Le 26 juillet dernier, le Président de la République a envoyé à tous les parlementaires une lettre leur demandant de "se rassembler au-delà des intérêts partisans". Après l'adoption du plan d'aide à la Grèce, il s'agissait en fait de faire la promotion de la réforme visant à intégrer le principe d'équilibre budgétaire dans le texte constitutionnel.
On sait que cette réforme, si elle n'est pas soumise à referendum, devra obtenir la majorité des 3/5è des voix de l'ensemble des parlementaires, députés et sénateurs, réunis en Congrès à Versailles. L'objet de la lettre présidentielle est donc d'abord de mettre l'opposition en situation délicate en faisant peser sur elle la responsabilité de l'échec éventuel d'une réforme présentée comme un instrument essentiel dans la maîtrise des déficits.
Au-delà de l'utilisation politique du procédé, il convient de revenir sur son utilisation juridique. La question est simple : le Président de la République a-t-il violé la Constitution en envoyant cette lettre aux parlementaires ?
Le sujet n'est pas aussi anodin que certains l'ont affirmé, car le débat porte sur le principe même de la séparation des pouvoirs, consacré par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyende 1789. Selon la lecture parlementaire de ce principe, le Président de la République, constitutionnellement irresponsable, ne doit pas pouvoir faire pression sur le parlement. Sa seule arme à son égard est le droit de dissolution.
On a toutefois admis un "droit de message" du Président, procédure conçue de manière minimaliste depuis la célèbre loi de Broglie de 1873, qui avait pour objet d'interdire à Adolphe Thiers d'intervenir en séance pour faire pression sur les députés. Conformément à la tradition parlementaire, l'article 18 de la Constitution de 1958 n'autorisait donc le Président de la République à s'exprimer que par un message lu par le président de chaque assemblée, et suivi d'aucun débat. La procédure était d'ailleurs relativement rare, 18 utilisations entre 1958 et 2007.
Le Président Sarkozy a souhaité étendre ce droit de message. Lors de la révision constitutionnelle de 2008, il a obtenu l'adjonction d'un second alinéa à l'article 18, qui l'autorise désormais à prendre directement la parole devant les assemblée réunies en Congrès. Sa déclaration peut ensuite donner lieu à un débat sans vote, hors de sa présence. Dès le 22 juin 2009, le Président a utilisé ce droit de message pour s'exprimer sur la politique sociale devant les parlementaires.
Dès lors que le Président avait souhaité cette modification de l'article 18, on aurait pu penser… qu'il l'utiliserait. En juillet dernier, il a au contraire préféré envoyer une lettre à chaque parlementaire, procédure tout à fait inédite de communication entre le Président et les assemblées.
L'inconstitutionnalité du procédé ne fait guère de doute. En effet l'article 18 énonce que le Président "peut" prendre la parole devant le Congrès. La Constitution définit donc les possibilités d'intervention qui lui sont offertes… et l'envoi d'une lettre ne figure pas parmi ces instruments de communication. De toute évidence, l'article 18 est limitatif, comme l'affirme Guy Carcassonne dans "Le Monde".
Didier Mauss reconnaît, quant à lui, que cette pratique nouvelle n'est pas conforme à l"'orthodoxie républicaine", concept au contenu juridique très incertain. Il ajoute que "faire revenir les parlementaires fin juillet pour leur faire écouter un texte de cinq minutes n'aurait pas été populaire"…Sans doute, mais les procédures imposées par la Constitution ne sont tout de même pas écartées pendant les vacances ?
Quoi qu'il en soit, s'il est entendu que les fameuses lettres sont inconstitutionnelles, il reste à se poser la question de l'éventuelle sanction. M. Emmanuelli a saisi le 1er août M. Accoyer, le Président de l'Assemblée, pour demander la saisine du Conseil constitutionnel afin qu'il déclare l'inconstitutionnalité de cette procédure.
Cette demande a bien peu de chances de prospérer, car les compétences du Conseil constitutionnel sont limitées au contentieux électoral et à l'appréciation de la constitutionnalité des lois. Le seul juge compétent dans ce domaine serait évidemment "le parlement constitué en Haute Cour", conformément à l'article 68 de la Constitution.. Mais la loi organique qui devait organiser le fonctionnement de cette instance n'a jamais été votée, et la sanction semblerait tout de même très disproportionnée..
L'inconstitutionnalité commise par le Président ne peut donc pas être juridiquement sanctionnée… Tant mieux, car l'envoi d'une lettre de propagande ne mérite tout de même pas la Haute Cour. Mais elle doit tout de même attirer notre attention et susciter notre vigilance. Car le respect des procédures ne porte t il pas témoignage du respect porté aux institutions ?
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