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jeudi 15 décembre 2011

La liberté d'expression de l'avocat ou les limites du secret professionnel

Le 15 décembre 2011, la Cour européenne des droits de l'homme a rendu un arrêt qui fait prévaloir la liberté d'expression de l'avocat sur le secret professionnel auquel il est astreint, contrairement aux principes développés par la jurisprudence française.

En l'espèce, madame Gisèle M., avocate au barreau du Val d'Oise défend, depuis 1998, les parents d'une enfants décédée à la suite d'un vaccin contre l'hépatite B. Dans une interview donnée au Parisien en novembre 2002, Me M. commente un rapport d'expertise remis au juge chargé de l'instruction, affirmant qu'il "démontre que l'Etat n'a jamais mis des moyens suffisants pour évaluer correctement l'ampleur des effets indésirables du vaccin alors qu'on a vacciné des millions de Français". Elle formule ensuite des propos à peu près identiques dans une autre interview, à Europe 1 cette fois. 

Le laboratoire distributeur du vaccin porte immédiatement plainte pour violations du secret de l'instruction et du secret professionnel. Finalement jugée par le tribunal correctionnel le 11 mai 2007, Me M. est effectivement déclarée coupable de violation du secret professionnel. Mais elle est en même temps dispensée de peine, au motif que l'atteinte à l'ordre public est minime, et que des journaux avaient préalablement fait état des conclusions de ce rapport d'expertise, sans que l'entreprise plaignante ait engagé de poursuites à leur encontre. Elle doit néanmoins s'acquitte d'un euro symbolique comme dommages-intérêts. La Cour d'appel puis la Cour de cassation ont ensuite confirmé ce jugement.

Pour contester devant la Cour européenne sa condamnation, Me M. invoque une violation de l'article 10 de la Convention, selon lequel "toute personne a droit à la liberté d'expression". 

Les multiples facettes du secret professionnel

Le secret professionnel est généralement présenté comme une prérogative de l'avocat, qui fait de son cabinet un véritable sanctuaire. Si les perquisitions chez un avocat ne sont pas réellement exclues, elles sont néanmoins soumises à des contraintes très lourdes qui imposent la présence du Bâtonnier. Celui-ci, comme l'avocat perquisitionné, peut s'opposer à la saisie de pièces au nom du secret professionnel. Ses réserves sont alors notées au procès-verbal qui est placé sous scellés, de même que les documents saisis. Le juge des libertés est alors compétent pour statuer sur la contestation et ordonner, le cas échéant, la restitution des pièces litigieuses. 

Cette prérogative de l'avocat n'existe cependant que parce que le droit positif considère le secret professionnel comme un droit du client. La "confidence" faite par le client à son conseil est ainsi protégée par l'article 223-13 du code pénal qui punit toute violation du secret professionnel d'un an d'emprisonnement et de 15 000 € d'amende. C'est aussi une obligation déontologique, rappelée  par le règlement intérieur du Barreau de Paris, qui précise que l'avocat étant "le confident nécessaire du client, le secret est établi dans l'intérêt du public" (art. 2 al. 1). La violation du secret professionnel peut ainsi donner lieu à des poursuites disciplinaires, assorties de sanctions lourdes pouvant aller jusqu'à la radiation.

Secret de l'instruction et secret professionnel

Pour la jurisprudence française, exprimée dans la décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 28 octobre 2008,  rendue précisément à propos de l'affaire Gisèle M., le secret professionnel impose en effet l'interdiction de communiquer les pièces relatives à l'information en cours, et il englobe ainsi le secret de l'instruction. 

Ce secret est toutefois loin d'être absolu. Dès lors qu'il est formulé dans l'intérêt du client, il peut également être levé dans ce même intérêt. Lors de l'affaire M., le droit applicable trouvait son fondement dans le décret du 12 juillet 2005 interdisant la divulgation de documents liés à l'instruction, sauf au client pour les besoins de sa défense. Depuis cette date, le décret du 15 mai 2007 a élargi cette exception, en retirant cette référence directe au client. Désormais l'exception de divulgation n'est plus seulement autorisée au bénéfice du "client" mais pour "l'exercice des droits de la défense". Les pièces peuvent donc être désormais communiquées aussi à des tiers comme des experts ou consultants intervenant au profit de la défense. Dans tous les cas, il appartient à l'avocat de démontrer la nécessité de la divulgation pour l'exercice des droits de la défense.

En l'espèce, Me M. n'est pas sanctionnée par les juridictions internes pour avoir divulgué une pièce de l'instruction, mais les informations qu'elle contient. L'avocate a en effet évoqué dans les médias le contenu d'un rapport d'expertise, déjà largement diffusé dans les médias.

Position des juges internes : droits de la défense et intérêt de la défense

En sanctionnant Me M. pour violation du secret professionnel, les juges ont estimé que la diffusion de telles informations est peut-être conforme à l'intérêt de la défense, mais ne relève pas, à proprement parler de l'exercice des droits de la défense. Les propos tenus par Me M. devant des journalistes ne saurait en effet s'intégrer directement dans les actes de procédure effectués au nom de son client. Il n'en serait pas de même si l'exercice des droits de la défense avait rendu nécessaire la violation du secret professionnel. C'est le cas, par exemple, lorsque l'avocat communique les éléments d'une instance pénale en cours à un juge civil pour justifier une demande de sursis à statuer (Cass. Crim., 14 octobre 2008). 


De la même manière, pour les juges français, C'est la diffusion même d'informations couvertes par le secret qui est l'élément constitutif de l'infraction. Peu importe donc qu'elles aient déjà été portées à la connaissance du public par la presse.


C'est précisément ces points que la Cour européenne s'oppose aux juges internes français. Refusant de distinguer entre les droits de la défense et l'intérêt de la défense, la Cour s'appuie sur la liberté d'expression de l'avocat. 




Position de la Cour européenne : liberté d'expression et secret professionnel


Aux termes de l'article 10 de la Convention, des restrictions à la liberté d'expression peuvent être imposées par les autorités publiques, à la double condition qu'elles soient prévues par la loi et nécessaires dans une société démocratique "à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire". Pour la requérante, les propos tenus à la presse n'entraient dans aucune de ces restrictions possibles à sa liberté d'expression. Pour le gouvernement français au contraire, le secret professionnel a précisément pour finalité de "garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire".


La Cour constate l'existence de l'ingérence des autorités publiques dans la liberté d'expression de l'avocat requérant, ingérence au demeurant "prévue par la loi", puisque le secret professionnel est protégé par l'article 226-13 du code pénal. Quant au but de cette ingérence, la Cour reconnaît depuis l'arrêt Dupuis c. France du 7 juin 2007, que le secret de l'instruction a pour finalités de garantir la présomption d'innocence de la personne mise en cause ainsi que la sérénité nécessaire à une bonne administration de la justice. 


Ce n'est pas l'existence du secret professionnel qui est ainsi contesté par la Cour, mais la pertinence et la proportionnalité de la sanction. 


L'information divulguée par l'avocate l'avait déjà été par les médias. Pour la Cour, l'argument des autorités françaises qui justifient la sanction par la volonté de "garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire" n'est pas pertinent. Si l'on considère que la sérénité de la justice est atteinte par cette divulgation, le mal est déjà fait, et pas par l'accusée. 


La Cour fait aussi observer que les juges français eux mêmes se sont bornés à prononcer une dispense de peine assortie d'un modeste euro de dommages-intérêts. L'Ordre des avocats, de son côté, n'a pas jugé bon d'engager des poursuites disciplinaires contre la requérante. Tous ces éléments montrent que ceux là même qui détenaient le pouvoir de sanction n'étaient pas nécessairement très convaincus du bien fondé de celle infligée à la requérante. 


Enfin, ultime coup porté à la jurisprudence française, la Cour rappelle que les avocats, comme auxiliaires de justice, contribuent à assurer la confiance du public dans l'action des tribunaux. Ils ont le droit de se prononcer publiquement sur le fonctionnement de la justice et de participer à des "débats d'intérêt général". Tel est le cas d'une affaire qui intéresse directement la santé publique, sur laquelle l'opinion a le droit d'être informée. 


Sur ce point, l'arrêt ne fait qu'étendre aux avocats la solution apportée par la jurisprudence Dupuis c. France du 7 juin 2007. La Cour avait alors fait prévaloir la liberté d'expression de deux journalistes qui avaient écrit un livre sur les écoutes de l'Elysée, alors même qu'ils étaient coupables de recel de violation de secret professionnel. A l'appui de ce libéralisme, la Cour invoquait alors "la demande soutenue et concrète du public" qui veut être informée d'une affaire qui suscite un débat d'une grande ampleur. Autant dire que les journalistes sont considérés comme les "chiens de garde" des libertés. Les avocats aussi. 



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