« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 22 avril 2018

La nationalité reportée à deux mains

Dans un arrêt du 11 avril 2018, le Conseil d'Etat confirme la légalité du décret refusant à Mme B. A. la nationalité française, au motif qu'elle avait refusé de serrer la main du secrétaire général de la préfecture ainsi que celle d'un élu d'une commune du département. La particularité de la situation réside précisément dans le fait que Mme B. A. a refusé ces deux cordiales poignées de main au moment précis où elle devait être accueillie dans la nationalité française lors d'une cérémonie organisée à la préfecture de l'Isère. Ayant épousé un Français en Algérie, son pays d'origine, elle était en position, après plus de quatre années de vie commune, d'obtenir la nationalité par déclaration. Hélas, ce refus, qu'elle justifie par ses convictions religieuses, a pour conséquence immédiate de susciter un autre refus, un décret du Premier ministre du 20 avril 2017 lui refusant finalement cette nationalité à laquelle elle estimait avoir droit.


L'article 21-4 du code civil



La procédure n'est pas récente et la déclaration acquisitive de nationalité a été soumise à des conditions de plus en plus précises. L'article 21-4 du code civil permet ainsi au Premier ministre de refuser cette déclaration pour des motifs définis par le législateur. Ce mouvement était engagé dès la loi du 22 juillet 1993 qui prévoyait déjà le refus de déclaration "pour indignité ou défaut d'assimilation". La loi du 26 novembre 2003 est ensuite venue préciser que ce défaut d'assimilation devait être "autre que linguistique". Enfin, la loi du 24 juillet 2006 impose une durée de communauté de vie de quatre ans avant la déclaration acquisitive de nationalité, dans le but de lutter contre les mariages blancs. Mme B. À. remplissait à l'évidence cette condition, Mariée en mai 2010 en Algérie, elle a fait sa déclaration en juillet 2015 auprès de la préfecture de l’Isère.

La ci darem la mano. Don Giovanni. Mozart
Thomas Allen et Susanne Mentzer. Direction R. Muti
Mise en scène G. Strehler. Théâtre de la Scala 1987


Le défaut d'assimilation



Dans son cas, le refus repose donc sur le défaut d'assimilation, terme choisi par  le législateur et qui autorise l’Exécutif à s’opposer à l’acquisition de la nationalité par une personne qui n’a aucunement l’intention de se plier aux usages en vigueur dans la société qui l’accueille. En l’espèce, le Premier ministre a considéré que « le comportement de l’intéressée empêchait qu’elle puisse être regardée comme assimilée à la communauté française ». Ce refus d’acquisition de la nationalité ne saurait, en aucun cas, être assimilé à une déchéance, dans la mesure où il a été pris, conformément aux dispositions de l’article 21-4 du code civil, dans un délai de deux ans après la déclaration.


Cette procédure est régulièrement employée et a donné lieu à une jurisprudence qui en précise le sens. C'est ainsi que la polygamie est considérée comme révélant l'absence d'assimilation dans la société française. Dès un arrêt du 24 janvier 1994, le Conseil d'Etat estimait, à propos d'une procédure de déclaration de réintégration dans la nationalité française, qu'un Sénégalais bigame ayant laissé une de ses femmes au Sénégal avec huit de ses neuf enfants, n'était pas suffisamment assimilé dans la société française. Les dispositions de l'article 21-4 sont également utilisées pour écarter la déclaration acquisitive d'une personne qui refuse les valeurs essentielles de la société française. Tel est le cas de Monsieur A. qui, au cours des entretiens menés par les agents chargés d'instruire son dossier, a refusé d'accepter le principe d'égalité entre les hommes et les femmes (CE, 27 novembre 2013). L'arrêt du 11 avril 2018 n'est guère éloigné de cette décision, Mme B. A., acceptant la subordination des femmes comme un fait incontestable qui lui interdit de serrer la main d'un homme, surtout s'il s'agit d'un infidèle...

Les pratiques religieuses radicales



L'étude de la jurisprudence montre en effet que l'article 21- 4 du code civil est aujourd'hui surtout utilisé pour lutter contre les pratiques religieuses les plus radicales. Dans un arrêt du 31 janvier 2001,  le Conseil d'Etat admet la légalité d'un décret du Premier ministre refusant la déclaration de M. X., qui adhérait "aux valeurs d'un mouvement prônant le rejet des principes de laïcité et de tolérance et recourant à la violence et au terrorisme". Le 27 juin 2008, c'est cette fois la déclaration d'une femme qui est rejetée, au motif que l'intéressée avait adopté une "pratique radicale de sa religion". Le défaut d'assimilation peut donc être le fruit d'une pratique religieuse reposant sur l'isolement communautaire et une mise à l'écart parfaitement volontaire de l'ensemble de la société française.

Si Mme B. A. n'est pas la personne dont la déclaration acquisitive ait été refusée, elle est la première à avoir affiché sa pratique radicale et son rejet des valeurs de notre société à l'occasion de la cérémonie qui était censée l'accueillir au sein de cette même société. Le Conseil d'Etat note justement que la liberté religieuse pas affectée. Mme B. A. peut refuser de serrer la main des hommes et persévérer dans sa pratique religieuse radicale. Se plaçant ainsi à l'écart de la société française, il semble logique au Conseil d'Etat de ne pas l'intégrer dans la communauté nationale.




7 commentaires:

  1. "surtout s'il s'agit d'un infidèle..." Qu'est ce qui vous permet (au sens proper) de dire ça, j'ai lu la decision et ce motif ni ces faits n'y figurent pas ?

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  2. les valeurs de la laïcité de notre république sont sauves... bravo au Conseil d'Etat de les rappeler

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  4. Pour avoir assisté à l'audience, je n'ai pas souvenir que le rapporteur public ait mentionné ce critère comme déterminant dans la démarche de la requérante (de mémoire, seul celui du genre est entré en ligne de compte)

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    1. Rectification d'erreur matérielle :

      La simple lecture de l'arrêt confirme la motivation religieuse de la requérante : " (...) qu'elle a, par la suite, indiqué que ce refus était motivé par ses convictions religieuses". Le genre n'est pas mentionné.

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    2. Je ne mets pas en doute que le geste de la requérante était animé par des motifs religieux, je dis seulement qu'il me semble (de mémoire, ce que la lecture des conclusions permettrait de vérifier) que c'est le sexe des personnalités qui est entré en ligne de compte (et sur la place des femmes qui en découle dans son esprit), et non leur supposée appartenance religieuse.
      Cela ressort d'ailleurs de sa défense, puisqu'elle indique passer son permis de conduire et travailler au quotidien avec des hommes, ce afin de démontrer son assimilation.

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    3. Ah oui il y a une différence entre un acte motive par SA conviction religieuse (celle de la femme qui refuse de serrer la main d'un home) et un acte motive par la (prétendue ou suppose) conviction religieuse de celui dont on refuse de serrer la main. C'est subtil, mais s'impose à l'analyste de bonne foi.

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