« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


samedi 15 juin 2019

RIP : la publicité des signatures

Le décret du 11 juin 2019 ouvre la période de recueil des soutiens à la proposition de loi présentée conformément à l'article 11 de la Constitution, visant à affirmer le caractère de service public national d'ADP.  Il suffit donc de se rendre sur le site spécialement créé par le ministère de l'intérieur pour participer à cette consultation. 

Nulle irrégularité juridique ne semble entacher cette procédure. Le recueil des soutiens doit commencer dans le mois suivant la publication au Journal officiel de la décision par laquelle le Conseil constitutionnel déclare la proposition de loi conforme aux conditions posées par l'article 11. En l'espèce, la décision a été publiée le 15 mai et le recueil des soutiens a donc commencé deux jours avant la date limite. Les partisans du référendum d'initiative partagée (RIP) ont désormais neuf mois pour atteindre le seuil fatidique de 4 717 396, soit le dixième du corps électoral. 

Une question toutefois est demeurée à l'écart des débats, celle de la publicité de ces soutiens. Le décret du 11 juin 2019 n'en dit rien, et il faut se tourner vers la loi organique du 6 décembre 2013, qui énonce dans son article 7, que "la liste des soutiens apportés à une proposition de loi peut être consultée par toute personne". Elle n'est donc pas, à proprement parler, publiée, mais elle peut être communiquée, et rien n'interdit à un journal, ou à un parti politique, ou à n'importe qui, de la rendre publique.

Quelle est la nature de cette procédure de soutien ? Se rattache-t-elle au droit de pétition ou au droit de vote ? L'enjeu de cette distinction est essentiel, car elle conditionne le caractère public ou non de ces soutiens.


Le droit de pétition et la publicité



A première vue, la procédure de recueil des soutiens se rapproche beaucoup de l'exercice du droit de pétition.

Il existe un droit de pétition d'initiative purement privée. L'usage d'internet a ainsi suscité la création de sites sur lesquels n'importe qui peut ouvrir une pétition sur n'importe quoi. La pétition n'a alors qu'une fonction militante, finalement assez proche de la liberté de manifester : on affirme ses convictions en utilisant cette nouvelle forme d'espace public qu'est le web.

Il existe aussi un droit de pétition juridiquement organisé. Il était déjà réclamé dans les carnets de doléances, et il fut consacré par la Constitution de 1791 qui considère comme "droit naturel et civil (...) la liberté d'adresser aux autorités constituées des pétitions signées individuellement". Aujourd'hui, certaines pétitions font l'objet d'une reconnaissance juridique, telles celles qui sont présentées au parlement européen par "tout citoyen de l'Union", en vertu de l'article 227 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ou celui prévu par l'article 4 de l'ordonnance du 17 novembre 1958. Il permet aux citoyens d'adresses des pétitions individuelles ou collectives à l'Assemblée nationale, à condition toutefois de ne pas "les apporter à la barre", délicieuse réminiscence des pratiques de la Convention. Enfin, depuis la révision de 2008, les citoyens peuvent adresser des pétitions au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Si le seuil de 500 000 signatures est franchi, le CESE rend un avis sur la question posée, et le transmet au gouvernement qui en fait ensuite.. exactement ce qu'il veut.

Quelles que soient ses modalités et son encadrement ou non par le droit positif, le droit de pétition se définit d'abord par sa fonction de protestation. Il repose donc sur la publicité : comment protester efficacement si votre nom n'apparaît pas dans la liste des protestataires, de préférence en bonne place, en haut de la liste ? Il existe même des signataires compulsionnels, qui adhèrent à toutes les causes, ou presque, tant ils veulent afficher leurs convictions.

Certes, mais précisément le soutien apporté par les citoyens à une proposition de loi visant à l'organisation d'un référendum peut témoigner d'une protestation, mais pas nécessairement de son affichage. Le but essentiel est de transformer une protestation stérile en une démarche positive. Le soutien des citoyens est la première étape vers une procédure qui deviendra peut-être parlementaire puis, les signataires l'espèrent, référendaire. 

Do you want to know a secret ? Beatles, 1963


Le droit de vote et le secret

 

Visant à obtenir une consultation référendaire, le soutien apporté à la proposition de loi constitue un acte démocratique, mais le droit positif repose sur le fait qu'il peut être dissocié du référendum qu'il prépare.

Il est vrai qu'à ce stade,  le référendum n'est encore qu'une hypothèse quelque peu lointaine. Il n'aura lieu en effet que si deux conditions successives sont réunies. Dans un premier temps, les soutiens doivent atteindre le seuil de 4 717 396 dans un délai inférieur ou égal à neuf mois. Ensuite la proposition revient au Parlement qui bénéficie d'un véritable droit d'évocation ou  de rejet. Dans l'hypothèse où il ne l'a pas examinée dans un délai de six  mois, le Président de la République est alors tenu de la soumettre à référendum. Le parlement constitue donc un second obstacle à franchir avant de parvenir à cette consultation.

Cette dissociation entre les deux opérations, les soutiens et la procédure référendaire, a quelque chose d'artificiel, si l'on s'interroge sur la fonction que remplit le principe du secret du vote. 

Énoncé dans l'article 3 de la Constitution qui rappelle que le suffrage "est toujours universel, égal et secret", rappelé dans l'article L 59 du code électoral, le secret du vote repose sur l'idée que l'électeur doit exercer son suffrage en pleine liberté, à l'abri de toute pression extérieure. C'est donc un élément essentiel du principe de sincérité du scrutin. Concrètement, il se traduit par la double obligation de prendre plusieurs bulletins, puis de passer par l'isoloir. Toute entrave au secret du vote est un délit puni d'une amende de 15 000 € et/ou d'une année d'emprisonnement (art. L 113 du code électoral).

Le secret du vote est très solidement ancré dans la tradition électorale française, au point qu'il ne donne que rarement lieu à contentieux. Tout au plus peut-on citer l'annulation par le Conseil constitutionnel du scrutin présidentiel du second tour de 2002 dans la commune de Villemagne. A l'époque, le maire qui détestait avec une égale intensité Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen avait eu l'idée saugrenue d'installer un "pédiluve de décontamination" à la sortir du bureau de vote. Le Conseil constitutionnel annule l'élection dans ce bureau, en invoquant, de manière un peu surprenante, une double atteinte au secret du vote et au principe de dignité du vote.

Si le recueil des soutiens n'est pas un vote au sens étroit du terme, il n'en demeure pas moins que la nécessité de mettre le signataire à l'abri de toute pression extérieure existe avec la même intensité. Ne peut-on imaginer une entreprise dont les dirigeants feraient pression sur ses employés pour qu'ils n'apportent pas leur soutien à la proposition ? Ne peut-on imagine un syndicat incitant fortement ses adhérents à signer ? Il est donc clair que le seul moyen d'assurer la complète liberté de choix du citoyen est de lui garantir sa confidentialité. Il est sans doute encore temps de modifier le décret en ce sens, car, dans le cas contraire, la libre communication des soutiens risque d'être interprétée comme une manoeuvre visant à dissuader les citoyens de signer.

Sur la liberté d'expression politique : Chapitre 9 section 1  du manuel de Libertés publiques sur internet , version e-book, ou version papier.




4 commentaires:

  1. HAUCHEMAILLE Stéphane16 juin 2019 à 18:04

    La question est traitée par le II de l'art. 4 du décret n° 2014-1488 du 11 décembre 2014 relatif au traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Soutien d'une proposition de loi au titre du troisième alinéa de l'article 11 de la Constitution » :
    " La liste des électeurs soutenant une proposition de loi et dont le soutien est réputé valide est publiée par ordre alphabétique des noms des électeurs sur le site internet du ministère de l'intérieur à compter du début de la période de recueil des soutiens et jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois suivant la publication au Journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel prévue à l'article 45-6 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. Cette liste, publiée aux seules fins de consultation, précise pour chaque électeur soutenant la proposition de loi son nom, son ou ses prénoms et sa commune, son village pour l'électeur des îles Wallis et Futuna ou son consulat d'inscription sur les listes électorales, tels que saisis par l'électeur ou l'agent mentionné à l'article 3 sur le site internet au moment du dépôt ou de l'enregistrement du soutien. "

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  2. HAUCHEMAILLE Stéphane16 juin 2019 à 18:10

    Par ailleurs, cette publication permet à tout électeur d'exercer son droit de réclamation. On peut d'ailleurs lire ceci sur le site du Conseil constitutionnel :
    "Le site internet dédié au recueil des soutiens permet de déposer une réclamation dans les cas de figure suivants :
    L'électeur a déposé un soutien à une proposition de loi référendaire mais ne voit pas apparaître son nom dans la liste publique des soutiens au terme du délai de cinq jours (au terme de sept jours, en cas d'enregistrement par l'intermédiaire d'un agent de mairie ou de consulat) entre l'enregistrement sur le site internet et la validation ou le rejet du soutien ;
    L'électeur n'a pas déposé de soutien à une proposition de loi référendaire mais voit apparaître son nom dans la liste publique des soutiens ;
    L'électeur estime qu'une tierce personne figure à tort dans la liste publique des soutiens à une proposition de loi référendaire ;"

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    1. Il m'a semblé que l'auteur de cet article questionnait la pertinence de ne pas appliquer le principe du secret du vote aux pétitions de soutien du projet de loi résultant de l'article 11 de la Constitution, je n'arrive pas à comprendre en quoi le II. de l'article 4 du décret de 2014 traiterait de la question puisque celui ci se borne à affirmer que le principe du secret du vote ne s'appliquait pas à ce cas, il n'explique pas pourquoi..

      Si je comprends votre argument tenant à rendre possible les réclamations des dépositaires de soutien qui (ne) se retrouveraient (pas) dans la liste (encore que j'ai des réserves à ce sujet puisqu'il est tout à fait envisageable de rendre l'exercice de ces réclamations possible tout en les anonymisant, comme par exemple via l'utilisation des numéros attribués aux signataires lors de leur contribution), j'avoue avoir du mal à visualiser dans quelles hypothèses un électeur serait en position d'estimer qu'une "tierce personne figure à tort dans la liste publique des soutiens"?..

      Enfin, il me parait quelque peu cynique d'évoquer la protection des droits des électeurs lorsque les mentions présentes sur le site du RIP s'épanchent au fil des pages sur les sanctions possibles dans le cadre du RIP, alors que les mentions relatives au traitement des données personnelles des signataires, lacunaires, ne respectent même pas le cadre posé par le RGPD et la Loi Informatique et Liberté (alors oui, les informations utiles se retrouvent, en partie, dans la loi organique n°2013-1114 du 6 décembre 2013, mais je me dois de rappeler que Google a été condamnée du fait que les mentions "RGPD" étaient éparpillées en différents endroits, donc l'information des citoyens à ce sujet me parait plus qu'insuffisant).

      Au plaisir de vous lire.

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    2. HAUCHEMAILLE Stéphane23 juin 2019 à 17:36

      L'auteur de l'article reprochait au décret du 11 juin 2019 de ne rien dire sur la publicité des soutiens. Je fais donc simplement remarquer que cette question a déjà été traitée dans un décret permanent qu'elle semble ignorer, de même que d'autres informations disponibles sur le site du Conseil constitutionnel.
      Cela dit, la légalité du décret du 11 décembre 2014 peut toutefois être discutée, encore qu'il ait été pris après avis du Conseil constitutionnel qu'on voit mal le Gouvernement ne pas avoir suivi, même s'il le peut toujours juridiquement.

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