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dimanche 29 août 2021

Le pluralisme des courants d'opinion, même sur CNews


Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), dans une délibération du 28 juillet 2021 publiée le 27 août, met en garde la chaine CNews. Dans l'émission "L'heure des Pros" animée par Pascal Praud et diffusée le 26 avril 2012, le débat a porté sur la tribune signée quelques jours auparavant par des généraux qui s'élevaient, dans  l’hebdomadaire Valeurs actuelles contre “le délitement” de la France. 

Or ce débat ne brillait pas par les diversité des opinions qui s'y exprimaient. Étaient en effet sur le plateau l’ancien cadre du RN Jean Messiha, le publicitaire Jacques Séguéla, la directrice de la rédaction de Causeur, Elisabeth Lévy, et le secrétaire national adjoint du syndicat indépendant des commissaires de police, Matthieu Valet. L’eurodéputé RN Gilbert Collard était également intervenu par vidéoconférence. La liste des invités témoigne ainsi d'un tropisme politique penchant clairement vers la droite, et même vers l'extrémité de la droite. 

Sans doute pourrait-on faire valoir que CNews se revendique comme une sorte de FoxNews "à la française", ce qui signifie que la chaîne veut être le canal d'expression de la droite de la classe politique. Certes, mais le problème est que si un journal de la presse écrite ou diffusée sur internet peut parfaitement avoir une "ligne éditoriale" de droite ou de gauche, il n'en est pas tout à fait de même d'une chaine de télévision. Le droit de l'audiovisuel repose en effet sur un régime d'autorisation d'émettre délivrée par le CSA. Et ce dernier attribue l'autorisation en appréciant les mérites d'un projet au regard du respect du pluralisme des courants d'opinion. 

 

Le pluralisme des courants d'opinion


Dans sa décision du 11 octobre1984, le Conseil constitutionnel affirme que la liberté d’expression « ne serait pas effective si le public auquel s’adressent ces quotidiens n’était pas à même de disposer d’un nombre suffisant de publications, de tendances et de caractères différents (…) ». Ce principe est ensuite étendu aux médias audiovisuels par la décision du 18septembre 1986 qui précise qu’il « constitue une des conditions de la démocratie ». Est ainsi consacré un véritable droit à l’expression des courants minoritaires. Ensuite, dans deux décisions du 3 mars 2009, le Conseil constitutionnel a fait de l’« indépendance des médias » un objectif de valeur constitutionnelle, instrument du pluralisme. La CEDH, quant à elle, utilise une formule proche, selon laquelle le droit d’exposer une opinion minoritaire est une composante essentielle de la société démocratique, qui repose sur « le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture » Le juge des référés du Conseil d’État enfin, dans une ordonnance du 4 avril 2019 affirme que « le pluralisme des courants de pensée et d’opinion est une liberté fondamentale ».

Certes, le principe de pluralisme des courants d'opinions est surtout invoqué à l'occasion des campagnes électorales, d'autant lorsqu'il s'agit de mesurer le temps des paroles accordé aux différents candidats. Mais il impose aussi un équilibre général dans l'expression des opinions, en particulier sur les sujets faisant l'objet d'un débat particulièrement vif. Chaque chaîne, quelle que soit sa ligne éditoriale, doit ainsi accorder une place aux opinions minoritaires. Le CSA, dans une délibération du 18 avril 2018, affirme ainsi qu'il appartient à un service de communication audiovisuelle de veiller "au respect d’une présentation honnête des questions prêtant à controverse, en particulier en assurant l’expression des différents points de vue par les journalistes, présentateurs, animateurs ou collaborateurs d’antenne".

C'est précisément cette règle qui n'a pas été respectée par CNews, justifiant ainsi une procédure de mise en garde.

 


 Le débat sur la Cinq. Les Inconnus. Circa 1990

 

La mise en garde


La terminologie employée est importante, car la mise en garde n'est pas la mise en demeure. Ni l'une ni l'autre ne sont des sanctions, mais la seconde, la mise en demeure est néanmoins un acte administratif faisant grief. Prévue par l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 , elle est donc susceptible de recours devant le juge administratif. La mise en garde, en revanche, relève du "droit mou". Simple lettre envoyée aux opérateurs, elle ne saurait être contestée devant le juge administratif. Il s'agit, pour le CSA, de rappeler à une chaine la nécessité de respecter des obligations auxquelles elle a consenti lors de la procédure d'autorisation, par exemple en matière de diffusion d'oeuvres audiovisuelles et cinématographiques françaises et européennes.

Bien entendu, la mise en garde s'inscrit dans un système d'intervention graduée. La mise en garde peut conduire à une mise en demeure et si cette dernière n'est pas respectée, une procédure de sanction peut être engagée. Dans la situation présente, CNews devrait certainement essayer de se montrer un peu plus prudente, d'autant que le CSA a déjà observé qu'une seconde émission consacrée le 3 mai à la même tribune des généraux, avait été animée par sensiblement les mêmes intervenants. En outre, on se souvient que le CSA a infligé à la chaine une véritable sanction de 200 000 € d'amende pour des propos pour le moins polémiques d'Éric Zemour sur les migrants mineurs isolés. 

On pourrait évidemment s'interroger sur cette différence de traitement entre la presse écrite et audiovisuelle. La première fait ce qu'elle veut, adopte parfois une ligne éditoriale bien proche du pur militantisme politique. La seconde se voit imposer par la loi le respect du principe de pluralisme des opinions. On pourrait invoquer l'histoire pour expliquer cette situation. La presse s'est construite, depuis la loi du 29 juillet 1881, dans un système libéral reposant sur la liberté de créer un journal et de s'y exprimer. La communication audiovisuelle au contraire s'est construite en se libérant d'un système de monopole public. De fait le poids des contraintes étatiques est loin d'avoir totalement disparu. 

De manière plus générale, peut-être doit être reprendre l'ancienne distinction entre les médias froids et les médias chauds chère à Mac Luhan ? Le journal est un média froid, qui exige une distance du lecteur. Prenant le temps de lire un article, il prend aussi celui de réfléchir à son contenu, d'y adhérer ou de le rejeter. En revanche, la télévision est un média chaud qui fournit une masse d'informations au spectateur et  encourage sa passivité.  Il convient alors de le protéger contre des médias qui se présentent comme des instruments d'information alors qu'ils sont en réalité des instruments de propagande.


Sur la liberté de communication audiovisuelle  : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 9 section 2, § 2, B


jeudi 26 août 2021

L'édition 2021 du manuel de libertés publiques

 

Le manuel de "Libertés publiques" publié sur Amazon présente l'originalité d'être accessible sur papier, mais aussi par téléchargement  pour la somme de six euros. Il peut être lu sur n'importe quel ordinateur.
 
Ce choix d'élargir le support d'un ouvrage universitaire s'explique par la volonté d'offrir aux étudiants un manuel adapté à leur budget mais aussi à leurs méthodes de travail. Ils trouvent aujourd'hui l'essentiel de leur documentation sur internet, mais ils ne sont pas toujours en mesure d'en apprécier la pertinence. Bien souvent, ils piochent un peu au hasard, entre des informations anciennes ou fantaisistes.

Le manuel de "Libertés publiques" proposé sur Amazon répond aux exigences académiques et il est actualisé au 24 août 2021, ce qui signifie qu'il intègre la loi "bioéthique"du 2 août 2021 et la loi "séparatisme" du 24 août 2021. Il fait l'objet d'une actualisation en temps réel, grâce à la nouvelle rubrique "Au fil de l'eau" du site "Liberté Libertés Chéries" et aux articles figurant sur le blog. Le manuel et le site sont donc conçus comme complémentaires.
 
Nombre d'écrits sur les libertés et les droits de l'homme relèvent aujourd'hui de la rhétorique et du militantisme, au risque de déformer la réalité juridique.  Cette publication propose une approche juridique, qui ne s'adresse pas seulement au public universitaire,  étudiants et enseignants, mais aussi à tous ceux qui ont à pratiquer ces libertés. Une connaissance précise du droit positif en la matière est nécessaire, aussi bien sur le plan académique que sur celui de la citoyenneté. C'est un panorama très large des libertés et de la manière dont le droit positif les garantit qui est ici développé. En témoigne, le plan de l'ouvrage que LLC met à disposition de ses lecteurs.
 


 
 

TABLE DES MATIÈRES

 

 

I – LES LIBERTES PUBLIQUES COMME OBJET JURIDIQUE

II – LES TECHNIQUES JURIDIQUES DE MISE EN ŒUVRE DES LIBERTES PUBLIQUES

PREMIÈRE PARTIE

LE DROIT

DES LIBERTES PUBLIQUES

CHAPITRE 1 LA CONSTRUCTION DES LIBERTÉS PUBLIQUES

SECTION 1 : ÉVOLUTION HISTORIQUE

§ 1 – Les doctrines individualistes et la prédominance du droit de propriété

§ 2 – Les doctrines des droits sociaux

SECTION 2   L’INTERNATIONALISATION DES DROITS DE L’HOMME

§ 1 – Les limites de l’approche universelle

§ 2 – Le succès de l’approche européenne

CHAPITRE 2 : L’AMÉNAGEMENT DES LIBERTES PUBLIQUES

SECTION 1 : LE DROIT COMMUN

§ 1 – Le régime répressif

§ 2 – Le régime préventif

§ 3 - Le régime de déclaration préalable

SECTION 2 : LE DROIT DES PÉRIODES D'EXCEPTION

§ 1 – Les régimes constitutionnels

§ 2 – Les régimes législatifs : état d'urgence et état d'urgence sanitaire

CHAPITRE 3 : LES GARANTIES JURIDIQUES CONTRE LES ATTEINTES AUX LIBERTÉS

SECTION 1 : LES TRAITÉS INTERNATIONAUX

§ 1 – La primauté de la Constitution sur les traités non ratifiés

§ 2 – La primauté de la Constitution sur les traités ratifiés

SECTION 2 : LES LOIS

§ 1 – Le Conseil constitutionnel ou la conquête du statut juridictionnel

§ 2 – L’élargissement du contrôle de constitutionnalité

SECTION 3 : LES ACTES DE L’ADMINISTRATION

§ 1 – Les autorités administratives indépendantes

§ 2 – Le juge judiciaire

§ 3 – Le juge administratif

CONCLUSION DE LA PREMIÈRE PARTIE LA CLASSIFICATION DES LIBERTES PUBLIQUES

§ 1 – Les classifications fondées sur le rôle de l’Etat

§ 2 – Les classifications fondées sur le contenu des libertés.

DEUXIÈME PARTIE

LES LIBERTÉS DE LA VIE INDIVIDUELLE

CHAPITRE 4 LA SURETÉ

SECTION 1 : LE DROIT COMMUN DE LA SÛRETÉ

§ 1 – Les principes généraux du droit pénal

§ 2 – Les principes généraux de la procédure pénale

SECTION 2   LES GARANTIES PARTICULIÈRES DE LA SÛRETÉ

§ 1 – Les atteintes à la sûreté antérieures au jugement

§ 2 – Les atteintes à la sûreté sans jugement

CHAPITRE 5 LA LIBERTÉ D’ALLER ET VENIR

SECTION 1 : LA LIBRE CIRCULATION DES NATIONAUX

§ 1 – Le droit de circuler sur le territoire

§ 2 – Le droit de quitter le territoire

SECTION 2   LES RESTRICTIONS A LA CIRCULATION DES ÉTRANGERS

§ 1 – L’entrée sur le territoire

§ 2 – La sortie du territoire

CHAPITRE 6 LE DROIT DE PROPRIÉTÉ

SECTION 1 LA CONSÉCRATION DU DROIT DE PROPRIÉTÉ

§ 1 – Le droit de propriété et les valeurs libérales

§ 2 – La dilution du droit de propriété

SECTION 2 : LES ATTEINTES AU DROIT DE PROPRIÉTÉ

§ 1 – La privation de propriété

§ 2 – Les restrictions à l’exercice du droit de propriété

CHAPITRE 7 : LE DROIT A L’INTÉGRITÉ de la PERSONNE

SECTION 1 LE DROIT HUMANITAIRE

§ 1 – La torture

§ 2 – Les « peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants »

§ 3 – Les crimes contre l’humanité et les génocides

SECTION 2   LE RESPECT DU CORPS HUMAIN

§ 1 - Le droit à la vie

§ 2 – L’inviolabilité du corps humain

§ 3 – Indisponibilité du corps humain

SECTION 3 : LES DROITS ATTACHÉS À LA PROCRÉATION

§ 1 – Le droit de ne pas avoir d’enfant

§ 2 – Vers un droit d’avoir des enfants ?

CHAPITRE 8 :  LES LIBERTÉS DE LA VIE PRIVÉE

SECTION 1 : LA SANTÉ ET L’ORIENTATION SEXUELLE

§ 1 - La santé et le secret médical

§ 2 – L’orientation sexuelle

SECTION 2   LA FAMILLE

§ 1 – La liberté du mariage

§ 2 – Le secret des origines

SECTION 3 LE DOMICILE

§ 1 – Les perquisitions

§ 2 – Le « droit à l’incognito »

SECTION 4   LE DROIT A L’IMAGE

§ 1 – Principes fondateurs du droit à l’image

§ 2 – La vidéoprotection

SECTION 5 LA PROTECTION DES DONNÉES

§ 1 – L’« Habeas Data »

§ 2 – La création des fichiers

§ 3 – Le contrôle des fichiers

§ 4 – Big Data et intelligence artificielle

TROISIÈME PARTIE

LES LIBERTÉS DE LA VIE COLLECTIVE

 

CHAPITRE 9 LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

SECTION 1 : L’EXPRESSION POLITIQUE

§ 1 – Le droit de suffrage

§ 2 – Les droits de participation et de dénonciation

SECTION 2 : LE CHAMP DE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

§ 1 – Une liberté de l’esprit

§ 2 – Une liberté économique

SECTION 3 : LES RESTRICTIONS À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

§ 1 – La mise en cause du régime répressif

§ 2 – La protection de certaines valeurs

CHAPITRE 10 LAÏCITÉ ET LIBERTÉ DES CULTES

SECTION 1 LA LAÏCITÉ, PRINCIPE D’ORGANISATION DE L’ÉTAT

§ 1 – Le principe de laïcité dans l’ordre juridique

§ 2 – Le principe de neutralité

SECTION 2   L’exercice du culte

§ 1 – L’organisation des cultes

§ 2 – La police des cultes

SECTION 3 LES MOUVEMENTS SECTAIRES ET LA PROTECTION DES PERSONNES

§ 1 – Une définition fonctionnelle

§ 2 – Un régime juridique orienté sur la protection des personnes

CHAPITRE 11 LA LIBERTÉ DE L’ENSEIGNEMENT

SECTION 1 L’ENSEIGNEMENT PUBLIC

§ 1 – La gratuité

§ 2 – La laïcité

SECTION 2   L’ENSEIGNEMENT PRIVÉ : AIDE ET CONTRÔLE DE L’ÉTAT

§ 1 – L’aide de l’Etat

§ 2 – Le contrôle de l’Etat

CHAPITRE 12 : LE DROIT DE PARTICIPER A DES GROUPEMENTS

SECTION 1 : LES GROUPEMENTS OCCASIONNELS

§ 1 – La liberté de réunion

§ 2 – La liberté de manifestation

SECTION 2 : LES GROUPEMENTS INSTITUTIONNELS

§ 1 – Les associations

§ 2 – Les syndicats

CHAPITRE 13 LES LIBERTÉS DE LA VIE ÉCONOMIQUE ET DU TRAVAIL

SECTION 1 LES LIBERTÉS DE L’ENTREPRENEUR

§ 1 – La liberté du commerce et de l’industrie

§ 2 – La liberté d’entreprendre

SECTION 2   LES LIBERTÉS DU SALARIÉ

§ 1 – Le droit au travail

§ 2 – Les droits dans le travail

mardi 24 août 2021

Le Fact Checking de LLC : Quelques précisions sur le droit d'asile


La prise du pouvoir par les Talibans en Afghanistan, et la rapidité avec laquelle elle s'est produite, suscite un grand mouvement d'exfiltration des Afghans qui ont travaillé avec les puissances occidentales ou qui ont exercé des emplois au sein de l'ancienne administration, ou encore qui ont simplement essayé de vivre dans une société plus moderne. On pense évidemment aux femmes qui ont pu accéder à l'enseignement universitaire et devenir magistrates ou chefs d'entreprise et qui, rendues invisibles par les nouveaux dirigeants, en seront probablement les principales victimes.

Il n'y a guère de voix pour contester la nécessité d'accueillir sur le territoire des personnes dont la vie serait menacée si elles demeuraient en Afghanistan. Mais est-il besoin pour autant de faire dire au droit ce qu'il ne dit pas ? On voit ainsi fleurir des chroniques et autres tribunes dans la presse qui affirment haut et fort que la célèbre Convention de Genève du 28 juillet 1951, à laquelle la France est partie, serait le seul fondement juridique permettant d'accorder le statut de réfugié à une personne. Il n'en est rien, et l'on dénombre trois fondements juridiques distincts régissant le droit d'asile.

Écartons d'emblée une difficulté terminologique. Tous les militants ont tendance à qualifier de "réfugié" tout étranger qui pénètre sur le territoire français. Sur le plan juridique, ne peut cependant être qualifié de "réfugié" que celui auquel a été reconnu le droit d'asile et qui dispose donc, à l'issue d'une procédure compliquée, d'un véritable droit au séjour. 

 

Trois fondement juridiques


Le droit d’asile constitutionnel apparaît pour la première fois dans notre système juridique avec la Constitution de 1793, qui « accorde l’asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. Il le refuse aux tyrans ». Le Préambule de la Constitution de 1946, repris dans l’article L511-1 ceseda affirme aujourd’hui que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». Le droit d’asile concerne donc une personne qui a effectivement subi des persécutions, principe confirmé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 et repris dans la loi du 11 mai 1998 qui énonce que « la qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ». Ce droit d'asile constitutionnel s'applique donc à toute personne effectivement persécutée. Il est actuellement bien difficile de savoir si les Talibans ont commencé à persécuter des personnes, même si ce n'est pas improbable.
 
Le droit d’asile conventionnel, trouve son origine dans Convention de Genève. Elle énonce que le terme « réfugié » « s’applique à toute personne (…) qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». Le statut de réfugié est donc accordé, sur le fondement direct de la Convention de Genève, à une personne qui est cette fois menacée de persécutions et non pas directement persécutée. 
 
La « protection subsidiaire » a été mise en place par la loi du 10 décembre 2003. Elle est destinée aux étrangers qui n'entrent dans aucun des cadres juridiques précédemment définis. C’est le cas de ceux qui ont à redouter une violence généralisée liée à un conflit armé ou pour lesquels il existe des motifs sérieux laissant penser qu'ils courraient dans leur pays un risque d'être soumis à la peine de mort, ou à des traitements inhumains ou dégradants. Ils doivent alors établir qu'ils ne peuvent se voir la qualité de réfugié sur l'un des deux autres fondements, constitutionnel ou conventionnel. Ce principe est régulièrement rappelé par le Conseil d'État, notamment dans un arrêt Pogossyan du 10 décembre 2008.

S'il existe trois fondements juridiques au droit d'asile, pourquoi observe-t-on une telle tendance à "tirer" le droit d'asile vers la Convention de Genève ? Tout simplement parce que les asiles constitutionnels et conventionnels offrent à leur titulaire un titre de séjour de longue durée, dix ans, alors que la loi du 10 septembre 2018 n'offre aux aux titulaires d'une protection subsidiaire qu'un titre de séjour de quatre ans. Et puisqu'il est plus facile de prouver des menaces de persécutions plutôt que des persécutions, le fondement conventionnel a un caractère particulièrement attractif.
 
 

 Chappatte. L'Hebdo de Lausanne. 17 octobre 1996
 
 

Le "guichet unique"

 
  
La pluralité des fondements juridiques ne saurait masquer une tendance à l’unification des régimes juridiques. L’étranger ne fait qu’une seule demande auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Cette institution détermine elle-même la nature de la protection dont il peut bénéficier et lui accorde, ou non, la qualité de réfugié au regard des persécutions qu’il invoque. La décision, si elle est négative, peut faire l’objet d’un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), puis, le cas échéant, d’un contrôle de cassation par le Conseil d’État.
 
 
 

Migrants et réfugiés

 


Reste évidemment le sujet qui fâche. Le 16 août, lors de son allocution télévisée portant sur la situation en Afghanistan, le Président de la République a déclaré : « Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants". Cette phrase a suscité beaucoup d'émoi, précisément chez ceux qui considèrent que tout migrant est un "réfugié". Il n'est pas question, dans le cadre de cette nouvelle rubrique de "Fact Checking", de juger de l'éventuel manque d'empathie du Président, mais plutôt d'éclairer l'articulation entre immigration et droit d'asile.
 
La situation des étrangers entrant sur le territoire peut être étudiée à travers leur parcours juridique. Un étranger qui pénètre sur le territoire sans les autorisations nécessaires est un migrant, qui plus est en situation irrégulière. Une fois qu'il a déposé une demande d'asile, il devient un "demandeur d'asile". Sa demande a pour effet de l'autoriser à demeurer sur le territoire, le temps qu'elle soit instruite. Durant cette période, il ne bénéficie évidemment pas des droits et garanties qui sont ceux d'un titulaire de la qualité de réfugié.
 
A l'issue de cette période, il n'y a que deux solutions. Soit, le demandeur d'asile obtient la qualité de réfugié et, dans ce cas, il est autorisé à demeurer sur le territoire avec un titre de séjour de longue durée. On peut penser que la plupart des Afghans qui font actuellement cette demande obtiendront satisfaction. Soit, le demandeur d'asile est débouté, et, dans ce cas, il perd tout titre de séjour et doit quitter le territoire. En d'autres termes, il se trouve ramené au statut de migrant en situation irrégulière.  Rien n'interdit de penser que certains Afghans puissent se voir refuser le droit d'asile, notamment dans le cas de talibans plus ou moins infiltrés dans le flux des personnes rapatriées par les autorités françaises.
 

Ces dispositions sont largement celles qui ont cours dans toute l'Union européenne, l'espace Schengen ayant conduit à l'adoption de trois directives "Dublin". Elles reposent sur l'idée qu'un État, et un seul, est chargé d'instruire la demande d'asile, soit qu’il ait déjà attribué un titre de séjour provisoire au demandeur, soit que sa famille y soit déjà installée, soit plus simplement que l’intéressé ait pénétré sur son territoire même irrégulièrement. Une demande formulée dans un autre État est donc automatiquement irrecevable. Il est vrai que ce système fonctionne plutôt mal en période de tensions migratoires. L'encombrement des institutions compétentes offre en effet aux demandeurs d'asile déboutés de larges possibilités de maintien sur le territoire. La question ne devrait pas se poser pour les Afghans, d'une part parce qu'ils ont été transférés sur le territoire par les autorités françaises elles-mêmes, d'autre part parce que la situation dans leur pays montre qu'ils ont, pour le plus grand nombre, largement vocation à obtenir la qualité de réfugié.



Sur le droit d'asile : Manuel de Libertés publiques version E-Book et version papier, chapitre 5, section 2, § 1, A. 

 

 

 

samedi 21 août 2021

Les Invités de LLC. La Boétie : Discours sur la servitude volontaire

 

A l'occasion des vacances, Liberté Libertés Chéries invite ses lecteurs à retrouver les Pères Fondateurs des libertés publiques. Pour comprendre le droit d'aujourd'hui, pour éclairer ses principes fondamentaux et les crises qu'il traverse, il est en effet nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits qui seront proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite. 

Les choix des textes ou citations seront purement subjectifs, détachés de toute approche chronologique. Bien entendu, les lecteurs de Liberté Libertés Chéries sont invités à participer à cette opération de diffusion de la pensée, en faisant leurs propres suggestions de publication. Qu'ils en soient, à l'avance, remerciés.

 

 ÉTIENNE DE LA BOÉTIE

Discours sur la servitude volontaire

ou le Contre'Un

1549

extrait

 

 


 

 

 

Pauvres gens et misérables, peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien, vous vous laissez enlever, sous vos propres yeux, le plus beau et le plus clair de votre revenu, piller vos champs, dévaster vos maisons et les dépouiller des vieux meubles de vos ancêtres ! vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. 

 

Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tout ce dégât, ces malheurs, cette ruine enfin, vus viennent, non pas des ennemis, mais bien certes de l’ennemi et de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, pour qui vous allez si courageusement à la guerre et pour la vanité duquel vos personnes y bravent à chaque instant la mort. 

 

Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus que vous, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il les innombrables argus qui vous épient, si ce n’est de vos rangs ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les emprunte de vous ? Les pieds dont il foule vos cités, ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, que par vous-mêmes ? Comment oserait-il vous courir sus, s’il n’était d’intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire si vous n’étiez receleur du larron qui vous pille, complice du meurtrier qui vous tue, et traîtres de vous-mêmes ? 

 

Vous semez vos champs, pour qu’il les dévaste ; vous meublez et remplissez vos maisons afin qu’il puisse assouvir sa luxure ; vous nourrissez vos enfants, pour qu’il en fasse des soldats (trop heureux sont-ils encore !) pour qu’il les mène à la boucherie, qu’il les rende ministres de ses convoitises, les exécuteurs de ses vengeances. Vous vous usez à la peine, afin qu’il puisse se mignarder en ses délices et se vautrer dans ses sales plaisirs. Vous vous affaiblissez, afin qu’il soit plus fort, plus dur et qu’il vous tienne la bride plus courte : et de tant d’indignités, que les bêtes elles-mêmes ne sentiraient point ou n’endureraient pas, vous pourriez vous en délivrer, sans même tenter de le faire, mais seulement en essayant de le vouloir. 

 

Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. Je ne veux pas que vous le heurtiez, ni que vous l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse dont on dérobe la base, tomber de son propre poids et se briser 



jeudi 19 août 2021

Les Invités de LLC : Simone Weil. Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale


A l'occasion des vacances, Liberté Libertés Chéries invite ses lecteurs à retrouver les Pères Fondateurs des libertés publiques. Pour comprendre le droit d'aujourd'hui, pour éclairer ses principes fondamentaux et les crises qu'il traverse, il est en effet nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits qui seront proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite. 

Les choix des textes ou citations seront purement subjectifs, détachés de toute approche chronologique. Bien entendu, les lecteurs de Liberté Libertés Chéries sont invités à participer à cette opération de diffusion de la pensée, en faisant leurs propres suggestions de publication. Qu'ils en soient, à l'avance, remerciés.

 

 Simone Weil

 

Réflexions sur les causes de la liberté 

et de l'oppression sociale

1934

 S. Weil, Oppression et Liberté, Gallimard, 1955, 280 p.

 
 

Et pourtant rien au monde ne peut empêcher l'homme de se sentir né pour la liberté. Jamais, quoi qu'il advienne, il ne peut accepter la servitude ; car il pense. Il n'a jamais cessé de rêver une liberté sans limites, soit comme un bonheur passé dont un châtiment l'aurait privé, soit comme un bonheur à venir qui lui serait dû par une sorte de pacte avec une providence mystérieuse. Le communisme imaginé par Marx est la forme la plus récente de ce rêve. Ce rêve est toujours demeuré vain, comme tous les rêves, ou, s'il a pu consoler, ce n'est que comme un opium ; il est temps de renoncer a rêver la liberté, et de se décider à la concevoir. 

 

C'est la liberté parfaite qu'il faut s'efforcer de se représenter clairement, non pas dans l'espoir d'y atteindre, mais dans l'espoir d'atteindre une liberté moins imparfaite que n'est notre condition actuelle ; car le meilleur n'est concevable que par le parfait. On ne peut se diriger que vers un idéal, L'idéal est tout aussi irréalisable que le rêve, mais, à la différence du rêve, il a rapport à la réalité ; il permet, à titre de limite, de ranger des situations ou réelles ou réalisables dans l'ordre de la moindre à la plus haute valeur. 

 

La liberté parfaite ne peut pas être conçue comme consistant simplement dans la disparition de cette nécessité dont nous subissons perpétuellement la pression ; tant que l'homme vivra, c'est-à-dire tant qu'il constituera un infime fragment de cet univers impitoyable, la pression de la nécessité ne se relâchera jamais un seul instant. 

 

Un état de choses où l'homme aurait autant de jouissances et aussi peu de fatigues qu'il lui plairait ne peut pas trouver place, sinon par fiction, dans le monde où nous vivons. La nature est, il est vrai, plus clémente ou plus sévère aux besoins humains, selon les climats et peut-être selon les époques ; mais attendre l'invention miraculeuse qui la rendrait clémente partout et une fois pour toutes, c'est à peu près aussi raisonnable que les espérances attachées autrefois à la date de l'an mille. 

 

Au reste, si l'on examine cette fiction de près, il n'apparaît même pas qu'elle vaille un regret. Il suffit de tenir compte de la faiblesse humain pour comprendre qu'une vie d'où la notion même du travail aurait à peu près disparu serait livrée aux passions et peut-être à la folie ; il n'y a pas de maîtrise de soi sans discipline, et il n'y a pas d'autre source de discipline pour l'homme que l'effort demandé par les obstacles extérieurs. Un peuple d'oisifs pourrait bien s'amuser à se donner des obstacles, s'exercer aux sciences, aux arts, aux jeux ; mais les efforts qui procèdent de la seule fantaisie ne constituent pas pour l'homme un moyen de dominer ses propres fantaisies. Ce sont les obstacles auxquels on se heurte et qu'il faut sur-monter qui fournissent l'occasion de se vaincre soi-même. 

 

(...) Si l'on devait entendre par liberté la simple absence de toute nécessité, ce mot serait vide de toute signification concrète ; mais il ne représenterait pas alors pour nous ce dont la privation ôte à la vie sa valeur. 

 

On peut entendre par liberté autre chose que la possibilité d'obtenir sans effort ce qui plaît. Il existe une conception bien différente de la liberté, une conception héroïque qui est celle de la sagesse commune. La liberté véritable ne se définit pas par un rapport entre le désir et la satisfaction, niais par un rapport entre la pensée et l'action ; serait tout à fait libre l'homme dont toutes les actions procéderaient d'un jugement préalable concernant la fin qu'il se propose et l'enchaînement des moyens propres à amener cette fin. Peu importe que les actions en elles mêmes soient aisées ou douloureuses, et peu importe même qu'elles soient couronnées de succès ; la douleur et l'échec peuvent rendre l'homme malheureux, mais ne peuvent pas l'humilier aussi longtemps que c'est lui-même qui dispose de sa propre faculté d'agir. 

 

Et disposer de ses propres actions ne signifie nullement agir arbitrairement ; les actions arbitraires ne procèdent d'aucun jugement, et ne peuvent à proprement parler être appelées libres. Tout jugement porte sur une situation objective, et par suite sur un tissu de nécessités. L'homme vivant ne peut en aucun cas cesser d'être enserré de toutes parts par une nécessité absolument inflexible ; mais comme il pense, il a le choix entre céder aveuglément à l'aiguillon par lequel elle le pousse de l'extérieur, ou bien se conformer à la représentation intérieure qu'il s'en forge ; et c'est en quoi consiste l'opposition entre servitude et liberté. Les deux termes de cette opposition ne sont au reste que des limites idéales entre lesquelles se meut la vie humaine sans pouvoir jamais en atteindre aucune, sous peine de n'être plus la vie. Un homme serait complètement esclave si tous ses gestes procédaient d'une autre source que sa pensée, à savoir ou bien les réactions irraisonnées du corps, ou bien la pensée d'autrui (...).

 

Une vie entièrement libre serait celle où toutes les difficultés réelles se présenteraient comme des sortes de problèmes, où toutes les victoires seraient comme des solutions mises en action. Tous les éléments du succès seraient alors donnés, c'est-à-dire connus et maniables comme sont les signes du mathématicien ; pour obtenir le résultat voulu, à suffirait de mettre ces éléments en rapport grâce à la direction méthodique qu'imprimerait la pensée non plus à de simples traits de plume, niais à des mouvements effectifs et qui laisseraient leur marque dans le monde. 

 

Pour mieux dire, l'accomplissement de n'importe quel ouvrage consisterait en une combinaison d'efforts aussi consciente et aussi méthodique que peut l'être la combinaison de chiffres par laquelle s'opère la solution d'un problème lorsqu'elle procède de la réflexion. L'homme aurait alors constamment son propre sort en mains ; il forgerait à chaque moment les conditions de sa propre existence par un acte de la pensée.

 

(...) On ne peut rien concevoir de plus grand pour l'homme qu'un sort qui le mette directement aux prises avec la nécessité nue, sans qu'il ait rien à attendre que de soi, et tel que sa vie soit une perpétuelle création de lui-même par lui-même. (...) Telle serait la liberté véritable.