« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 3 octobre 2019

Adieu à la Miviludes

La presse annonce aujourd'hui que la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) sera rattachée au ministère de l'intérieur au début de 2020. Que l'on ne s'y trompe pas, il s'agit en réalité d'une disparition. Le président de cette institution, Serge Blisko, n'avait pas été remplacé après son départ, en 2018 et l'on voyait bien que les services du Premier ministre, auxquels était rattachée cette institution, avait tout simplement décidé de la laisser mourir. 

Rappelons que le droit français ignore la notion de secte et ne connaît que les "dérives sectaires", c'est à dire les pratiques illégales. La loi About-Picard du 12 juin 2001 ne fait pas référence à la dimension religieuse des groupements, qui peuvent donc professer n'importe quelle croyance. Certains attendent les extra-terrestres, d'autres un nouveau messie, d'autres enfin prétendent guérir toutes les maladies par le remède universel du potage aux légumes. Les "dérives sectaires" n'interviennent que s'ils commettent des infractions, qu'elles soient de droit commun comme l'escroquerie, la fraude fiscale et le blanchiment, l'abus de faiblesse, ou spécifiquement créées par la loi de 2001 comme "le fait de créer, de maintenir ou d'exploiter la sujétion psychologique ou physique" de leurs adeptes.

L'information est inquiétante, car la Miviludes était l'instrument essentiel de la lutte contre les dérives sectaires, issue d'une loi adoptée à l'unanimité à la fois par l'Assemblée nationale et le Sénat. Longtemps présidée par Georges Fenech, la Miviludes apparaissait ainsi comme une institution consensuelle. En dépit d'un bilan positif, en dépit du fait qu'elle était parvenue à s'élever au-dessus des clivages politiques, la voilà éliminée d'un trait de plume par un gouvernement qui, en l'espèce, ne recherche guère le consensus, et ne se donne même pas la peine de justifier clairement sa décision.


Les succès de la Miviludes


La Miviludes a été créée par un décret du 28 novembre 2002. Ses missions consistaient à "observer et analyser le phénomène des mouvements sectaires dont les agissements sont contraires aux droits de l'homme", à favoriser l'action préventive et répressive et, à cette fin, à développer l'échange d'informations entre les services.

Service interministériel, la Miviludes devait donc nourrir la réflexion des pouvoirs publics et dégager des perspectives de coopération. L'un de ses apports essentiels à la lutte contre les dérives sectaires a été la diffusion de rapports, qui étaient autant de mise en garde, attirant l'attention des pouvoirs publics sur des mouvements considérés comme dangereux. 

Ces mouvements ne s'y trompaient d'ailleurs pas et n'hésitaient pas à contester une inscription dans le répertoire des mouvements susceptibles d'engendrer des dérives sectaires, répertoire géré par la Miviludes. Dans un arrêt du 7 novembre 2018, le Conseil d'Etat confirmait ainsi la légalité d'une décision de son président refusant de retirer la "fasciathérapie" de ce répertoire,

On doit ainsi mettre à l'actif la condamnation de la Scientologie pour escroquerie en bande organisée, condamnation confirmée par la Cour de cassation le 16 octobre 2013. Ce groupement vendait en effet, fort cher, à ses adeptes, une mystérieuse machine baptisée "électromètre" censée leur permettre d'accéder à la sérénité en se libérant des éléments mentaux négatifs.  

Tout récemment, le 24 septembre 2019, on a appris que la Miviludes avait ainsi informé les autorités sur un essai clinique "sauvage" pratiqué dans une abbaye près de Poitiers, sous l'autorité d'un Fonds Soeur Josefa Menendez dirigé par un médecin notoirement connu pour ses positions hostiles à la vaccination. Cet essai illégal d'une molécule prétendument efficace contre certaines affections neurologiques a suscité plusieurs signalements à la Miviludes. Celle-ci a prévenu l'Agence du médicament, qui a mis fin à cette étrange expérimentation. 

Quelques jours plus tard, on apprend donc que la Miviludes disparait, bien entendu sans que cette décision ait aucun lien avec les résultats de la Mission.


Les sectes. Les Inconnus


Les justifications



Le ministère de l'intérieur se fonde sur "la nécessité (…) de partages de compétences avec d’autres organismes qui n’existaient pas lors de sa création, comme le secrétariat général du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR) par exemple ».  Selon le ministère, la Miviludes et le CIPDR partagent « un point commun important qui est la lutte contre les nouvelles formes de radicalité et les phénomènes d’emprise et d’enfermement ». Etrange pratique qui consiste à détruire un service interministériel pour mieux le rapprocher d'un autre service interministériel.

Sur le fond, l'argument ne saurait convaincre. S'il est vrai que la Miviludes apportait un éclairage intéressant sur les processus de radicalisation qui s'apparente en effet à une aliénation sectaire, rien ne lui interdisait de travailler avec le CIPDR, comme elle travaillait avec le fisc, avec les magistrats, avec la police, avec les collectivités locales, avec les établissements d'enseignement etc. Mais ses missions ne se limitaient pas à la radicalisation, loin de là. Elle était aussi présente sur d'autres fronts des dérives sectaires, et notamment sur celui du recensement des mouvements dangereux. 

Derrière ces justifications peu convaincantes se cache sans doute une autre réalité. Force est de reconnaître que les mouvements sectaires s'installent désormais plus facilement en France, avec le soutien plus ou tacite des pouvoirs publics.

Le cas de la Scientologie



Prenons l'exemple de la Scientologie, mouvement très connu et condamné par la justice française. Nul n'a oublié qui Nicolas Sarkozy, ministre de l'économie et des finances, recevant Tom Cruise dans son ministère en 2005, reconnaissait avoir "parlé de Scientologie". Nul n'a oublié la loi du 12 mai 2009, dans laquelle avait été introduit un amendement interdisant de dissoudre une secte pour escroquerie, au moment précis où le parquet demandait que soit prononcée la dissolution de la branche française de la Scientologie. Heureusement, le Sénat a annulé cet amendement par un autre, ajouté à un projet de loi sur la formation professionnelle, mais trop tard pour permettre la dissolution du mouvement. Nul n'a oublié enfin, que l'Eglise de Scientologie a désormais pignon sur rue, son siège français installé en plein coeur du quartier d'affaires de la Plaine-Saint-Denis. Début 2019, la Miviludes avait rappelé que ce mouvement "se caractérise par son prosélytisme […] à l'occasion d'un test de personnalité gratuit, de la diffusion de tracts ou de brochures, de conférences « d'introduction » gratuites… ». 

Le chant du cygne sans doute, car il est claire que le travail de Miviludes n'est plus dans l'air du temps. C'est le moment de la faire taire, pour laisser les mouvements sectaires déployer tranquillement leur activité et exploiter sans vergogne la crédulité de leurs adeptes.


Sur les dérives sectaires : Chapitre 7, Section 3 du manuel de Libertés publiques sur internet.





5 commentaires:

  1. Dans la mesure où le ministère de l'Intérieur est en charge des cultes, ce rattachement ne me semble pas dénué de sens

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  2. Il y a bien longtemps que les dérives sectaires s'exercent dans des domaines qui ne se réfèrent aucunement à des croyances spirituelles. L'affaire des Reclus de Montflanquin en est un excellent exemple.
    On trouve en revanche de très nombreuses dérives sectaires dans le domaine de la santé, de l'éducation, de la formation professionnelle...des croyances new age...autant de secteurs qui ne relèvent évidemment pas du bureau des cultes.
    Quel dommage pour les victimes...

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  3. Je pense que la suppression relève plus d'une simple logique de réduction des dépenses, pas d'une volonté de laisser les sectes tranquilles

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    1. Je suis totalement d'accord, la suppression s'inscrit davantage dans un but de rationalisation de l'action publique. L'ONDRP (l'observatoire national de la délinquance et des réponses pénales) a également été supprimé début octobre (pourtant on ne peut pas dire que l'Etat se désengage de la lutte contre la délinquance!). A quand la midelca et autres missions interministérielles, miprof etc ? C'est dommage puisque ces structures autonomes bénéficient d'une marge d'action plus souple et non soumise à un lourd formalisme (=donc plus efficace).

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