Pages

vendredi 28 octobre 2011

Antennes relais et principe de précaution

Le Conseil d'Etat a rendu le 26 octobre trois décisions très attendues en matière d'installation des antennes de téléphonie mobile. A la suite de doutes relayés par les médias sur l'impact de ces installations sur la santé, certains élus des villes de Saint Denis, Pennes-Mirabeau et Bordeaux avaient pris diverses mesures soumettant la pose de ces antennes à différents types de contraintes. A Saint Denis, elles étaient interdites à moins de 100 mètres autour des crèches, des établissements scolaires et des résidences de personnes âgées. A Pennes-Mirabeau, elles étaient également interdites, cette fois dans un rayon de 300 mètres autour d'une habitation ou d'un établissement recevant du public. A Bordeaux enfin, elles étaient soumises au contrôle des services de la ville et également interdites autour des locaux accueillant des enfants de moins de douze ans. Dans ce dernier cas, le Conseil d'Etat est saisi en appel d'une demande de référé de SFR demandant la suspension de l'arrêté du maire. Les contentieux ont évidemment été initiés par les opérateurs de téléphonie mobile qui estiment que la multiplication de ces décisions locales empêche le déploiement de leur réseau sur l'ensemble du territoire. 

Si les restrictions envisagées par les élus divergent quelque peu, leurs décisions ont pour point commun de se fonder sur le principe de précaution pour écarter la liberté de communication. Le Conseil est donc finalement invité à se prononcer sur la concurrence entre la liberté de communication et le principe de précaution d'une part, et entre la police générale et une police spéciale d'autre part. 

Les multiples facettes de la liberté de communication

La liberté de communication, comme la liberté de presse, est une de ces libertés à multiples facettes, qui englobe à la fois la liberté d'expression et la liberté d'entreprendre. Dès le 18 septembre 1986, le Conseil constitutionnel a ainsi précisé que les auditeurs et téléspectateurs ont le droit d'installer des antennes de réception radio ou de télévision sur leur habitation, reconnaissant ainsi l'existence d'un droit d'envoyer, et pour les clients de recevoir, les émissions herziennes et plus tard satellitaires. Si aucune décision ne porte précisément sur la téléphonie mobile, il n'en demeure pas moins que l'installation des antennes relais peut être considérée comme le moyen d'exercice d'une forme très actuelle de la liberté de communication. 

Dans le cas de la téléphonie mobile, le déploiement des antennes-relais ne s'est pas accompagnée d'études de l'impact de cette technologie sur la santé des populations. Des études plus ou moins alarmistes circulent, des rumeurs se développent et des riverains refusent l'installation d'antennes relais. En février 2011, une étude du COMOP (Comité opérationnel de la table ronde gouvernementale "Radiofréquence, santé et environnement") montre cependant que l'exposition réelle du public aux ondes radio est extrêmement faible, sans nécessairement emporter la conviction des opposants les plus résolus à cette technologie.



Le principe de précaution, des jurisprudences divergentes

Au coeur du débat se trouve la principe de précaution. Issue du sommet de Rio, cette notion figure dans la Charte de l'environnement. Lorsque cette Charte est intégrée dans notre Constitution par la révision de février 2005, le principe de précaution y pénètre également, sans pour autant faire l'objet d'une définition très précise. Il est pourtant invoqué pour empêcher le déploiement des réseaux de téléphonie mobile, et les contentieux suscitent des jurisprudences très divergentes. 

Le juge judiciaire est saisi par des riverains qui demandent de mettre un fin à ce qu'ils considèrent comme une exposition à un risque sanitaire. Invoquant le principe de précaution, la Cour d'appel de Versailles, dans une décision du 4 février 2009, constate que l'opérateur aurait pu s'exonérer de sa responsabilité s'il avait démontré avoir pris des mesures de précaution, par exemple l'éloignement des antennes des personnes les plus vulnérables. En l'absence de telles mesures, il est condamné à verser aux demandeurs des dommages et intérêts. Le tribunal de grande instance de Carpentras, le 16 février 2009, exige, quant à lui, le démontage de l'antenne litigieuse. Quant au tribunal de grande instance d'Angers saisi en référé le 5 mars 2009, il a ordonné purement et simplement l'interdiction d'un projet d'implantation d'antennes relais. Pour ces juridictions, l'exposition à un risque sanitaire, même hypothétique, constitue une forme nouvelle de risque de voisinage. On observe cependant que ces décisions sont celles des juges du fond, et que la Cour de cassation ne s'est pas encore prononcée sur cette question. 

Le juge administratif s'est montré moins audacieux, saisi quant à lui par les opérateurs de téléphonie mobile contestant des arrêtés municipaux limitant ou interdisant le déploiement de ces antennes. Une  décision du 20 avril 2005 Société Bouygues Télécom, du Conseil d'Etat met fin à des jurisprudences de combat certains tribunaux administratifs et refuse de prendre en considération le principe de précaution dans le cadre du contrôle de légalité. Dans une autre décision du 2 juillet 2008, Soc. SFR il précise ensuite qu'un maire ne peut pas imposer des conditions d'éloignement à ces installations au nom du principe de précaution. 

Les trois décisions du 26 octobre confirment la jurisprudence antérieure, mais vont également plus loin en précisant cette fois que les élus locaux sont incompétents pour prendre des mesures restreignant le déploiement des antennes relais. 

Police générale et police spéciale

Le Conseil d'Etat affirme en effet que les autorités de l'Etat ont une compétence exclusive pour réglementer l'implantation des antennes relais sur le territoire. Il s'agit donc d'une police spéciale confiée au ministre chargé des communications électroniques, à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et à l'Agence nationale des fréquences (ANF). Il leur appartient, dans le cadre de leurs compétences, de définir les modalités d'implantation des stations électriques ainsi que les mesures éventuelles de protection du public contre les effets des ondes émises. En l'occurrence, la mise en service d'une antenne est subordonnée à une autorisation de l'ANF, délivrée au regard des caractéristiques techniques de la station et de son implantation locale.

Le maire se voit donc exclu de toute intervention au motif que les autorités de l'Etat "peuvent s'appuyer sur une expertise non disponible au plan local".  La police spéciale l'emporte évidemment sur la police générale, et le maire n'est plus fondé à intervenir sur le fondement de son pouvoir de police, sauf évidemment en cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles.

Cette décision porte un nouveau coup au principe de précaution. Le Conseil d'Etat énonce en effet que ce principe ne "saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d'excéder son champ de compétence et d'intervenir en dehors de ses domaines d'application". Autrement dit, même si les  seuils de radiation fixés par décret étaient localement dépassés, les maires demeureraient incompétents pour intervenir en ce domaine. La seule voie de droit dont ils disposent consiste à alerter les autorités compétentes.

La lecture de cette décision incite à s'interroger sur ce "principe de précaution", salué comme une formidable avancée dans la protection de l'environnement, introduit dans la Constitution avec enthousiasme, si souvent invoqué à l'appui de tout et de n'importe quoi, et aujourd'hui victime de l'incertitude de sa propre définition. Faute de parvenir à en préciser les contours, le Conseil d'Etat préfère l'écarter...

Reste à se demander si la Cour de cassation fera la même chose le jour où elle sera saisie d'une affaire relative à ces antennes relais.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire