« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


mercredi 31 août 2011

EVAFISC, le secret bancaire suisse et la vie privée

Le 24 août 2011, le Conseil d'Etat a rejeté le recours déposé par une filiale suisse de la banque HSBC contre un arrêté du 25 novembre 2009 du ministre du budget, mettant en oeuvre un fichier des comtpes bancaires détenus hors de France par des personnes physiques ou morales. Dénommé EVAFISC, ce nouveau traitement automatisé a pour objet de lutter contre fraude internationale avec les paradis fiscaux, y compris la Suisse. Il est alimenté par les services fiscaux à partir des informations qu'ils détiennent, mais aussi de celles transmises par les services judiciaires et les banques. Ces dernières sont en effet tenues de répondre positivement au droit de communication exercé par les services fiscaux sur le fondement de l'article 81 du Livre des procédures fiscales.

La création de ce fichier, fin 2009, serait passée à peu près inaperçue si, peu après sa création, il n'avait reçu une masse d'informations provenant d'un ancien salarié de la filiale genevoise d'HSBC. A l'époque, Eric de Montgolfier, alors en charge de plusieurs dossiers de fraude fiscale à Nice, avait estimé que ces données permettaient d'identifier 127 000 comptes appartenant à 79 000 personnes, dont 8 231 Français. Le fisc avait ensuite précisé que ces fichiers révélaient une liste de 3000 fraudeurs français présumés. 

Le recours d'HSBC contre le texte créant EVAFISC visait, avant toute autre préoccupation, à protéger le secret bancaire suisse. Ce dernier ne faisant l'objet d'aucune garantie juridique s'imposant aux autorités françaises, il était indispensable d'articuler d'autres moyens juridiques à l'appui du recours. 

Le premier d'entre eux est le droit au respect de la vie privée. S'appuyant sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, HSBC avait, dès le 19 avril 2010, saisi le Conseil d'Etat d'un référé demandant la suspension de l'arrêté du 25 novembre 2009 créant EVAFISC.

Vie privée : secret de l'être et transparence de l'avoir

Il est vrai que la vie patrimoniale d'une personne est considérée par une partie de la doctrine classique, P. Kayser en particulier, comme un élément de sa vie privée. A l'appui de cette thèse est invoquée l'idée selon laquelle le patrimoine est une émanation de la personne sur le plan économique. Protéger la personne impliquerait donc la protection de son patrimoine. Le droit de vivre dans la discrétion est en outre perçu comme un élément important du droit au respect de la vie privée, et les citoyens les plus riches ont droit, comme les autres, à cette discrétion. 

Cette thèse est aujourd'hui abandonnée au profit d'une conception plus empirique qui vise à apprécier, au cas par cas, la légitimité des motifs de la divulgation du patrimoine d'une personne. 

Peter de Vos (1490-1567) - Le collecteur d'impôt

Le droit à l'information justifie ainsi  la publication de renseignements d'ordre patrimonial. La Cour de cassation a considéré, dans un arrêt du 20 octobre 1993, que la publication par L'Expansion du classement des 100 personnalités les plus riches de France ne portait pas une atteinte excessive à la vie privée des personnes, dès lors qu'elle ne s'accompagnait d'aucune autre information sur leur mode de vie ou leur personnalité.

Le motif le plus important d'atteinte au secret du patrimoine reste cependant l'ordre public et plus particulièrement la recherche des infractions.C'est précisément cette exception qui est invoquée dans le cas d'EVAFISC et le Conseil d'Etat estime qu'il n'y a pas violation de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. Ses dispositions réservent en effet un droit d'ingérence des autorités publiques dans la vie privée des personnes pour un motif légitime, en l'espèce la nécessité de prévenir et réprimer la fraude fiscale. L'article 38 de la loi du 6 janvier 1978 ne raisonne pas autrement, lorsqu'il estime qu'un traitement automatisé peut porter atteinte à la vie privée pour des motifs d'intérêt général, à la condition toutefois que l'ingérence soit proportionnée à la finalité du fichier et qu'une procédure spécifique soit respectée pour sa création.
Sur ce dernier plan, la banque requérante n'obtient pas davantage satisfaction. Le Conseil d'Etat ne manque pas d'observer que la CNIL a rendu un avis très motivé sur la création d'EVAFISC. La Commission effectue un contrôle très pointilleux de la finalité du fichier, de la durée de conservation des données, ainsi que des garanties techniques de sécurité du stockage. Conformément à l'article 38 de la loi du 6 janvier 1978, elle admet en particulier que les personnes physiques ou morales soient privées du droit de s'opposer à la collecte ou la conservation de ces données bancaires. Dans ce cas, la lutte contre le fraude fiscale légitime donc clairement l'atteinte à la vie privée.





1 commentaire:

  1. Article intéressant qui résume la situation. Cependant, je ne suis pas d'accord sur le fait que la lutte contre la fraude fiscale légitime l'atteinte à la vie privée, le terme "fraude" étant pour moi déjà un atteinte aux autres, bien plus importante. Dans ce cas là, il est bon de savoir ce que l'on légitime, la fraude ou la vie privée... Personnellement mon choix est fait, si je ne fraude pas, je n'ai rien à cacher, cela ne me gêne donc pas de montrer le contenu de mon compte en banque. CQFD. Quand on se renseigne un tant soit peu sur la fraude fiscale, l'évasion fiscale et de façon générale sur les paradis fiscaux, on se rend bien compte de la nocivité de la chose et de l'extrême nécessité d'y mettre un terme. Savez-vous par exemple que dans les paradis fiscaux, l’argent volé aux pays du Sud qui ne provient pas des multinationales (2/3), provient des criminels et des individus corrompus (chiffres http://www.aidonslargent.org/)? Accepter les paradis fiscaux, c'est accepter que des recettes fiscales qui auraient dû revenir aux pays dans lesquels on créé les richesses ne soient pas redistribuées comme elles devraient, c'est accepter que de l'argent qui aurait pu servir à lutter contre la misère et la famine tombe dans les poches d'archi milliardaires qui en veulent toujours plus. Pour moi, on est à un milliard d'années de l'atteinte à la vie privée, désolé.

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