« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


dimanche 18 août 2013

Le report d'audience devant la Cour européenne des droits de l'homme

Le report (ou "renvoi") d'audience est un procédure à la fois simple et mystérieuse. Simple, parce que l'on comprend aisément qu'une partie à une instance puisse être empêchée par un impératif familial, de santé, voire professionnel, et demande donc que le procès soit fixé à une date ultérieure. Mystérieuse, parce que, si la décision de report ou son refus doivent évidemment être justifiés, ses motifs sont finalement laissés à l'appréciation discrétionnaire du juge. Les années récentes ont cependant été marquées par un plus grand encadrement de cette procédure, encadrement dont témoignent les deux décisions rendues le 25 juillet 2013 par la Cour européenne, Sfez c. France et Henri Rivière et a. c. France.

Les deux affaires concernent un refus de report d'audience opposé par les autorités judiciaires aux requérants. Dans les deux cas, ceux ci ont été condamné par un tribunal correctionnel (M. Sfez à la suite d'une rixe dans un parking, M. Rivière et sa famille pour des constructions illégales sur une parcelle de terrain dont ils sont locataires) et ils ont vainement sollicité le renvoi de l'audience devant la Cour d'appel. Le premier invoque une violation du droit à l'assistance d'un avocat (art. 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme), le second y ajoute une violation du droit au procès équitable (art. 6 § 1). Le fait que le renvoi soit demandé en appel n'est pas sans importance, car l'absence de l'accusé pourrait sembler moins essentielle, dès lors qu'il a déjà eu l'occasion de développer ses moyens de défense devant le tribunal correctionnel.

Un élément du droit à l'assistance d'un avocat

La Cour européenne refuse pourtant de se placer dans cette perspective, et considère que les droits de la défense doivent s'appliquer avec une intensité identique à toutes les étapes du procès pénal. Sur ce plan, la Cour confirme sa jurisprudence initiée dans l'arrêt Van Pelt c. France du 23 mai 2000 et développée dans l'arrêt Katritsch c. France du 4 novembre 2010, selon laquelle le droit au report d'une audience est l'une des composantes du droit à l'assistance d'un avocat. Cette assistance doit être "effective", ce qui signifie que le prévenu doit être mis en mesure de prendre contact avec un défenseur et de le rencontrer en vue de préparer son procès. En l'espèce, M. Katrisch, incarcéré, était de nationalité russe, et donc peu au fait de la procédure pénale française. Il convenait donc de lui laisser le temps nécessaire pour préparer sa défense, et la Cour sanctionne donc le refus de renvoi.

Dans les deux décisions du 25 juillet 2013, la Cour énonce les garanties essentielles de la procédure de renvoi en imposant au juge deux opérations successives. D'une part, il doit prendre sa décision après avoir mis en  en balance les différents intérêts en présence. D'autre part, il doit la motiver clairement, non seulement pour l'information des plaideurs mais aussi pour permettre l'éventuel contrôle ultérieur de ces motifs.

Nicolas Poussin. Danse de la musique du temps. 1640
La mise en balance des intérêts en présence

Les juges internes doivent chercher un équilibre parfois délicat, pour rejeter les demandes de renvoi purement dilatoires, et accorder celles qui reposent effectivement sur les besoins de la défense. 

Dans l'affaire Sfez, la Cour reprend ainsi le détail de la procédure. Elle note que le requérant a fait preuve d'un réel "manque de diligence". Il avait été défendu par un avocat commis d'office devant le tribunal correctionnel le 31 août 2007, puis avait sollicité Me V. lorsqu'il avait décidé de faire appel de sa condamnation, en septembre 2007. Le nouvel avocat ne s'était manifestement guère intéressé à son client, avant de se désister le 1er avril 2008, soit dix jours avant la décision de la Cour d'appel. Certes, on pourrait gloser sur la conscience professionnelle de Me V. qui était peut-être fondé à se désister, mais qui aurait certainement dû le faire plus rapidement, afin de laisser M. Sfez trouver un autre conseil ou demander un avocat commis d'office. 

Quoi qu'il en soit, aux yeux de la Cour, les turpitudes éventuelles de l'avocat n'exonèrent pas son client qui, de son côté, aurait dû faire preuve de davantage de diligence. Il a eu sept mois pour s'apercevoir que son avocat était particulièrement inerte, et peut être pour le rémunérer quelque peu. Il n'a fait aucune démarche pour trouver un nouveau conseil après le désistement du premier, alors même que, n'étant pas incarcéré, une telle recherche ne présentait pas pour lui de difficulté particulière. De tous ces éléments trouvés dans le dossier, la Cour en déduit que la demande de renvoi avait un caractère dilatoire, et que le refus opposé par la Cour d'appel ne viole, en aucun cas, le droit à l'assistance d'un avocat garanti par l'article 6 § 3.

La motivation du refus de renvoi

L'analyse détaillée de la procédure rend indispensable la motivation du refus de renvoi, afin que le requérant, mais aussi, le cas échéant, les juridictions de recours, puissent s'assurer qu'il ne repose pas sur l'arbitraire du juge. 

La décision Rivière et autres c. France sanctionne ainsi pour manquement au droit au procès équitable (art 6 § 1 de la Convention européenne) le refus de renvoi opposé à la famille Rivière. En l'espèce, les intéressés sont trois membres d'une même famille, et ils ont sollicité le report de l'audience pour différents motifs. L'un était gravement malade, l'autre passait un examen professionnel le jour de l'audience, le troisième était un militaire en opération extérieure. Tous produisaient différentes attestations démontrant la réalité de ces contraintes. Or la décision de la Cour d'appel se borne à mentionner : "Sur la demande de renvoi sollicitée par courrier, le Ministère public s'y oppose. La Cour après en avoir délibéré, retient l'affaire". Une telle formulation ne saurait évidemment être considérée comme une motivation, et c'est précisément ce que sanctionne la Cour européenne.

Ce défaut de motivation porte atteinte au droit au juste procès des requérants à deux égards. D'une part, elle leur interdit de connaître les motifs du refus de renvoi et sème le doute sur l'impartialité des juges. D'autre part, elle limite l'étendue du contrôle éventuel de la Cour de cassation. Saisie dans l'affaire Rivière, celle-ci s'est bornée, dans une décision du 9 février 2010, à mentionner que la Cour d'appel appréciait cette question de manière souveraine, formule laissant entendre que appréciation ne figurait pas dans le contrôle de cassation. La Cour européenne sanctionne ce raisonnement qui interdit au juge de cassation de s'assurer que la Cour d'appel a effectivement examiné le bien-fondé des excuses invoquées par les requérants. Pour la Cour européenne, l'absence de motivation induit l'absence de contrôle de la motivation, et rend impossible, in fine, le contrôle du respect de la Convention européenne. Dès lors, elle estime qu'il y a violation du droit à un juste procès. 

Par cette jurisprudence en constant développement depuis l'arrêt Van Pelt, la Cour soumet la procédure de renvoi aux règles et aux garanties qui sont celles de l'ensemble du procès pénal. Un tel choix induit un véritable changement de nature de ce renvoi qui n'est plus un simple élément dans l'administration de la justice mais un élément du procès.

Le refus de renvoi sera désormais motivé et contrôlé, avancée peu spectaculaire des droits du justiciable, mais avancée réelle. On peut tout de même déplorer que les juges français n'aient pas cru bon d'engager cette évolution avant d'y être contraints par la jurisprudence de la Cour européenne.


1 commentaire:

  1. bonjour,

    je suis dans le cas des époux rivière avec qui je suis entrée en contact.
    La différence c'est que mon avocat à la cour de cassation (chambre sociale) n'a pas soumis ce moyen et que de fait je suis privée d'une voie de recours.

    Je considère que cet avocat a commis une faute et j'envisage d'engager sa responsabilité.
    Certes il est presque évident que le moyen n'aurait pas prospérer, mais le rejet m'ouvrait la voie de recours à la CEDH;

    Mon avocat m'a donc privée d'une voie de recours / sur l'arrêt de la cour d'appel il est écrit texto : Madame n'a pas comparu ni personne pour elle à l'audience du 15 mai 2013, sa nouvelle demande de report de l'affaire a été refusée.

    Le jugement est qualifié de contradictoire eu lieu de "réputé contradictoire" erreur matérielle ???

    Incidence sur l'appréciation de la procédure par la cour de cassation : il n'est indiqué nulle part sur le jugement : citation à personne ou autre prouvant que j'ai été assignée dans les règles.

    bonne soirée et merci de vos articles

    maryse vallée

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