« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 17 février 2016

Conseil constitutionnel : la carpe et le lapin

A chaque nomination au Conseil constitutionnel est reposée, de manière récurrente, la question de l'indépendance de cette institution. Aujourd'hui, c'est la nomination de Laurent Fabius comme Président du Conseil constitutionnel qui suscite le débat. Ses compétences juridiques ne sont pas contestée, mais il n'en est pas de même de sa volonté de cumuler ses fonctions avec la Présidence de la COP, c'est-à-dire de la Conférence des Parties à la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique. 

Certes, l'intéressé s'est ensuite rapidement rétracté, après une offensive éclair de Ségolène Royal. Elle a estimé qu'il fallait "clarifier les règles du jeu",  et obtenu que l'intitulé de son portefeuille de ministre de l'environnement préciser qu'elle est aussi "chargée des relations internationales sur le climat". La presse ne voit dans l'évènement qu'une épreuve de force politique et Marianne affirme  que "Ségolène Royal a fini par avoir la peau de Laurent Fabius". L'aspect juridique de la question n'est même pas évoqué.

Une "fonction personnelle" ?


Quels étaient les arguments de Laurent Fabius à l'appui de sa revendication ? Reprenons son propos : « Je conserve mon poste de président de la COP. C’est une fonction personnelle, bénévole, sans incidence ni contradiction avec l’activité gouvernementale, puisque j’ai été élu par les parties [les 195 pays impliqués dans les négociations sur le réchauffement climatique] et que je ne représente pas la France. » L'ancien ministre des affaires étrangères se place donc sur le seul terrain du droit international et de son élection par les Etats qui participent à la COP. Observons cependant qu'il n'a élu qu'à l'occasion de la Conférence de Paris (COP 21), dans la mesure où il était le ministre des affaires étrangères de la puissance invitante. Ce n'est donc pas Laurent Fabius qui présidait la COP, mais le ministre français. On est  bien loin de la  "fonction personnelle" évoquée par le ministre, comme s'il voulait privatiser une fonction publique.



La question posée est celle des contraintes pesant sur les membres du Conseil constitutionnel, sachant que le président de cette institution ne dispose, sur ce plan, d'aucun privilège particulier.

Les incompatibilités


Laurent Fabius invoque l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Dans son article 4, elle affirme que l'exercice des fonctions de membre du Conseil est "incompatible avec toute fonction publique et toute activité professionnelle ou salariée". Ce principe est ensuite décliné, et il est précisé qu'un membre du Conseil ne peut pas être aussi membre du gouvernement, du parlement, du Conseil économique, social et environnement, ou encore Défenseur des droits. Pour Laurent Fabius,  la fonction de président de la COP n'est pas une "fonction publique", dans la mesure où elle est "bénévole". La question mérite d'être discutée, car cette présidence entre dans les fonctions du ministre des affaires étrangères qui accueille la COP. Elle est donc liée à la qualité de membre du gouvernement et n'a donc rien de bénévole. 
L'article 1er du décret du 13 novembre 1959 sur les obligations du Conseil constitutionnel impose à ses membres de "s'abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l'indépendance et la dignité de leur fonctions" (art. 1er). Certes, la présidence de la COP n'a rien d'indigne. En revanche, personne ne peut affirmer qu'il n'existe aucun risque d'atteinte à l'indépendance des fonctions d'un membre du Conseil constitutionnel. En effet, la COP constitue un espace de négociation dans lequel de multiples intérêts sont en cause, intérêts des Etats, mais aussi des ONG ou des entreprises actives dans le domaine de l'environnement. Les lobbies de toutes sortes y sont omniprésents. Dans de telles conditions, peut-on sérieusement imaginer qu'un jour le Président du Conseil constitutionnel soit appelé à statuer sur la constitutionnalité d'une loi relative à l'exploitation des gaz de schiste ou encourageant les énergies non renouvelables ? Le soupçon de conflit d'intérêts ne pourra alors manquer d'apparaître, quand bien même il ne s'agirait que des soupçons.

L'obligation de réserve

 

Le régime juridique de l'obligation de réserve imposée aux membres du Conseil constitue également un obstacle de taille au cumul envisagé par Laurent Fabius. L'article 7 de l'ordonnance de 1958 interdit aux membres du Conseil de prendre une position publique "sur des questions ayant fait ou susceptibles de faire l'objet de décisions du Conseil constitutionnel". Mais comment pourrait-on savoir que tel ou tel sujet évoqué par le Président de la COP ne donnera pas lieu ensuite à une QPC ? L'élargissement constant du contentieux constitutionnel rend très contraignante cette obligation de réserve, empêchant concrètement le cumul.

Le Conseil constitutionnel ne doit pas seulement être indépendant et impartial, il doit aussi avoir l'apparence de l'indépendance et de l'impartialité. Une nouvelle fois, la question de sa composition et de son mode de désignation est posée. Dans une institution dont les anciens Présidents de la République sont membres de droit, où les nominations reposant de plus en plus souvent sur la proximité politique ou le remerciement pour services rendus, il n'est guère surprenant que l'ancien ministre des affaires étrangères ait pu envisager le cumul. Une telle revendication témoigne, avant tout, de la crise de la composition de l'institution. Espérons que le Président du Conseil constitutionnel aura désormais à coeur de garantir son indépendance et son impartialité.


2 commentaires:

  1. Votre présentation répond objectivement et parfaitement aux questions fondamentales que soulève ce mauvais vaudeville. Elles ont pour facteur commun la problématique du mode de désignation :

    - du président de la COP21. Il revient à l'Etat dont la candidature a été retenue pour assumer la présidence annuelle de la Conférence des Etats parties à la convention sur les changements climatiques de désigner souverainement la personnalité qui fera office de président. Traditionnellement, compte tenu de la spécificité du sujet traité, les Etats désignent leur ministre de l'Environnement. La France est l'exception qui confirme la règle. Elle s'est orientée vers une structure ad hoc : présidence de la conférence revenant au ministre des Affaires étrangères et celle de la délégation française à la ministre de l'Environnement. Laurent Fabius n'a donc jamais reçu aucune onction internationale si ce n'est la sienne.

    - des membres du Conseil constitutionnel. Votre démonstration est claire, sobre et argumentée. La "Patrie des droits de l'Homme" (titre dont s'affuble la France) ou la "Grande Nation" (qualificatif dont l'accable l'Allemagne) n'est pas un parangon de vertu en matière d'indépendance et d'impartialité. Le contraire correspondrait plus à la réalité. Ceci vaut d'abord pour le Conseil constitutionnel (Cf. votre argumentaire); ensuite pour le Conseil d'Etat (dont la majorité des membres passent le plus clair de leur temps dans les cabinets ministériels au mépris le plus total du principe de la séparation des pouvoirs) et enfin pour les membres du parquet (dont la dépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif a fait l'objet de condamnations de la France par la CEDH en 2010).

    La conclusion de cette farce - psychanalytique mais non juridique, j'en conviens - revient à Hubert Védrine à propos de Laurent Fabius :" Est-ce que quelqu'un peut lui dire que les gens ne sont pas ses laquais ?" (Elise Karin et Eric Mandonnet, "Laurent Fabius. Moi et le monde", L'Express, 17 février 2016, page 46).

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  2. Gnouf, Meuf ! Je Me porte bien. Aaah, çafélontemps ! Mais aujourd’hui, l’Elan a la racontouze ki Le démange.

    Tiendonque, J’ai lu ton dernier post, là, sur le souhait de Lolo de cumuler. Face à l’adversité, l’Elan reste sobre et énergique. Didonque, Lolo, toi de Ma gueule tu oses te fouter ? Pourquoi pas, le soir, un numéro de claquettes dans un cabaret ? Uhuhuhuhuhu…u.

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