2007 organise un mécanisme d'attribution prioritaire de logement en urgence dont les bénéficiaires figurent sur une liste établie par une commission de médiation. Une fois sa situation prioritaire établie, le demandeur peut faire valoir cette situation auprès des bailleurs sociaux et le préfet peut même donner une injonction à l'un d'entre eux de reloger l'intéressé dans son parc social. A l'issue d'un délai variant de trois à six mois selon la région et la taille du logement demandé, le demandeur peut saisir le juge administratif, qui est fondé à donner une injonction au préfet, exigeant le relogement de l'intéressé, le cas échéant sous astreinte.
Tout cela est bel et bon, et les contentieux se sont multipliés. Du 1er octobre 2010 au 30 septembre 2011, 5775 jugements ont été prononcés, dont 80 % en faveur des requérants.
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Une catastrophe annoncée
Ces chiffres ne doivent pas cacher l'échec global du dispositif, dénoncé par le rapport du comité de suivi. Les délais de relogement imposés par la loi ne sont pas respectés. Les dépôts de recours devant la commission de médiation atteignent 6000 par mois, faisant craindre un véritable engorgement de la procédure. Sur une seule année, 27 500 décisions de relogement ne sont pas mises en oeuvre, dont 85 % en Ile de France. Par voie de conséquence, le total des astreintes prononcées au 31 juillet 2011 s'établit à près de 16, 5 millions d'euros.
La situation risque d'ailleurs de devenir catastrophique à partir de janvier 2012. En effet, la loi prévoit que le recours devant le juge administratif en cas de non relogement sera alors ouvert à tous ceux qui ont fait une demande de logement et qui n'ont pas reçu de réponse à l'issue d'un délai "anormalement long".
Le pessimisme du comité de suivi prend la forme d'une véritable interpellation du Président de la République en faveur de l'application effective de la loi DALO. On comprend évidemment sa préoccupation. Mais était-il vraiment possible de mettre en oeuvre cette législation ? Lorsqu'elle a été votée, chacun savait que l'insuffisance du nombre de logements sociaux, l'émiettement des gestionnaires entre secteur public et privé rendaient tout à fait illusoire la mise en oeuvre d'un droit "opposable". On a certes donné satisfaction aux "Don Quichotte", mais l'étude d'impact de la loi, en principe obligatoire, a t elle réellement été effectuée ?
On peut se demander si les fonds publics dépensés par la croissance exponentielle des astreintes prononcées par les juridictions administratives ne seraient pas mieux utilisés à d'autres fins. Par exemple, pour construire des logements sociaux ? Car n'est-il pas finalement préférable d'avoir des logements sans droit opposable plutôt qu'un droit opposable, sans logements ? Le débat est ouvert.
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