En juillet 2008, une « initiative populaire » avait réuni 113 540 signatures de citoyens helvétiques « contre la construction de minarets ». L’introduction de cette prohibition dans la constitution avait ensuite été adoptée par référendum le 29 novembre 2009 avec 57, 5 % des voix, provoquant l’introduction dans la constitution d’un nouvel article 72 al 3 : « La construction de minarets est interdite ».
Ce bref rappel historique est indispensable pour comprendre le sens des deux décisions d’irrecevabilité rendues le 8 juillet par la Cour européenne des droits de l’homme (Ouardiri c. Suisse ; Ligue des Musulmans de Suisse et a. c. Suisse). Que l’on adhère ou non à l’interdiction des minarets, il n’en demeure pas moins qu’elle a été prise à l’issue d’un processus démocratique, qui plus est de démocratie directe, celle qui exprime avec le plus de justesse la volonté du peuple souverain.
La précision n’est pas mince, car elle conduit à se demander comment la Cour pouvait se tirer d’un bien mauvais pas. Déclarer qu’une législation votée dans le cadre d’un régime représentatif n’est pas conforme à la Convention européenne peut s’analyser comme la simple mise en œuvre du principe de supériorité du traité sur la loi interne. En revanche, déclarer non conforme une disposition constitutionnelle votée directement par le peuple reviendrait à affirmer qu’une cour de justice peut s’opposer à l’expression même de la souveraineté.. C’est une autre affaire.
Camoin Le minaret |
Ce défaut de légitimité conduit la Cour, dans l’affaire Ouadiri, à refuser de se fonder sur l’article 13 de la convention, le requérant se plaignant de l’absence de recours effectif lui permettant de contester une norme constitutionnelle. La Cour fait d’ailleurs observer que rien n’interdit un recours contre une règle d’application de la norme constitutionnelle,
Finalement, la Cour choisit la solution la plus simple, qui est de déclarer irrecevables les différents recours. Pour les juges européens, les différentes associations musulmanes requérantes ainsi que M. Ouadiri, lui même dirigeant d’une fondation musulmane, ne sont pas des « victimes » au sens de l’article 34 de la Convention.
Ils ne sont pas des victimes « directes », et la Cour prend soin de préciser qu’ils n’ont pas pour projet de construire eux mêmes une mosquée. Ils ne sont pas davantage des victimes « indirectes », puisqu’ils n’ont aucun lien de proximité avec une victime directe. Ils ne sont pas, enfin, des victimes « potentielles », puisqu’ils n’auront pas à subir directement les effets de la nouvelle disposition constitutionnelle. En effet, ils se fondement exclusivement sur le fait qu’elle heurte leurs convictions religieuses. Mais la Cour fait observer que l’interdiction de construire un minaret n’a pas pour effet de leur interdire l’exercice de leur religion et que leur comportement n’en sera en aucun cas modifié. Ayant la chance de résider au cœur de la démocratie suisse, ils pourront même développer un combat politique contre cette disposition qu’ils récusent.
En déclarant ces recours irrecevables, la Cour ne met pas fin au débat mais le repousse. Il est probable en effet qu’elle aura prochainement à se prononcer sur des mesures d’application refusant la construction de minarets.
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