« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 27 octobre 2022

Rappel : le français est la langue de la République


Le tribunal administratif de Paris (TA Paris) vient d'enjoindre, dans un jugement du 20 octobre 2022, au ministre de la Santé de ne plus utiliser l'expression "Health Data Hub". Cette formule désigne un projet mis en oeuvre en 2018 par le Président de la République à la suite du rapport Villani sur l'intelligence artificielle. Concrètement, il s'agit de créer un système national centralisé regroupant l'ensemble des données de santé publique, l'intelligence artificielle permettant ensuite d'offrir aux patients des services plus individualisés. 

Le TA Paris n'est pas saisi à propos de la protection des données de santé ou de la détermination de profils de patients. Le requérant est une association Francophonie et Avenir qui se donne pour mission de contribuer à protéger la langue française. Il conteste donc l'emploi de "Health Data Hub", expression qui désigne à la fois une mission de préfiguration d'une plateforme des données de santé et une marque, déposée par le ministre de la Santé. Au plan de la procédure, l'association a demandé au ministre de la Santé de ne plus utiliser cette marque dans l'espace public. En l'absence de réponse, une décision implicite de rejet est née, dont l'association demande l'annulation au tribunal. Elle obtient satisfaction, le tribunal ajoutant à l'annulation une injonction exigeant que cette formulation ne soit plus utilisée.

 

La protection juridique de la langue française


Depuis l'ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539, l'État impose l'usage de la langue française dans les documents officiels :  " Nous voulons d'oresnavant que tous, arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquestes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques actes et exploicts de justice (...) soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement".  Ce texte fondateur, rédigé dans une belle langue française, a toujours valeur juridique. 

Elle ne pouvait toutefois être invoquée par l'association requérante, car l'ordonnance de Villers-Cotterêts ne concerne que les procédures et, d'une manière générale, les décisions de justice. La première chambre civile de la Cour de cassation l'a rappelé dans un arrêt du 22 septembre 2016, refusant de s'appuyer sur l'ordonnance de 1539 pour apprécier la régularité du contrat de location d'un dispositif médical accompagné d'une certification rédigée en langue anglaise.

Heureusement, l'association Francophonie et Avenir pouvait utiliser un autre fondement juridique à l'appui de son recours. La loi Toubon du 4 août 1994 impose en effet un usage général du Français, notamment dans les relations commerciales, les publicités, sans oublier les interventions dans les colloques organisés dans notre pays. D'une manière générale, son article 1er mentionne que le Français est "la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics". La loi Toubon a pour finalité de garantir l'application de la révision constitutionnelle intervenue le 25 juin1992. Cette révision ajoute à l'article 2 de la Constitution un alinéa mentionnant que "la langue de la République est le français". L'usage du français est donc une norme de valeur constitutionnelle.

Il n'est pas contestable que ces dispositions, constitutionnelle et législatives, sont essentiellement défensives. Elles ont pour objet de lutter, plus ou moins efficacement, contre une déferlante de la langue anglaise, ou plutôt d'une sorte de globish, version simplifiée de l'anglais destinée à être comprise partout. Le problème est que cet ensemble normatif est bien peu respecté et le tribunal administratif vient fort opportunément en rappeler l'existence. 

 


 Drop moi un mail. Les Goguettes, en trio mais à quatre. 2020

 

Des termes pas du tout intraduisibles

 

Bien entendu, le ministère de la Santé ne s'était jamais préoccupé de la légalité de cet usage de l'anglais, et il a donc dû chercher dans l'urgence quelques éléments juridiques de nature à justifier le nom de sa plateforme. Il a cru les trouver dans l'article 14 de la loi de 1994 qui prévoit que "l'emploi (...) d'une expression ou d'un terme étrangers est interdit aux personnes morales de droit public dès lors qu'il existe une expression ou un terme français de même sens approuvés dans les conditions prévues par les dispositions réglementaires relatives à l'enrichissement de la langue française". Ils invoquent donc devant le juge administratif le caractère intraduisible en français de l'expression "Health Data Hub".

Hélas, quand cela ne veut pas le faire... Il existe précisément une Commission d'enrichissement de la langue française, placée sous l'autorité du Premier ministre. Créée par un décret de 1996, elle a précisément pour objet d'assurer la mise en oeuvre de la loi Toubon en proposant des traductions françaises des mots anglais les plus fréquemment utilisés. Elle s'appuie sur un réseau de dix-neuf groupes d'experts, dans les domaines essentiellement scientifiques et techniques, qui travaillent avec des partenaires institutionnels comme l'Académie des sciences ou l'AFNOR. Une fois qu'une traduction est définie, elle est ensuite validée par l'Académie française.

Dans le cas du "Health Data Hub", le ministère de la Santé n'a pas de chance, car tous les termes utilisés ont donné lieu à traduction. En consultant le site France Terme géré par le ministère de la Culture, on pouvait trouver ces traductions en quelques minutes, en usant d'un simple moteur de recherche. C'est ainsi que "Health" se traduit par "santé, "Data" par "données", et "Hub" par "concentrateur". Avouons que l'on aurait même pu trouver la traduction avec un niveau assez faible en version anglaise. Quoi qu'il en soit le "Health Data Hub" n'est rien moins qu'un "concentrateur de données de santé" et le tribunal administratif entend faire respecter sa décision. 

Le ministère de la Santé avait demandé que, dans l'hypothèse d'une annulation, le juge accepte de déroger à son caractère rétroactif. Autrement dit, il sollicitait la transformation de l'annulation en abrogation, "Health Data Hub"ne disparaissant qu'en 2022, après avoir existé de 2018 jusqu'au jugement du TA Paris. Cette demande est écartée, car le juge ne voit pas de motif sérieux de déroger à la règle du caractère rétroactif de l'annulation contentieuse. Ce n'est pas la plateforme qui est en cause mais son nom. "Health Data Hub" est donc d'abord un outil de communication publique, dépourvu d'effet juridique. Avec l'annulation contentieuse, cette formulation est tout simplement censée n'avoir jamais existé, ce qui est une bonne nouvelle pour la langue française.

"Concentrateur de données de santé", c'est évidemment une formule moins branchée, moins mode. C'est aussi moins obscur, au point que l'usager pourrait même comprendre de quoi il s'agit et s'interroger sur la manière dont on va utiliser l'intelligence artificielle dans la gestion de ses données de santé. En attendant, les managers du ministère de la Santé vont se réunir dans l'open space, débriefer le jugement, faire un brainstorming, et trouver  nouveau process, asap.


 

3 commentaires:

  1. Tres bien. Quand a la langue de St Martin, c est l anglais, et llangue de Mayotte c est le mahorais.

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    1. La langue d'enseignement de Mayotte est le français.

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  2. « health data hub » est normalement la dénomination prévue pour les publications internationales concernant la « Plateforme des Données de Santé » (code de la santé publique, partie legislative, titre VI, chapitre II). Comme on peut le lire sur le site de la CNIL : « La Plateforme des données de santé (PDS), également appelée « Health Data Hub » (HDH), a été créée par arrêté du 29 novembre 2019 pour faciliter le partage des données de santé, issues de sources très variées afin de favoriser la recherche. » Bien cordialement

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