« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 7 septembre 2019

La libération conditionnelle devant le Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel fait sa rentrée, et il commence l'année par une déclaration d'inconstitutionnalité. Dans une décision QPC du 6 septembre 2019, il décide en effet l'abrogation de l'article 730-2-1 du code de procédure pénale (cpp) qui énonce qu'une personne condamnée à une peine d'emprisonnement pour les plus graves des faits de terrorisme, la libération  conditionnelle ne peut être accordée qu'à l'issue d'une période probatoire durant entre un et trois ans, sous la forme d'une mesure de semi-liberté, de placement à l'extérieur ou de placement sous surveillance électronique. Cette décision est prise par une formation collégiale que constitue le tribunal de l'application des peines, après avis d'une commission chargée de procéder à une évaluation pluridisciplinaire de la dangerosité de la personne condamnée.

Cette disposition est issue de la loi du 3 juin 2016 et il s'agissait, on l'a compris, de renforcer les mesures de lutte contre le terrorisme et d'empêcher que des personnes condamnées sur ce fondement soient libérées sans contrôle de leur dangerosité. En soi, l'objectif n'a rien de choquant. Le problème, car il y a évidement un problème, est que les rédacteurs du texte ne se sont pas préoccupés de son articulation avec le droit existant, et notamment avec l'article 729-2 cpp. Celui-ci énonce que lorsqu'un étranger condamné à une peine d'emprisonnement est l'objet d'une mesure d'éloignement, sa libération conditionnelle est subordonnée à la condition que cette mesure soit exécutée. Elle est alors décidée sans son consentement.

Si l'on associe les deux textes, on s'aperçoit que l'étranger condamné pour terrorisme et faisant l'objet d'une décision d'éloignement ne peut pas demander une mesure de libération conditionnelle. Celle-ci devient irrecevable, dès lors que, devant être éloigné, il ne peut effectuer la période probatoire obligatoire. La situation est évidemment particulièrement dérogatoire pour ceux qui sont condamnés à perpétuité. Ne pouvant déposer de demande de libération conditionnelle, ils se trouvent ainsi dans une situation de perpétuité réelle, situation que les auteurs de la loi n'avaient même pas envisagée.


La nécessité de la peine



En l'espèce, le Conseil constitutionnelle déclare inconstitutionnelles les dispositions de l'article 730-2-1. Alors qu'il était invité par les avocats requérants à se placer sur le fondement de la dignité de la personne, il s'appuie, de manière plus classique, sur le principe de nécessité de la peine qui trouve son origine dans l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Il estime en effet que ces dispositions privent les étrangers condamnés pour des faits de terrorisme de toute possibilité d'aménagement de peine, "en particulier dans le cas où elles ont été condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité, elles sont manifestement contraires au principe de proportionnalité des peines".

Certes, le Conseil reconnaît, notamment dans sa décision QPC du 25 novembre 2011, qu'il n'a pas "un pouvoir général d'appréciation et de décision que celui du Parlement". Mais il doit néanmoins s'assurer de l'"absence d'inadéquation manifeste" entre l'infraction et la peine. En l'espèce, le Conseil élargit cette appréciation au régime juridique d'exécution de la peine privative de liberté. Il fait observer que celui ci repose non seulement sur une volonté de protéger la société et d'assurer la punition du condamné, mais aussi de favoriser son éventuelle insertion. Or, les Français condamnés pour terrorisme peuvent solliciter une libération conditionnelle, alors que les étrangers se voient interdire une telle possibilité. Aux yeux du Conseil, la disproportion entre les deux régimes est excessive.


Tout condamné à mort aura la tête tranchée
Le Schpountz, Marcel Pagnol,  1938, Fernandel


La perpétuité réelle



De fait, le Conseil se prononce pour la première fois sur la peine de perpétuité, même s'il se borne à affirmer que cette absence de possibilité de demander une libération conditionnelle s'applique "en particulier" aux personnes ainsi soumises à une perpétuité réelle. Certes, il ne condamne pas la perpétuité réelle, question dont il n'est pas saisi. Il se borne à affirmer que cette perpétuité réelle ne peut, en tout état de cause, pas intervenir par le seul résultat d'une décision d'irrecevabilité rendue par un tribunal d'application des peines.

On peut tout de même y voir un élément du dialogue des juges. En effet, dans un arrêt Vinter c. Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) note que le droit des Etats membres en matière pénale vise à la fois à punir des infractions et à "oeuvrer à la réinsertion des condamnés", y compris ceux condamnés à perpétuité. La législation interne ne doit donc pas interdire, "de manière absolue et avec un effet automatique, l’accès à la libération conditionnelle (...)". Il n'existe donc pas réellement de droit à la libération conditionnelle, mais il existe un droit de la demander, en quelque sorte un droit d'avoir l'espoir de sortir un jour de prison. L'arrêt Marcello Viola c. Italie du 13 juin 2019 reprend clairement ce principe, à propos cette fois les peines d'emprisonnement à perpétuité prononcées contre les auteurs de crimes mafieux.

In fine, le Conseil constitutionnel décide l'abrogation de la disposition litigieuse, mais prend la précaution de la reporter au 1er juillet 2020. Il s'agit évidemment de permettre au Parlement de résoudre cette contradiction entre les normes. Reste que l'on imagine mal qu'il décide d'appliquer une peine de perpétuité réelle à l'encontre des étrangers, surtout s'ils peuvent faire l'objet d'une mesure d'éloignement. Il est donc très probable qu'ils pourront désormais demander une libération conditionnelle, qui permettra en pratique de procéder à cet éloignement.


Sur le droit des étrangers : Chapitre 5, Section 2 du manuel de Libertés publiques sur internet.



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