« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mardi 26 juin 2018

La liberté de correspondance en détention provisoire

Il est des victoires qui n'en sont pas tout-à-fait, victoires en trompe l'oeil qui n'apportent guère qu'une satisfaction symbolique. Dans une décision rendue sur QPC le 22 juin 2018 à la demande de l'Observatoire international des prisons (OIP), le Conseil constitutionnel déclare inconstitutionnels quelques mots de l’article 40 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. Dans sa formulation originale, il énonçait : "Les personnes condamnées et, sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas, les personnes prévenues peuvent correspondre par écrit avec toute personne de leur choix". Le Conseil abroge l'incise "sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas". 


La liberté de la correspondance



L'OIP et un certain nombre de commentateurs ont déduit de cette abrogation que les personnes placées en détention provisoire sont désormais titulaires d'une liberté de correspondance absolue au même titre que celles qui ont été condamnées. 

La liberté de la correspondance est une composante essentielle de la vie privée et elle se traduit par le principe d'inviolabilité de cette correspondance. L'article 226-15 du code pénal punit d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende "le fait, commis de mauvaise foi, d'ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressées à des tiers, ou d'en prendre frauduleusement connaissance". Ces dispositions sont aujourd'hui étendues à l'ensemble des communications, y compris celles transitant par internet. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, se réfère à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 pour conférer un fondement constitutionnel au droit au respect de la vie privée. Il affirme, dans sa décision du 23 juillet 1999, que "la liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée", considéré comme "un droit naturel et imprescriptible de l'homme".

Le problème est que les personnes détenues sont dans une situation particulière, qu'elles soient condamnées ou en détention provisoire. Dans sa décision QPC du 25 septembre 2015, Johny M., le Conseil énonce qu'"il appartient au législateur de fixer les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux personnes détenues". Elles sont titulaires des droits et libertés, mais "dans les limites inhérentes à la détention". La loi se voit ainsi fixer pour objectif d'opérer une conciliation entre l'exercice des libertés d'un côté, la sauvegarde de l'ordre public et les finalités de la détention de l'autre côté.

De fait, le Conseil se garde bien d'abroger la disposition contestée sur le fondement de l'atteinte à la liberté de la correspondance et donc à la vie privée. Il préfère s'appuyer sur l'absence de droit au recours, ce qui est bien différent. 

En attendant le facteur. Le poète Jean Antoine Roucher à Sainte Pélage. Hubert Robert 1733-1808 

Le droit au recours



La loi pénitentiaire reconnaissait aux personnes prévenues le droit de correspondre avec les personnes de leur choix "sous réserve que l'autorité judiciaire ne s'y oppose pas", mais elle ne prévoyait aucune procédure permettant à l'intéressé de contester un éventuel refus. La situation pouvait sembler particulièrement rigoureuse dans le cas de personnes juridiquement innocentes tant qu'un jugement pénal ne les a pas condamnées.    

Dans une décision QPC du 24 mai 2016 Section française de l'OIP, le Conseil s'était penché sur le droit de visite des personnes en détention provisoire. A l'époque, l'article 145-4 du code de procédure pénale donnait compétence au juge d'instruction pour, à l'issue d'un délai d'un mois de détention, délivrer un permis de visite à un membre de la famille de l'intéressé, ou au contraire refuser cette autorisation. Et s'il permettait un recours devant le président de la chambre de l'instruction, il n'imposait à la réponse du juge d'instruction aucune condition de délai. Autrement dit, il lui suffisait de ne pas répondre pour priver l'intéressé du droit de visite, sans recours possible. Déjà, le Conseil s'était placé sur le terrain de l'absence de droit au recours pour abroger la disposition contestée, alors même que l'association requérante invoquait le droit de mener une familiale normale, élément de la vie privée. 

On devine alors la fin de l'histoire. La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice a réécrit l'article 145-4 du code de procédure pénale, et donné au juge d'instruction un délai de cinq jours pour statuer sur les demandes de visites formulées par les proches de la personne en détention provisoire. Il demeure donc possible d'interdire les visites, par une décision motivée et susceptible de recours.

Dans sa décision du 22 juin 2018, le Conseil reprend exactement la même analyse. Loin de reconnaître le droit à l'inviolabilité de la correspondance, il se borne à formuler l'exigence d'un recours contre un éventuel refus. De fait, il prend la précaution de reporter au 1er mars 2019 l'abrogation effective de la disposition déclarée inconstitutionnelle, ce qui laisse tout le temps au législateur de modifier la loi pour introduire ce recours. En attendant, le Conseil recommande de procéder par analogie avec le droit de visite, en offrant au prévenu un recours devant le président de la Chambre de l'instruction. 

Voilà donc une décision qui fait plaisir à l'OIP qui peut déclarer avoir oeuvré pour la protection des droits de la personne en détention provisoire. Elle donne aussi satisfaction au Conseil constitutionnel qui se donne une image libérale, sans consacrer de droits particuliers à la personne détenue, et en se limitant à imposer une garantie de procédure. Elle donne enfin satisfaction à l'administration pénitentiaire car le droit positif ne change pas réellement, un nouveau texte devant intervenir pour organiser le recours. Il est bien probable que la moins satisfaite sera sans doute la personne en détention provisoire. Comme elle n'avait pas reçu davantage de visites après la décision de mai 2016, elle n'aura pas davantage la possibilité de tenir une correspondance après celle de juin 2018. Mais au moins, elle pourra occuper son temps à faire des recours.

 

Sur le secret de la correspondance : Chapitre 8 section 5 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.





 

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