« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 14 avril 2019

Le référendum d'initiative partagée sur ADP : le marathon commence

Le 9 avril 2019, une procédure de référendum d'initiative partagée a été engagée (RIP), plus de dix ans après l'intégration de cette procédure dans la Constitution, par la révision de 2008. 248 parlementaires, députés et sénateurs, ont en effet déposé une proposition de loi référendaire "visant à affirmer le caractère de service public national de l'exploitation des aérodromes de Paris". Il s'agit concrètement d'empêcher la privatisation d'Aéroports de Paris (ADP) prévue par la loi Pacte, loi qui a été définitivement adoptée par l'Assemblée nationale, deux jours après cette initiative, le 11 avril. 

L'alinéa 3 de l'article 11 de la Constitution est rédigé en ces termes : "Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an". Ces dispositions ont ensuite été précisées par les textes chargés de leur mise en oeuvre, une loi organique et une loi ordinaire du 6 décembre 2013. Si Nicolas Sarkozy avait présenté ce référendum comme l'instrument de nature à "redonner la parole au peuple français", sa majorité a malencontreusement oublié de faire voter les textes d'application, finalement adoptés durant le quinquennat de François Hollande.

L'actuelle initiative parlementaire constitue la première tentative de mise en pratique du RIP. Mais il s'analyse comme un marathon ou une course d'obstacles, "cérémonial chinois" d'un nouveau type, organisé de telle manière qu'il soit extrêmement difficile de mener la procédure à son terme. Pour le moment, les 248 parlementaires ont franchi la première étape, car ils ont réuni un cinquième des membres du parlement en dépassant le seuil des 185 signataires de la proposition. Mais ces audacieux vont désormais se heurter à d'autres obstacles, autrement plus sérieux.


Le Conseil constitutionnel



Le premier d'entre eux est le Conseil constitutionnel. Dans le délai d'un mois à compter de la transmission de la proposition de loi, il doit s'assurer que son objet est conforme aux conditions posées par l'article 11 de la Constitution et rendre sur ce point une décision motivée. Outre la ratification d'un traité, sujet qui ne nous préoccupe pas aujourd'hui, l'article 11 énonce qu'un référendum ne peut porter que "sur l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent". 

A priori, il semble évident que la proposition qui vise à qualifier ADP de "service public national" entre pleinement dans le champ du référendum.  Le Conseil pourrait cependant être tenté d'approfondir un peu son contrôle. En effet, l'exposé des motifs de la proposition affirme que cette qualification aurait pour conséquence d'empêcher la privatisation d'ADP, ce qui est loin d'être évident. La notion de "service public national" trouve son origine dans l'alinéa 9 du Préambule de 1946, aux termes duquel "tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité". Le problème est que ces "caractères" du service public national demeurent extrêmement flous, au point que la décision du 26 juin 1986 précise que "si la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles à valeur constitutionnelle, la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l'appréciation du législateur ou de l'autorité réglementaire". Le fait donc qu'un service public national soit qualifié comme tel par la loi "ne fait pas obstacle à ce que cette activité fasse, comme l'entreprise qui en est chargée, l'objet d'un transfert au secteur privé". Considérée à la lumière de cette jurisprudence, l'initiative des parlementaires serait donc inutile, car la qualification d'ADP comme service public national n'empêcherait pas sa privatisation.

Par une sorte d'effet de domino, cette question en entraine une autre, celle de l'articulation entre la décision du Conseil sur le RIP et son éventuelle décision sur la loi Pacte. S'il est saisi de ce texte, il n'est pas impossible qu'il puisse considérer que le transfert au secteur privé de la majorité du capital d'Aéroports de Paris est inconstitutionnel, par exemple parce que ces infrastructures constituent un monopole de fait au sens de l'alinéa 9 du Préambule de 1946. Mais dans quel ordre seraient rendues les deux décisions ? Si la décision sur la loi loi Pacte intervient en premier et annule la privatisation d'ADP, celle sur le RIP devient sans objet. A l'inverse, si la décision RIP intervient en premier et qu'elle déclare le référendum conforme à l'article 11, le Conseil devra-t-il se sentir lié lorsqu'il sera appelé à statuer sur la loi Pacte ?

Enfin, un dernier problème se pose, dans la mesure où l'article 11 de la Constitution affirme clairement qu'un RIP "ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an".  La question posée est celle de savoir à compter de quelle date s'apprécie ce délai. S'il s'agit de la date du dépôt de la proposition de RIP, il est clair que la loi Pacte n'est pas encore promulguée et que rien n'empêche la poursuite de la procédure. S'il s'agit de la date supposée du référendum, il est plus que probable que la loi Pacte sera alors promulguée depuis moins d'un an, interdisant le RIP. Le Conseil devra sans doute se prononcer sur ce point.

Supposons tout de même, et c'est très possible, que le Conseil constitutionnel déclare la proposition conforme à l'article 11 de la Constitution, les épreuves seront loin d'être terminées.


Oui ou non. Dorothée. 1983

Le soutien populaire



Les inititeurs du RIP devront ensuite obtenir un soutien populaire exprimé par le dixième du corps électoral, soit environ 4 500 000 signatures déposées sur un site internet spécialement affecté à cette procédure. Théoriquement, il existe déjà, puisque sa création a été prévue par un décret du 11 décembre 2014. Observons tout de même que ce seuil de 4 500 000 signatures est considérable, même si leur recueil s'étale sur neuf mois. Lors des débats sur le mariage pour tous, on se souvient que ses opposants étaient très fiers de remettre au Conseil économique, social et environnemental une pétition réunissant 690 000 signatures.


Le veto parlementaire



Si le RIP peut être initié par une minorité de parlementaires, il n'en demeure pas moins que la majorité parlementaire conserve un véritable veto. En effet, une fois obtenues les signatures nécessaires, la proposition de loi revient au Parlement, et chacune des assemblées doit l'examiner, soit en l'adoptant, soit en la rejetant. Dans l'hypothèse où la proposition n'a pas été examinée dans un délai de six par chaque assemblée, le Président de la République doit la soumettre à référendum. De cette procédure, on peut donc déduire qu'il suffit qu'il suffit que l'une des assemblées émette un vote hostile à la proposition dans ce délai de six mois pour qu'elle soit purement et simplement enterrée. Or nul n'ignore que La République en Marche dispose d'une majorité suffisamment confortable pour empêcher le référendum.

Bien entendu, l'analyse juridique doit être tempérée par les choix politiques. Il n'est pas impossible que le Président de la République estime qu'il n'a pas intérêt à apparaître comme le fossoyeur du projet et choisisse de laisser le référendum se dérouler. Il aura alors à faire campagne en mettant l'accent sur l'étrange alliance nouée entre des oppositions qui n'ont rien en commun, en espérant obtenir un résultat négatif qui serait pour lui une victoire politique. D'ici là, il se sera passé quinze ou seize mois.

Le plus intéressant dans cette procédure réside peut être dans le fait qu'elle permet de prendre conscience des difficultés auxquelles se heurte toute proposition de RIP. Cette procédure a été présentée comme "rendant la parole au peuple", alors qu'elle est  contrôlée du début jusqu'à la fin par le parlement. Celui-ci n'a t il pas le monopole de l'initiative, et la possibilité de bloquer finalement un référendum en faveur duquel plus de quatre millions d'électeurs se sont prononcées ? Il ne fait guère de doute que les partisans du référendum d'initiative populaire se sont sentis floués par cette procédure et que, dans une certaine mesure, la revendication en faveur du référendum d'initiative citoyenne (RIC) est le résultat de cette frustration. Au moment où le RIC est au coeur des débats, il serait tout de même amusant de voir un premier RIP arriver à son terme.

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