« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


vendredi 30 mai 2014

Bygmalion : Nicolas Sarkozy et son compte de campagne

L'affaire Bygmalion a suscité un véritablement bouleversement à l'UMP et Jean-François Copé a été contraint de renoncer à la présidence du parti. Personne n'ignorait que le compte de campagne de Nicolas Sarkozy était frauduleux, depuis qu'il avait été rejeté par la Commission nationale des comptes de campagnes (CNCC) en décembre 2012, puis invalidé par le Conseil constitutionnel le 5 juillet 2013.

 L'ampleur de la fraude


La surprise ne réside pas dans la fraude, mais dans son ampleur. Le Conseil constitutionnel a invalidé le compte de campagne pour un dépassement de 466 118 €, soit 2,1 % au delà du montant autorisé de 22 500 000 €. A la suite de cette invalidation, Nicolas Sarkozy a donc dû rembourser l'avance forfaitaire que l'Etat accorde aux candidats pour financer leur campagne. Heureusement pour lui, les militants UMP, finalement peu touchés par la crise, ont payé les onze millions nécessaires. La restitution de ces fonds à l'Etat est d'ailleurs finalement demeurée partielle, puisque les militants qui ont fait un don au Sarkothon pour renflouer leur parti bénéficiaient d'un avantage fiscal leur permettant de déduire 66 % des sommes versées dans la limite de 20 % du revenu imposable, avec un plafond de 7500 €. 

Les chiffres avancés aujourd'hui sont d'une autre nature. Le Point assure que l'UMP a payé 21 millions d'euros pour l'organisation de soixante-dix évènements par la société Bygmalion, dont les dirigeants sont des proches de Jean-François Copé.

Surfacturation et/ou fausses factures


S'il s'agit uniquement d'une fraude électorale, l'UMP a été sollicité pour payer la campagne de Nicolas Sarkozy, au-delà des seuils légaux. Dans ce cas, le plafond n'est plus dépassé mais véritablement pulvérisé et le candidat Sarkozy a dépensé presque deux fois plus d'argent que son opposant socialiste. On ne peut que se réjouir qu'il n'ait pas été élu, car une fraude d'une telle ampleur est évidemment de nature à vicier la sincérité du scrutin. Ceux-là même qui considèrent aujourd'hui que le Président Hollande devrait démissionner parce que sa popularité est faible estimeraient-ils qu'un Nicolas Sarkozy élu grâce à une fraude électorale sans précédent devrait rester aux affaires ? Heureusement pour la fonction présidentielle, l'histoire en a décidé autrement et les juges n'ont pas eu à se prononcer sur une fraude énorme commise par un Président en exercice.

Mais s'agit-il uniquement d'une fraude électorale ? Les factures adressées par Bygmalion à l'UMP sont peut-être, en tout ou partie, des fausses factures ne correspondant à aucune prestation. Quelques indices le laissent penser, notamment la plainte déposée par Pierre Lellouche pour usurpation d'identité, son nom apparaissant sur une facture pour l'organisation d'une réunion dont il n'a, affirme t-il, jamais entendu parler. Dans ce cas, nous sommes en présence d'une technique visant à l'enrichissement personnel de quelques uns, ou à la création d'une "caisse noire" au sein de l'UMP, deux pratiques qui relèvent également du tribunal correctionnel.

Eduardo Scarfloglio. In Profit We Trust. 2013

Le fusible

 

Devant une telle situation, la première tentation de l'UMP est de chercher des fusibles, Jérôme Lavrilleux, directeur de cabinet de Jean-François Copé étant présenté comme le coupable idéal, coupable d'autant plus idéal qu'élu la veille au parlement européen, il bénéficie d'une immunité. Il est donc envoyé sur les plateaux de télévision, en chemise, pieds nus et la corde au cou, pour battre sa coulpe, reconnaître la fraude, verser quelques larmes qui suscitent l'attendrissement des compères, et surtout affirmer haut et fort que Nicolas Sarkozy ignorait tout de ces pratiques.

Le problème est que la technique du fusible, bien connue de toutes les mafias, n'a guère de chance de succès en l'espèce, tout simplement parce qu'elle se heurte au droit positif.

La loi ne connait que le candidat


La loi du 6 novembre 1962 relative à l'élection du Président de la République ignore les partis politiques. Elle ne connaît que les candidats. Son article 3 § 2 énonce ainsi que le plafond des dépenses électorales prévu par l'article L 52-11 du code électoral s'applique à "chacun des candidats" présents au second tour. Il ajoute que l'obligation de dépôt du compte de campagne s'impose à "tous les candidats". Cette terminologie est parfaitement logique, car le droit français n'impose pas d'avoir le soutien d'un parti politique pour se présenter aux élections présidentielles. Un citoyen isolé, mû par sa seule conviction, peut parfaitement se porter candidat.

Dans l'affaire des comptes de campagne de l'UMP, c'est Nicolas Sarkozy qui a déposé et signé son compte de campagne. La décision de la CNCC du 19 décembre 2012 est relative "au compte de campagne de Monsieur Nicolas Sarkozy", compte dont elle prononce le rejet. Et c'est ce même Nicolas Sarkozy qui dépose finalement un recours au Conseil constitutionnel, qui est lui même rejeté en juillet 2013. On le voit, le responsable du compte de campagne est le candidat, et lui seul. S'il est vrai que Nicolas Sarkozy n'est pas directement impliqué dans les finances de l'UMP, il lui appartenait néanmoins de s'assurer de la régularité du financement de sa campagne.

L'affaire Bygmalion ne fait que commencer et les juges ont commencé leur enquête, visant à établir la réalité des faits. S'ils sont avérés, les fusibles sauteront, les uns après les autres. Et à un moment donné, dans quelques semaines ou dans quelques mois, c'est la responsabilité personnelle de Nicolas Sarkozy qui sera engagée. Du moins peut-on l'espérer, au nom de l'Etat de droit.





2 commentaires:

  1. Bravo pour ces intéressantes informations. Espérons que NS alias PB ne pourra pas se défiler longtemps !

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  2. Tout d'abord merci pour votre blog, le Droit est un sujet mystérieux et passionnant qu'un néophyte ne peut l'aborder simplement sans le décodage d'un professionnel qui lui donnera au moins un éclairage.

    Je ne suis pas tout a fait d'accord sur votre exemple qui cherche à établir le distinguo entre surfacturation et fausse facture par le libellé de la prestation et son attribution à X ou Y (Lellouche en l’occurrence).

    Ce que j'ai compris c'est -pour schématiser- que la Campagne qui a coûté 1000 a été facturée comme 400 pour la Campagne et 600 pour des prestations fictives à l'UMP. Les prestations sont fictives pour l'UMP mais bien réelles pour la Campagne pas d'enrichissement de quiconque à priori quelles que soient les prestations fictives (comme une réunion de M. Lellouche par exemple).

    Je vous rejoins bien entendu pour dire que la suspicion peut maintenant porter sur le fait que la Campagne ne coûtait que 900 et que donc dans 600 facturés à l'UMP il y a 100 qui ne correspondent à rien et là il peut y avoir enrichissement et/ou création d'une Caisse Noire.

    Cette histoire est évidemment très perturbante car, à part les naïfs, personne ne peut imaginer que cette pratique soit uniquement le fait d'un parti.

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