« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 8 décembre 2017

Les santons de Wauquiez dans l'étable du Lebon

Le 6 octobre 2017, le tribunal administratif de Lyon a jugé illégale la crèche installée dans l'hôtel de région Auvergne-Rhône-Alpes à l'occasion des fêtes de Noël 2016. Après avoir soigneusement lu décision du juge, Laurent Wauquiez, Président de la région, décide en 2017 d'opérer de manière différente. Il organise, dans ce même hôtel de région, une exposition de santons, de toutes tailles et de toutes natures. Les artisans santonniers sont invités à venir exposer leurs oeuvres et à montrer au public leur savoir-faire. Et ce n'est tout de même pas la faute de Laurent Wauquiez si, pour illustrer ce métier d'art,  pour mettre les santons en situation, le décor le plus évident est celui d'une crèche de Noël, ou plutôt de cinq crèches que peuvent admirer les visiteurs. 

Aussitôt, un certain nombre d'élus lyonnais, notamment ceux issus du parti radical de gauche, ont diffusé un communiqué accusant Laurent Wauquiez de "jouer avec le travail des petits santons pour contourner la loi". L'analyse juridique montre que ce n'est pas aussi simple.

Certes, la loi de Séparation du 9 décembre 1905 interdit "à l'avenir, d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ni en quelque emplacement public que ce soit". Mais il appartient au juge administratif d'interpréter la loi et de dire si une crèche de Noël peut être qualifiée d'emblème religieux. Laurent Wauquiez ne contourne pas la loi. Il se borne, qu'on soit ou non d'accord avec lui, à exploiter astucieusement l’ambiguïté de la jurisprudence du Conseil d'Etat.

Les arrêts du 9 novembre 2016


Dans son jugement du 6 octobre 2017, le tribunal administratif de Lyon applique en effet docilement la jurisprudence du Conseil d'Etat, concrétisée dans deux arrêts du 9 novembre 2016, tous deux portant sur l'installation d'une crèche, dans l'hôtel de ville de Melun et dans l'hôtel du département de Vendée. Dans aucune des ces deux affaires, le Conseil d'Etat ne prend une position claire. Il ne dit pas qu'une crèche est, ou n'est pas, un emblème religieux. Conformément à se pratique habituelle en matière de laïcité, il adopte une position à la fois ambigüe et peu lisible.

La jurisprudence repose en effet sur un système de présomption différent selon le lieu de l'installation. Lorsque la crèche prend place dans un emplacement public, jardin public ou place publique, elle est présumée licite, sauf si elle révèle des éléments de prosélytisme. On imagine, par exemple, une crèche érigée place de l'église, mentionnant ostensiblement les horaires des messes et invitant les parents à inscrire leurs enfants au catéchisme. En revanche, lorsque la crèche est installée à l'intérieur d'un bâtiment public, mairie ou hôtel de région, elle est présumée illicite. Mais, là encore, la présomption peut être renversée si l'installation présente un caractère "culturel artistique ou festif" et n'exprime, en aucun cas, la reconnaissance d'un culte.

Noël des petits santons. Tino Rossi

La recherche des motivations


Le tribunal administratif de Lyon s'est situé sur ce terrain pour déclarer illégale la crèche de 2016. Installée dans un bâtiment public, elle n'avait donné lieu à aucune décision formelle ni du maire, ni du conseil municipal. Le tribunal administratif avait donc déduit l'existence d'un acte administratif de la constatation de ses effets juridiques, c'est-à-dire de l'existence même de la crèche. Le problème est que ce défaut de décision formelle s'accompagnait, à l'évidence, d'un défaut de motivation. Laurent Wauquiez n'avait justifié sa décision qu'au moment où elle était soumise au juge, en invoquant un "savoir-faire régional" et en qualifiant, bien maladroitement, la crèche de Noël de "symbole de nos racines chrétiennes". On était bien loin des justifications licites énoncées dans les deux arrêts du 9 décembre 2016. D'autres crèches avaient d'ailleurs été déclarées illégales, à Hénin-Beaumont et à Béziers en particulier, leur installation étant antérieure à ces décisions.

La nouvelle motivation, celle invoquée pour justifier les crèches de 2017, est nettement plus astucieuse, car Laurent Wauquiez prend en compte cette jurisprudence. Il affiche une manifestation culturelle et artistique, prend soin de préciser qu'il existe, dans sa région, une quarantaine de santonniers et qu'il s'agit d'un métier d'art. Rien de plus normal, à ses yeux, que d'organiser une exposition sur cette belle profession, même si ces artisans d'art consacrent l'essentiel de leur talent à confectionner tous les personnages de la crèche, même si l'exposition a lieu, fort opportunément durant la période de Noël. 

Cette nouvelle motivation n'aura évidemment aucun impact sur le contentieux portant sur la crèche de l'année précédente. Il est très probable cependant que la crèche de Noël 2017 va donner lieu à un nouveau recours et il sera intéressant de découvrir comment la juridiction administrative va se tirer de ce mauvais pas. Concrètement, il sera difficile de refuser tout caractère culturel et artistique à une manifestation qui fait intervenir activement des artisans d'art. Considérés sous cet angle, les santons de Laurent Wauquiez constituent l'avant-garde de motivations diverses qui ne manqueront pas de se développer dans les années à venir. Certains élus installeront la crèche au pied d'une grande roue pour la rendre festive. D'autres la verront culturelle dans la bibliothèque municipale avec le petit Jésus plongé dans une bande dessinée, la vierge lisant Simone de Beauvoir, et les rois mages les bras chargés des Oeuvres complètes de Jean d'Ormesson dans La Pléiade... D'autres enfin, tapisseront la crèche de Street Art ou diffuseront l'intégrale de Johnny, ce qui ne manquera pas de la rendre artistique.

Nul doute que les élus sauront faire preuve d'imagination et que la jurisprudence sera divertissante. Mais le Conseil d'Etat, finalement invité à trancher ces délicates questions, ne pourra s'en prendre qu'à lui-même. Sa jurisprudence, aussi obscure que peu courageuse, est un nid à contentieux. Il va devoir en assumer les conséquences et ouvrir une rubrique Crèches de Noël dans le recueil Lebon.


Sur les crèches de Noël et le principe de laïcité : Chapitre 10, section 1 § 2 du manuel de libertés publiques : version e-book, version papier.

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