L'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe publie un rapport sur la liberté d'expression sur internet.
Il est rendu public moins de deux mois après celui rédigé par le rapporteur spécial des Nations Unies sur ce sujet, dont la conclusion essentielle était de "prier instamment les Etats d'abroger ou de modifier les lois de propriété intellectuelle actuelles qui permettent que des utilisateurs soient déconnectés de l'accès à internet, et de s'abstenir d'adopter de telles lois..". Autant dire que la loi Hadopi était directement visée, puisqu'elle permet de suspendre l'accès internet de ceux qui auraient opéré des téléchargements illégaux.
Le rapport de l'OSCE va dans le même sens, en se livrant à une analyse comparative des différentes législations, à partir de questionnaires envoyés aux Etats membres.
A la question de savoir si la loi interne autorise les restrictions d'accès à internet, la France répond de maniËre positive, comme l'Azerbaïdjan, la Lettonie, la Lituanie, le Portugal, le Turkménistan et l'Ukraine. En revanche, 39 pays ne disposent pas d'une telle législation et 10 n'ont pas répondu à la question.
Bien entendu, les autorités françaises ont pris soin de préciser que, selon la loi Hadopi, la suspension de l'accès à internet n'intervient qu'après plusieurs avertissements, et à la suite d'une décision de justice. Le système français reprend ainsi le principe de la "riposte graduée", largement débattu en matière de lutte contre le piratage et la protection des droits d'auteurs sur internet.
Pour le rapporteur de l'OSCE, comme pour celui de l'ONU, peu importe que la suspension d'accès soit le rÈsultat ultime d'une riposte graduée, peu importe aussi que la décision soit in fine prise par un juge. Le simple fait qu'elle puisse intervenir constitue une violation de l'article 19 § 3 du Pacte relatif aux droits civils et politiques de 1966. Celui-ci autorise en effet certaines restrictions à la liberté d'expression, à la condition qu'elles soient prévues par la loi, et qu'elles soient nécessaires à la poursuite d'un objectif d'intérêt général. Or, en l'espèce, les rapporteurs ne contestent pas la légitimité de la protection des droits d'auteur, mais considèrent que la suspension de l'accès internet porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression.
La conclusion du rapport sur ce point semble viser directement la loi Hadopi : "Le développement de dispositifs législatifs de type riposte graduée pour combattre le piratage sur Internet dans plusieurs pays est inquiétant. Alors que des pays ont un intérêt légitime à combattre le piratage, restreindre ou couper l'accès à Internet des internautes est une réponse disproportionnée qui est incompatible avec les engagements de l'OSCE sur la liberté de chercher, recevoir et diffuser l'information".
Ce rapport ne manquera pas du susciter des débats en France.
- D'une part, en condamnant "en bloc" le principe même de la "riposte graduée", il refuse de faire une distinction entre sanction administrative et sanction pénale. Il peut effectivement apparaître choquant de voir une autorité purement administrative interdire à une personne l'accès à internet. Une telle procédure serait contraire à la séparation des autorités et n'offrirait pas nécessairement toutes les garanties de la procédure contradictoire. En revanche, une sanction prononcée par le tribunal correctionnel est conforme à ces exigences.
- D'autre part, cette "riposte graduée" porte-t-elle une atteinte aussi absolue que le rapporteur semble le penser à la liberté d'expression ? La personne dont la connexion est interrompue par la justice n'a t elle pas la possibilité de se rendre dans un cybercafé, ou d'utiliser la connexion d'un tiers ?
Enfin, il faut bien reconnaitre que le rapport de l'OSCE ne fait pas de propositions concrètes pour garantir le respect des droits d'auteur sur internet, en suggérant par exemple d'autres procédures ou d'autres sanctions. Tout au plus appelle-t-il à une concertation internationale sur cette question, ce qui relève largement du "Wishful Thinking".
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