Un arrêt de chambre du 27 septembre 2011, Bah c. Royaume Uni, rendu par la Cour européenne des droits de l'homme suscite la réflexion sur la distinction entre l'aide au logement et le droit au logement.
En l'espèce, la législation contestée est la loi britannique, et plus précisément le House Act de 1977 révisé en 1996, qui impose aux collectivités locales de procurer un logement permanent aux personnes en situation de précarité. La requérante, Mme Husenatu Bah, est une ressortissante de Sierra-Leone arrivée en 2000 sur le territoire britannique, et qui dispose depuis 2005 d'un titre de séjour permanent. Son fils, né en 1994, a été autorisé à la rejoindre en 2007, à la condition qu'il ne solliciterait aucune aide financière auprès de l'administration britannique.
Ce regroupement familial a suscité quelques désagréments à Madame Bah, puisque le propriétaire qui lui louait une chambre dans le secteur privé n'a pas renouvelé son bail, en raison sans doute de l'exiguïté des lieux. Elle a donc demandé aux autorités de Southwark l'attribution d'un logement social, attribution prioritaire selon le House Act pour les personnes involontairement privées de domicile et ayant à leur charge des enfants mineurs. Un refus lui a pourtant été opposé, au motif que son fils étant entré sur le territoire à la condition de ne solliciter aucune aide, elle ne pouvait invoquer sa présence pour obtenir un logement prioritaire. C'est évidemment cette décision négative qu'elle conteste devant la Cour.
Aide au logement et non pas droit au logement
La requérante s'appuie sur les dispositions combinées de l'article 8 et de l'article 14 de la Convention. Le premier consacre le droit à la vie privée et familiale. Le second énonce que les droits et libertés reconnus par la Convention s'exercent sans discrimination.
Il n'aurait pas été impossible de considérer que le logement est l'abri de la vie privée et n'en est pas dissociable. Il existerait alors un "droit au logement" dont chaque individu en situation précaire et à la recherche d'une habitation pourrait se prévaloir. Ce n'est pourtant pas le raisonnement suivi par la Cour qui prend bien soin de préciser que l'article 8 ne garantit pas un droit à l'attribution d'un logement social. Aux yeux de la Cour, et c'est le terme qu'elle emploie, le logement constitue une "prestation", l'aide au logement étant finalement un service public.
Pour ce qui est de l'article 14 et du principe de non discrimination qu'il impose, la Cour examine de manière très concrète les dispositions du House Act britannique. Elle note que la législation étatique peut, sans violer les dispositions de la Conventions, poser des conditions et réserver le traitement prioritaire dans l'attribution d'un logement à certaines catégories de demandeurs, par exemple les bénéficiaires du droit d'asile ou les ressortissants communautaires. Madame Bah n'a pas fait l'objet d'un traitement discriminatoire, dans la mesure où les conditions d'accueil de son fils lui avaient été signifiées, et qu'elle les avait acceptées.
Fenêtre sur cour. Alfred Hitchcock 1954 |
De cette analyse, on peut déduire que le logement n'est pas un droit mais l'objet d'un service public visant à aider les plus démunis. Compte tenu de la pénurie de logements sociaux, il n'est pas illicite, au regard de la Convention, de fixer des critères objectifs pour leur obtention, et de mettre en oeuvre une oligation de moyens.
Et le droit au logement opposable ?
Face à ce réalisme, la législation française peut apparaître dogmatique, comme si l'objet était d'abord d'affirmer un droit de proclamation sans trop se préoccuper de sa mise en oeuvre effective. Dès la loi Quilliot du 22 juin 1982, a été consacré un "droit à l'habitat" considéré comme "fondamental". Ensuite, la loi Mermaz du 6 juillet 1989 puis la loi Besson du 31 mai 1990 ont proclamé le "droit au logement" devenu "droit au logement décent" avec la loi SRU de 2000. Enfin, la dernière avancée conceptuelle réside dans l'affirmation d'un "droit au logement opposable" avec la loi du 5 mars 2007, qui affirme l'existence d'une obligation de résultat à la charge de l'Etat.
Derrière ces formules déclaratoires se cache une législation qui n'est guère éloignée du House Act britannique. Comme lui, le "droit au logement opposable" (DALO) est réservé à certaines catégories de population, les nationaux français et les étrangers qui y résident de manière permanente. Si le demandeur ne peut se loger par ses propres moyens et a déposé une demande de logement social, il pourra, à l'issue d'une procédure marquée par l'intervention d'une commission de médiation, obtenir un logement de manière prioritaire.
Comme au Royaume Uni, l'objectif de cette législation est d'assurer le traitement prioritaire des dossiers de ceux qui sont dans une situation particulièrement précaire. L'objet est louable, mais pourquoi le présenter comme un droit dont les plus démunis pourraient se prévaloir auprès des autorités publiques ? D'une part, ce "droit" n'est assorti d'aucune sanction réelle. D'autre part, nul n'ignore que l'insuffisance du nombre de logements sociaux rend illusoire sa mise en oeuvre concrète.
On peut alors s'interroger sur la formule qui doit être privilégiée. La Cour européenne s'efforce de faire en sorte que le service de l'aide au logement soit exercé sans discriminations, démarche utile même si elle demeure modeste. Le droit français consacre, à grand renfort de communication, un droit purement cosmétique, qui n'est pas en mesure de tenir ses promesses... Le débat est ouvert.
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