« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 14 juin 2022

Les Invités de LLC. Cesare Beccaria. De la tranquillité publique

Liberté Libertés Chéries a désormais l'habitude d'inviter ses lecteurs à retrouver les Pères Fondateurs des libertés publiques. Pour comprendre le droit d'aujourd'hui, pour éclairer ses principes fondamentaux et les crises qu'il traverse, il est en effet nécessaire de lire ou de relire ceux qui en ont construit le socle historique et philosophique. Les courts extraits qui seront proposés n'ont pas d'autre objet que de susciter une réflexion un peu détachée des contingences de l'actualité, et de donner envie de lire la suite. 

Les choix des textes ou citations seront purement subjectifs, détachés de toute approche chronologique. Bien entendu, les lecteurs de Liberté Libertés Chéries sont invités à participer à cette opération de diffusion de la pensée, en faisant leurs propres suggestions de publication. Qu'ils en soient, à l'avance, remerciés.
 
Aujourd'hui, notre invité est Cesare Beccaria qui, dans son ouvrage "Des délits et des peines" paru en 1766, pose les principes qui, aujourd'hui encore, constituent le socle du droit pénal et de la procédure pénale. Sa première intervention sur LLC est le chapitre 11, "De la tranquillité publique". 


 Cesare Beccaria

"De la tranquillité publique"

 


 

Parmi les délits de la troisième espèce, on distingue particulièrement ceux qui troublent la tranquillité publique et le repos des citoyens, comme les rumeurs et les batteries dans les voies publiques destinées au commerce ou au passage, et les discours fanatiques, toujours propres à émouvoir facilement les passions de la populace curieuse, discours dont l'effet augmente en raison du nombre des auditeurs, et surtout par le secours de cet enthousiasme obscur et mystérieux, bien plus puissant que les raisonnements tranquilles, qui n'échauffent jamais la multitude.

 

Éclairer les villes pendant la nuit aux dépens du public, distribuer des gardes dans les différents quartiers, réserver au silence et à la tranquillité sacrée des temples protégés par le gouvernement les discours simples et moraux sur la religion, ne souffrir de harangues que dans les assemblées de la nation, dans les parlements, dans les lieux enfin où réside la majesté du souverain, et les destiner toujours à soutenir les intérêts publics et particuliers, voilà les moyens efficaces de prévenir la dangereuse fermentation des passions populaires. Ces moyens sont un des principaux objets auxquels doit veiller le magistrat de police. Mais si ce magistrat n'agit point d'après des lois connues de tous les citoyens, s'il peut, au contraire, en créer à son gré, un tel abus ouvrira la porte à la tyrannie, monstre qui veille sans cesse autour des bornes de la liberté politique. Je ne trouve aucune exception à cet axiome général, que tout citoyen doit savoir quand il est coupable et quand il est innocent. Si quelque gouvernement a besoin de censeurs, ou en général de magistrats arbitraires, c'est une suite de la faiblesse de sa constitution et des défauts de son organisation. Les hommes, incertains de leur sort, ont plus fourni de victimes à la tyrannie cachée que n'en a immolé la cruauté publique, qui révolte plus les esprits qu'elle ne les avilit. Le vrai tyran commence toujours par régner sur l'opinion. C'est ainsi qu'il prévient les effets du courage, qui ne s'allume qu'au feu de la vérité ou des passions, et qui prend de nouvelles forces dans l'ignorance du danger.

 

Mais quelles seront les punitions assignées aux délits de l'espèce dont nous venons de parler ? La peine de mort est-elle vraiment utile et nécessaire pour assurer la tranquillité de la société et y maintenir le bon ordre ? La torture et les tourments sont-ils justes ? Parviennent-ils au but que se proposent les lois ? Quelle est la meilleure manière de prévenir les crimes ? Les mêmes peines sont-elles également utiles en tout temps ? Quelle influence ont-elles sur les mœurs ? Ces problèmes méritent qu'on cherche à les résoudre avec cette précision géométrique, devant laquelle les nuages des sophismes, la séduction de l'éloquence et le doute timide disparaissent. Je m'estimerais heureux, quand je n'aurais d'autre mérite que celui d'avoir présenté le premier à l'Italie, sous un plus grand jour, ce que plusieurs autres nations ont osé écrire et commencent à pratiquer.

 

Mais si, en soutenant les droits sacrés de l'humanité, si, en élevant ma voix en faveur de l'invincible vérité, j'avais contribué à arracher des bras de la mort quelques-unes des victimes infortunées de la tyrannie ou de l'ignorance, quelquefois aussi cruelle, les bénédictions et les larmes d'un seul innocent, dans les transports de sa joie, me consoleraient du mépris des hommes.


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