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jeudi 19 juillet 2012

Euthanasie, droit de mourir dans la dignité : l'état du droit

Dans ses engagements électoraux, le candidat François Hollande avait souhaité que "toute personne majeure en phase avancée ou terminale d'une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d'une assistance médicalisée pur terminer sa vie dans la dignité". Aujourd'hui, le Président François Hollande confie au professeur Didier Sicard la présidence d'une commission chargée de rédiger un rapport sur cette délicate question, avant la fin de l'année 2012. Elle devra dresser le bilan de la pratique existante, c'est à dire concrètement de la mise en oeuvre de la loi Léonetti du 22 avril 2005.

Au regard de son étymologie, l'euthanasie est définie comme une "mort douce". Cette définition renvoie cependant à deux pratiques bien différentes, dont la distinction constitue le socle du droit positif et sera au coeur des réflexions à venir. Alors que l'euthanasie passive est licite, sous certaines conditions, l'euthanasie active demeure interdite.

Licéité de l'euthanasie passive

L’ euthanasie passive être mise en oeuvre sans le consentement du patient. Elle se définit comme une renonciation du corps médical, lorsque les soins sont sans espoir de guérison et incapables d’apaiser les souffrances d’un malade en fin de vie. Il s’agit alors pour le médecin d’administrer des doses massives de sédatifs qui calmeront la douleur, même s’ils doivent écourter la vie, ou d’arrêter l’alimentation par sonde d’un patient plongé dans un coma irréversible. 

La loi du 22 avril 2005 va dans ce sens, en affirmant que "les actes de prévention, d'investigation ou de soins ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris". Le champ d'application de l'euthanasie est donc assez large, puisqu'elle peut concerner aussi bien les personnes en fin de vie que celles atteintes d'une pathologie sans espoir de guérison.

En 2008, le rapport de la mission parlementaire chargée de dresser un premier bilan de la loi Léonetti, avait mis l'accent sur une grave lacune de cette procédure, liée au recueil du consentement du patient. Le décret du 29 janvier 2010, a donc organisé formellement une procédure de suspension de soin, qui distingue selon que le patient est ou non conscient, et susceptible de faire connaître sa volonté. Lorsque c'est le cas, il peut demander cette suspension, et les médecins sont alors tenus de respecter sa volonté. Lorsqu'en revanche, il est inconscient, cette volonté peut avoir été préalablement recueillie par des "directives anticipées" ou par la désignation d'une "personne de confiance" chargée de prendre cette difficile décision. Si aucune de ces procédures n'a été choisie, l'équipe médicale s'adresse alors aux proches, qui peuvent prendre la décision d'interrompre le traitement.



Georges Brassens. Le Testament

Illicéité de l'euthanasie active

L'euthanasie active consiste à injecter un produit mortel avec le consentement du patient, et s’analyse comme un « suicide assisté ». Jusqu'à aujourd'hui, elle demeure illicite, et la loi Léonetti n'y fait pas référence. La Cour européenne elle même, dans une décision Diane Pretty c. Royaume Uni, du 29 avril 2002, a refusé d'admettre sa conformité à la Convention. Elle était saisie par une Britannique atteinte d'une grave maladie dégénérative, avec pour seule perspective un décès relativement rapide dans de grandes souffrances, et qui considérait que cette fin de vie constituait un traitement inhumain et dégradant au sens de l'article 3 de la Convention. La Cour a certes reconnu "éprouver de la sympathie pour la crainte de la requérante de devoir affronter une mort pénible". Elle a pourtant refusé, avec force et à l'unanimité, que les dispositions de la Convention puissent être utilisées pour conduire un Etat à "cautionner des actes visant à interrompre la vie".

Pour le moment, le droit français reste dans cette ligne. Le décret du 19 février 2010 a ainsi décidé la création de l'Observatoire national de la fin de vie. Son objet est précisément de privilégier l'accompagnement en fin de vie, de préserver la patient de la douleur, afin de le maintenir dans un certain confort physique et moral. Le premier rapport de cet Observatoire, remis au ministre de la santé en février 2012, va évidemment dans ce sens, sans exclure toutefois une évolution des mentalités dans ce domaine.

Sommes nous actuellement en train de connaître une telle évolution ? C'est ce que devra évaluer la commission présidée par le Professeur Sicard. 

Une pratique in-nommable

Il est frappant de constater cependant que, aussi bien le Chef de l'Etat que ceux qui sont chargés de réfléchir sur cette question se montrent très prudents, au moins sur le plan de la terminologie employée. Le mot "euthanasie" n'est jamais prononcé, comme s'il était possible de mettre en oeuvre une pratique, sans la nommer. Ce caractère in-nommable révèle certainement un malaise, sans que l'on puisse en préciser la nature. S'agirait il d'un sentiment d'impuissance, dès lors que la norme juridique, même législative, semble un instrument bien dérisoire pour organiser les rapports entre la vie et la mort ?


4 commentaires:

  1. L'insécurité juridique du dispositif actuel me frappe. Deux exemples :

    - quelle est la limite entre "l'administration massive de doses de sédatifs" et l'euthanasie active ? Bien du plaisir pour partager.

    - dans le décret du 19 janvier 2010, que recouvre la notion de "proche" ? La famille proche ? toute personne entretenant des liens affectifs étroits avec le patient ? Pour une décision aussi grave, un peu de précision se serait pas inutile, surtout pour le médecin, qui engage sa responsabilité s'il tombe à côté de la plaque !

    Son hypocrisie aussi : pour dire les choses crûment, on n'a pas le droit d'empoisonner quelqu'un pour le faire mourir vite, mais on peut le faire mourir lentement, de faim et de déshydratation. Je dois avouer que ça me dépasse ...

    La prohibition de l'assistance au suicide me pose également problème ... le droit de chacun à la vie doit à mon sens s'analyser comme une liberté. Ainsi, chacun doit pouvoir décider de mettre fin à sa vie, tout comme chacun peut décider d'user de la liberté d'association pour ne pas s'associer. Par contre, il va de soi qu'il s'agit d'une décision grave, et que les pouvoirs publics peuvent réglementer l'exercice de cette liberté.

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    1. A qui incomberait l'obligation (ou la possibilité) d'assister un suicidaire ?
      Au médecin? aux proches? Dans quelles situations aurait-on le droit de "tuer" ? Jusqu'à qu'à quel niveau de souffrance? La douleur morale entrerait-elle dans le champ d'application du droit de "tuer" ?

      "Le droit de chacun à la vie..." Oui , "Le droit de tuer..." NON

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  2. Ce que je comprends c'est que les doses massives de sédatifs ne sont pas mortelles, visent seulement à éliminer la douleur. Dans le cas où les doses seraient mortelles, on tombe dans l'autre cas de figure, qui revient à administrer du poison.

    Quant à l'hypocrisie, je n'en suis pas bien convaincu. Il y a une belle différence entre voir quelqu'un se noyer et ne pas lui porter assistance et noyer quelqu'un délibérément. Dire que la personne meurt de "faim et de déshydratation" omet le fait que cette personne est dans un coma irréversible et n'a probablement pas consciences de son état. La chose est horrible pour nous mais pas forcément pour elle.

    Enfin, je veux bien reconnaitre à quiconque le droit de se tirer une balle dans la tête, mais n'aiderait personne à le faire, je ne suis pas un assassin et la loi sur l'euthanasie n'est pas seulement l'affaire du patient mais aussi du médecin qui devra faire la fameuse injection.

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  3. @Anonyme: En ce qui concerne l'usage de sédatifs et antalgiques, les choses sont loin d'être claires. Si on en croit la page wikipedia sur la morphine, la létalité de ce produit dépend d'un certain nombre de paramètres, essentiellement la douleur subie et l'état physiologique du patient; des doses de 60 mg on pu être mortelles dans certains cas, alors que d'autres patients ont pu supporter jusqu'à 3000 mg. Déterminer ce qui soulage de ce qui tue devient donc de la divination. En tout état de cause, deux personnes proches qui sont décédées à l'issue "de longues maladies" sont décédées peu après qu'on leur ait injecté de la morphine.

    "N'a probablement pas conscience de son état" ... Je l'espère sincèrement. Mais encore une fois, la réalité connaît infiniment plus de nuances que le droit. L'une des deux personnes évoquées ci-dessus connaissait ainsi des épisodes de conscience où elle était en mesure de parler. Quelle aurait été sa perception des choses si on l'avait laissée sans nutrition ni hydratation ? On sait par ailleurs que des personnes plongées dans des comas profonds et qui en sont sorties ont indiqué avoir été en mesure d'entendre durant cette période ... Quelle serait leur perception des discussions tenues dans leur entourage à ce propos ?

    Enfin, pour terminer sur l'assistance au suicide, je comprends bien que vous n'ayez pas envie de prêter assistance à une personne qui voudrait en terminer avec ses jours. Je comprends aussi bien que les médecins puissent avoir un problème de conscience à le faire, et ils devraient pouvoir ne pas prêter leur concours si cela est le cas. Mais la loi ne doit pas priver les gens de la dernière liberté dont ils disposent, celle de terminer leurs jours comme ils l'entendent, et éventuellement avant d'en être réduit à l'état de légume.

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