Deux décisions jurisprudentielles très récentes viennent nous préciser l'étendue du principe de non discrimination, lorsqu'il est invoqué en matière de nationalité.
D'un côté, le Conseil constitutionnel, saisi sur QPC, a rendu le 17 juin une décision admettant la constitutionnalité des dispositions limitant l'accès au revenu de solidarité active (RSA) aux seuls étrangers réfugiés ou apatrides, ainsi qu'à ceux titulaires d'un titre de séjour "autorisant à travailler" depuis au moins cinq ans (art. L 262-4 du code de l'action sociale et des familles).
De l'autre, la Cour européenne des droits de l'homme, dans un arrêt rendu quatre jours plus tard, sanctionne la Bulgarie qui a mis en place une exception au principe de gratuité de l’enseignement secondaire. Ce pays voulait ainsi imposer des frais de scolarité aux seuls enfants étrangers non titulaires d'un titre de séjour permanent (CEDH, 21 juin 2011, Anatoliy Ponomaryov et Vitaliy Ponomaryov c. Bulgarie).
Certains commentateurs n'ont pas manqué de dénoncer la jurisprudence constitutionnelle française comme marquant un recul dans la protection des étrangers, louant en revanche la position européenne plus volontariste dans la garantie du principe de non discrimination.
Hélas, ces affirmations très militantes sont réduites à néant par la simple lecture des deux décisions, qui sont loin d’être aussi contradictoires qu’il n’y paraît.
Celle du Conseil constitutionnel se situe dans la ligne de sa jurisprudence précédente. Dès sa décision du 23 janvier 1987 sur une loi portant DMOS, il avait admis qu’une obligation de résidence soit imposée aux étrangers pour pouvoir bénéficier de l’allocation du Fonds national de solidarité. Ce n’est donc pas la qualité d’étranger qui entraine l’exclusion du bénéfice de telle ou telle allocation. C’est la situation effective de l’étranger, qui lui permet, ou non, d’intégrer un programme d’insertion. En l’espèce, le RSA a pour finalité « une incitation à l’exercice ou à la reprise d’une activité professionnelle ». Pour le Conseil constitutionnel, le législateur peut donc établir des critères reposant sur la stabilité de l’installation de l’étranger en France, et donc sa capacité à s’engager dans un programme à moyen terme. Ce n’est donc pas la nationalité qui constitue le critère discriminant, mais la durée du maintien sur le territoire.
Envisageons maintenant la décision de la Cour européenne des droits de l’homme, qui nous est présentée comme un exemple d’une politique volontariste de non discrimination à l’égard des étrangers que nos élus devraient méditer. La lecture de la décision Ponomaryiov témoigne cependant d’un raisonnement beaucoup plus subtil. Le juge européen prend d’ailleurs la précaution de préciser qu’elle se fonde sur les « circonstances particulières de l’espèce » et qu’il n’y a pas, dans le cas bulgare, de discrimination fondée sur la nationalité. En effet, les étrangers titulaires d’un titre de séjour régulier bénéficient de la gratuité de l’enseignement, dans les mêmes conditions que les jeunes bulgares. La discrimination, reconnue en l’espèce par la Cour européenne, n’est pas liée à la nationalité mais à la spécificité du droit à l’éducation. Elle rappelle ainsi que l’enseignement constitue le creuset de l’intégration, et que les autorités publiques ne sauraient porter atteinte à l’égalité devant l’enseignement que dans des conditions très restrictives. C’est la raison pour laquelle la Bulgarie est finalement sanctionnée pour n’avoir pas prévu de possibilité de déroger à cette obligation de payer des frais de scolarité, par des procédures permettant d’évaluer chaque cas particulier.
Dans les deux, la nationalité est donc un élément secondaire de la décision de justice… qu’il est sans doute préférable de lire avant d’écouter ceux qui préfèrent la dénonciation militante à l’analyse juridique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire