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lundi 3 octobre 2011

HADOPI, le 1er rapport d'activité

La Haute autorité pour la protection des oeuvres et la protection des droits sur internet (HADOPI) a présenté son premier rapport le 29 septembre 2011, après dix-huit mois d'activité. La presse a surtout retenu les chiffres rendus publics à cette occasion, révélant que l'HADOPI a demandé aux fournisseurs d'accès d'identifier 1 023 079 adresses IP, que 470 935 courriels d'avertissement et 20598 courriers recommandés ont été envoyés. S'appuyant sur ces chiffres, le rapport observe que "la réponse graduée fonctionne" et s'en félicite. Le rapport développe par ailleurs un discours volontariste, faisant notamment des propositions pour développer les pouvoirs d'investigation de l'HADOPI.

"La réponse graduée fonctionne"

La loi met en place une procédure de sanction tout à fait particulière qui a d'ailleurs rencontré quelques difficultés lors de la saisine du Conseil constitutionnel. Dans sa décision du 13 juin 2009, celui-ci a  déclaré inconstitutionnelles les dispositions autorisant l'HADOPI à priver de son accès à internet le titulaire d'un abonnement. Cette sanction portait en effet une atteinte excessive à la liberté d'expression, d'autant qu'elle n'était pas prononcée par un juge, mais par une autorité administrative indépendante

La procédure a finalement été précisée par le décret n° 2010-872 du 26 juillet 2010. Ce dispositif de la réponse graduée repose sur l'envoi, par l'HADOPI, ou plus exactement par sa Commission de protection des droits, de messages d'avertissement aux abonnés ayant procédé à des téléchargements illégaux. Lorsqu'un manquement est constaté, cette Commission envoie d'abord un message électronique appelé "recommandation". En cas de récidive dans un délai de six mois, le contrevenant reçoit un second avertissement, cette fois par lettre recommandée. Enfin, un nouveau manquement dans un délai d'un an suivant l'envoi de cette seconde "recommandation" suscitera une nouvelle lettre, préalable à une éventuelle saisie du parquet.

Les chiffres cités indiquent qu'en effet la "réponse graduée" fonctionne. S'il est vrai que le rapport insiste sur le nombre de courriels et de lettres effectivement envoyés, il se montre en revanche remarquablement discret sur le nombre de dossiers effectivement transmis au parquet. C'est seulement en juillet 2011 qu'une dizaine d'abonnés ont été convoqués, pour venir s'expliquer devant la Commission de protection des droits. Si leur défense n'apparaît pas convaincante, leur dossier sera effectivement transmis au parquet qui décidera de l'opportunité des poursuites. Les contrevenants seront peut être condamnés à une amende de 1500 € ou à une suspension de leur abonnement. Plus de 470 000 courriels envoyés... et une dizaine de personnes qui seront, peut-être, poursuivies. De toute évidence, de tels résultats ne risquent guère de dissuader ceux qui téléchargent illégalement des oeuvres protégées par des droits d'auteur.

La thèse officielle, celle développée par l'HADOPI dans son rapport, est que l'absence de poursuites, du moins jusqu'à aujourd'hui, se justifie par la volonté de développer une pédagogie, une sensibilisation, avant de mettre en oeuvre les instruments coercitifs. Cet argument peut certainement être défendu, mais encore faut-il que cette action de sensibilisation soit efficace. Or, le rapport mentionne que 76 % des abonnés qui prennent contact avec l'HADOPI demandent le détail des oeuvres qu'ils sont censés avoir téléchargé. La loi interdit pourtant cette communication, ce qui signifie que les abonnés ignorent pour quel fichier ils reçoivent un avertissement. Ce n'est sans doute pas le meilleur moyen de faire oeuvre pédagogique.

L'élargissement des pouvoirs d'investigation

Dans son rapport, l'HADOPI manifester sa volonté d'examiner de près les différentes plate-formes de streaming et de téléchargement, dans le but d'évaluer la proportion de contenus illicites téléchargés. De fait, la Haute Autorité a mis en oeuvre un projet de recherche et développement visant à déterminer, parmi les "vecteurs de consommation de biens culturels les plus utilisés, ceux qui sont manifestement employés à des fins illicites".

On peut s'interroger sur une démarche qui vise à faire de l'HADOPI l'instrument d'une surveillance globale du réseau internet, démarche qui semble aller au-delà des missions qui lui sont attribuées par la loi du 12 juin 2009. Il est vrai que la Haute Autorité a pour mission d'"encourager et de développer l'offre légale", y compris en mettant en oeuvre une labellisation des sites licites et en contrôlant les systèmes de filtrage, mais cela ne signifie pas nécessairement une surveillance aussi totale des contenus diffusés sur un internet.



Mais l'inquiétude vient surtout de cette référence aux vecteur de consommation utilisée de manière "manifestement illicite". La formule semble directement inspirée de l'"amendement Vivendi", devenu l'article L 335-2- al. 1 du code de la propriété intellectuelle : "Est puni de 3 ans d'emprisonnement et de 300 000 € d'amende le fait d'éditer, de mettre à la disposition du public ou de communiquer au public, sciemment et sous quelque forme que ce soit, un logiciel manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisé d'oeuvres ou d'objets protégés". Sont à l'évidence visés les sites P2P, de streaming ou de téléchargement.

La question essentielle est de savoir à partir de quelle quantité de données illicites le vecteur deviendra lui-même illicite.. La formule manque pour le moins de rigueur. Malgré cela, elle laisse apparaître une menace à peine voilée d'exiger des fournisseurs d'accès le blocage pur et simple de ce type de sites.

Un rapport incantatoire ?

Cette approche volontariste peut sembler incantatoire, tant il est vrai que la loi HADOPI paraît aujourd'hui menacée. D'un côté, une véritable offensive internationale contre la réponse graduée s'est développée, avec notamment le rapport de l'OSCE diffusé au mois de juillet. De l'autre, une offensive politique évidemment plus menaçante à quelques mois des élections présidentielles, car madame Martine Aubry vient précisément d'annoncer sa décision, si elle est élue, d'abroger la loi HADOPI, pour lui préférer un système de téléchargement libre, assorti du paiement d'une "contribution créative".  Madame Aurélie Filippetti de son côté, proche de monsieur François Hollande souhaite une révision de la loi, pour ne garder que sa dimension pédagogique et supprimer tout ce qui concerne la "criminalisation de la jeunesse". En clair, en cas de victoire d'un candidat de gauche, la loi HADOPI ne sortira pas intacte.

Le "rendez vous en juin 2012" annoncé par l'éditorial signé de la Présidente de la Haute Autorité, madame Marie-François Marais, pour fixer la date du prochain rapport, prend alors un tout autre sens...

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