« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


jeudi 21 juin 2012

Le harcèlement sexuel, entre vitesse et précipitation

Un nouveau projet de loi sur le harcèlement sexuel a été adopté au Conseil des ministres du 13 juin 2012. Son objet est de redéfinir une infraction que le Conseil constitutionnel avait jugé trop imprécise dans sa décision rendue sur QPC du 4 mai 2012. Il avait alors déclaré non conforme à la Constitution l'article 222-23 du code pénal, en se fondant sur principe de légalité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration de 1789. Dans sa rédaction issue de la loi du 17 janvier 2002, ce dernier définissait en effet le harcèlement sexuel comme "le fait de harceler autrui dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle". Définir le "harcèlement" comme "le fait de harceler" ressemble fort à une tautologie, et cette incertitude entache effectivement ces dispositions d'un défaut de lisibilité. Elle fait par conséquent peser sur les justiciables, et sur les victimes, une insécurité juridique que le Conseil constitutionnel ne pouvait que sanctionner. 

Cette déclaration d'inconstitutionnalité a entrainé l'abrogation immédiate de ces dispositions, interrompant les poursuites en cours pour harcèlement sexuel. Immédiatement, de multiples voix, notamment féministes, ont insisté sur l'urgence qu'il y avait à adopter un nouveau texte, sur un "vide juridique" d'ailleurs largement fictif, puisque d'autres incriminations pouvaient être utilisées pour gérer les affaires en cours. Quoi qu'il en soit, six ou sept propositions de loi ont été rédigées, un rapport sénatorial d'information a été publié et, le présent projet de loi a finalement été déposé, tout cela sans coordination, sans réelle réflexion, dans ce qui ressemble bien à de l'improvisation. 

Le résultat est un projet mal écrit. La nouvelle rédaction de l'article 222-33 du code pénal distingue en effet désormais deux incriminations distinctes, au contenu aussi incertain que les anciennes dispositions désormais abrogées.

Reynaud Levieux. 1613-1699
"Proposition indécente" selon la requérante, ou "Annonciation" selon le défendeur
Collection particulière


Une incrimination floue

La première sanctionne "le fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des gestes, propos ou tous autres actes à connotation sexuelle soit portant atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créant pour elle un environnement intimidant, hostile ou offensant". Comment définir un "acte à connotation sexuelle", ou un "environnement intimidant" ou "offensant" ? On peut certes répondre, comme l'affirmait maître Moro-Giafferi que l'obscurité d'un texte est un hommage discret à la sagacité du juge, mais ce dernier aura bien des difficultés à construire une jurisprudence cohérente. Elle risque fort de se révéler très impressionniste, entièrement fondée sur une appréciation nécessairement subjective des faits.

Le harcèlement, ou le sentiment du harcèlement ? 

La seconde incrimination est définie en ces termes  : "Est assimilé à un harcèlement sexuel" le même fait "qui, même en l'absence de répétition, s'accompagne d'ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave accomplis dans le but réel ou apparent d'obtenir une relation de nature sexuelle, à son profit ou au profit d'un tiers". Il est pour le moins surprenant d'assimiler à un "harcèlement" un acte qui n'est pas répétitif, définition qui va à l'encontre de celle acceptée par la plupart des dictionnaires. Surtout, le critère essentiel repose, dans ce cas, sur l'intention de l'auteur de l'acte. Il faut qu'il ait agi "dans le but" d'obtenir une relation sexuelle.

Comment va t on alors prouver cette intention ? Si l'on se réfère au témoignage de l'accusé, il y a des chances qu'elle ne soit jamais démontrée, car il est peu probable qu'il avoue ses pensées libidineuses. Si l'on se réfère au témoignage de la victime, on peut penser que le moindre regard un tant soit peu concupiscent risque d'être présenté comme une "pression grave". Là encore, le rôle du juge promet d'être compliqué, car il sera confronté non pas à un acte de harcèlement défini de manière objective, mais à la perception du harcèlement par chacune des victimes. Le prétoire n'est pourtant pas le divan du psychanaliste, et il faudra bien définir des critères un peu plus objectifs.

Les peines

Les peines prévues pour les auteurs de harcèlement ne sont guère plus satisfaisantes. Pour la première incrimination, celle qui vise les actes répétés, le coupable risque un an de prison et 15 000 € d'amende. Pour la seconde, celle qui sanctionne l'acte unique, il encourt deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende. Rien ne dit pourtant que la seconde incrimination soit nécessairement plus grave que la première, et sanctionner plus durement un acte unique qu'une pratique répétée peut sembler quelque peu surprenant. Il est vrai que la preuve de la seconde infraction risque d'être si difficile à apporter que le risque d'être condamné sur cette base est bien modeste.

Heureusement, le parlement va débattre de ce projet. Son rôle sera de lui apporter une cohérence qu'il n'a pas, en suscitant un débat juridique qui n'a pas encore eu lieu. 

2 commentaires:

  1. Votre critique est très claire, mais peu constructive : que proposeriez-vous comme texte pour éviter de tomber dans les écueils que vous pointez du doigt ?

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  2. Dans les années 70-80 l'arrivée massive des femmes sur le marché du travail et (partant) l'abandon de leurs enfants à des nounous et baby-sitters a suscité un immense malaise (une émotion pénible liée au sentiment de culpabilité) auquel la société à répondu par ce qu'on a appelé le "day care sex abuse hysteria", c'est à dire une impitoyable sanction pénale de crimes sexuels pédophiles en général imaginaires, qui a culminé plus tardivement en France avec l'affaire d'Outreau sur laquelle il n'est pas besoin de revenir.

    Aujourd'hui, on a une réédition de ce phénomène social dans l'affaire du harcèlement sexuel. Car l'arrivée massive des femmes dans la vie professionnelle a eu une autre conséquence émotionnellement pénible pour elles : leur exposition immédiate à la présence masculine, et singulièrement à la perception ou à l'imagination du désir sexuel masculin (qui n'a pas particulièrement changé de nature mais dont elles étaient auparavant davantage protégées). Au fond, ce que ces lois sur le harcèlement sexuel cherchent à faire (sans le dire et sans doute sans le savoir), c'est à calmer cette angoisse et ces émotions pénibles. Le problème c'est que cette émotion n'est pas fondée sur des faits mais sur des impressions, et qu'aucune loi ne pourra rendre moins pénible le sentiment d'inadéquation féminin dans un monde masculin.

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