« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 11 octobre 2017

Colloque contre l'islamophobie : précisions sur les libertés académiques

Le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a refusé, dans un ordonnance du 9 octobre 2017, de suspendre la décision de la Présidente de l'Université Lumière Lyon 2 annulant le colloque prévu le 14 octobre 2017 sur le thème : "Lutte contre l'islamophobie, un enjeu d'égalité". Cette manifestation fait en effet l'objet d'une très forte contestation. Certains font valoir que les intervenants sont issus de l'islam politique, ou lui sont favorables. Quelques journaux mentionnent même que l'un des invités est fiché S. La Licra enfin, dans un communiqué, déplore l'organisation d'un colloque "laïcophobe" et dénonce l'instrumentalisation politique de l'Université. Devant l'ampleur de la polémique, la Présidente de l'Université choisit finalement d'interdire. Dans son communiqué de presse, elle motive sa décision sobrement : "les conditions ne sont pas réunies pour garantir la sérénité des échanges". 

L'association requérante


Le Collectif contre l'islamophobie en France, association "partenaire" du colloque et dont la co-directrice devait faire une communication, est à l'origine du référé-liberté. Cette procédure d'urgence, prévue par l'article L 521-2 du code de justice administrative, autorise le juge des référés à ordonner "toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (...) aurait porté, dans l'exercice de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale". En l'espèce, l'association requérante estime que la décision d'annulation du colloque porte une atteinte grave et manifestement illégale tant à la sa liberté d'expression qu'à sa liberté de réunion.

Le juge des référés estime pourtant que ni la liberté d'expression de l'association ni sa liberté de réunion ne font l'objet d'une atteinte grave et manifestement illégale. Autrement dit, aucune liberté dont l'association serait titulaire n'est menacée de manière disproportionnée. Le juge n'en dit pas davantage, mais son silence est éloquent. En effet, il précise clairement que les libertés d'expression et de réunion doivent être appréciées à l'aune de leur titulaire.

Colloque académique dans l’amphithéâtre Richelieu de la Sorbonne. Mai 1968


L'absence de liberté d'expression académique


En l'espèce, les requérants ne sont pas des enseignants chercheurs de l'Université Louis Lumière qui d'ailleurs ne représentent que trois des vingt-six intervenants effectifs au colloque. Le Collectif contre l'islamophobie, auteur du référé, est une association, sans aucune relation institutionnelle avec l'Université. Elle ne peut donc, en aucun cas, s'appuyer sur la liberté d'expression académique.

Aux termes de l'article L 952-2 du code de l'éducation, issu de l'article 57 de la loi Savary du 26 janvier 1984, "les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité". La décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 1984 fait d'ailleurs de l'indépendance des professeurs un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Depuis lors, l'ensemble des enseignants chercheurs bénéficient d'une protection en quelque sorte renforcée de leur liberté d'expression, principe de nouveau formulé dans la décision du 28 juillet 1993

De son côté, le Conseil d'Etat a adopté une position identique, en affirmant, dans un arrêt du 29 mai 1992, l'indépendance des professeurs des universités comme principe fondamental reconnu par les lois de la République. Une telle protection n'est pas sans conséquences sur le fonctionnement des Universités et on peut penser que les enseignants chercheurs pourraient s'appuyer sur ces règles, et en particulier sur l'article 57 de la loi Savary, pour contester l'annulation d'un colloque académique. 

Or, précisément, l'association requérante n'a rien à voir avec le monde académique. Le juge mentionne ainsi que l'interdiction du colloque "n'a aucune répercussion sur ses activités" qui relèvent davantage du militantisme que de la recherche scientifique. Le juge en déduit donc qu'elle ne bénéficie par d'une protection de sa liberté d'expression identique à celle dont peut se prévaloir un enseignant-chercheur. Elle ne bénéficie pas davantage d'une liberté de réunion spécifique qui l'autoriserait à organiser ses rassemblements dans les locaux universitaires.

L'Université instrumentalisée


Derrière cette fin de non-recevoir assez brutale, on devine en filigrane les suites du raisonnement du juge. Si le colloque est défendu par un groupement qui n'a rien à voir avec un centre de recherche universitaire, c'est sans doute parce qu'il ne s'agit pas d'un colloque académique. Considérée en ces termes, la concision de la décision peut être perçue comme une sorte de silence pudique. Le juge aurait pu, en effet, dire clairement que l'association requérante utilisait l'espace universitaire pour donner une onction académique à un propos purement militant. Mais dans ce cas, il aurait implicitement accusé l'Université de L'yon de s'être laissée instrumentaliser. Il a eu l'élégance de ne rien dire et de laisser l'Université tirer elle-même de salutaires leçons de cette mésaventure.



1 commentaire:

  1. Sage décision du juge des référés du tribunal administratif de Lyon en dépit de ses silences sur des sujets sensibles au coeur de la polémique. Une fois de plus, le juge doit se substituer à la lâcheté du politique qui ne cesse d'envoyer des messages contradictoires qui brouillent l'essentiel alors que la plus grande clarté et la plus grande fermeté s'imposeraient.

    Sur le sujet, nous renverrons à une citation d'un ouvrage paru à la fin de l'année 2016 qui résume assez bien la problématique que soulève in fine cette décision :

    "Le temps des hypocrisies, le temps des fausses pensées pseudo-intellectuelles, le temps de la relativité des cultures, le temps de ceux qui se sont toujours trompés dans l'histoire mais, qui continuent de donner des leçons, ce temps-là est révolu".

    L'actualité la plus récente démontre que le dernier membre de phrase est contredit par la réalité. Mais, qui était au juste l'auteur de cet ouvrage ("Vaincre le terrorisme islamiste", Albin Michel, 2016) ? Un certain François Fillon... Vous connaissez ?

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